Chapitre 80 : Jenna

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Les yeux levés, je suivais du regard les rais du soleil qui entraient par la grande fenêtre donnant au sud. Les Dark Angels s'apprêtaient à partir pour une tournée mondiale : après l'Europe, ils s'envoleraient pour l'Amérique, nord et sud, puis ce seraient la Nouvelle-Zélande et l'Australie, sur les terres d'AC/DC, et peut-être quelques dates en Afrique du sud. Le troisième disque était déjà disque d'or dans de nombreux pays, la critique ayant bien accueilli ce nouvel opus, notant les évolutions sensibles que le groupe avait apportées à son répertoire. Snoog avait été très inspiré et j'aimais beaucoup le rendu. Et puis, il fallait le noter aussi, ce disque était né sous mes pas, dans le studio fraîchement terminé de Glasgow.

J'allais interrompre mes remplacements, l'argent n'étant plus un souci et si je travaillais, c'était surtout pour me rendre utile et faire quelque chose que j'aimais. Je ne voulais pas, non plus, baigner à longueur de temps dans l'univers du groupe. Je voulais pouvoir garder un regard un peu extérieur, rester aussi en contact avec la réalité qui nous entourait. Et à Glasgow, pour cela, j'étais servie.

Lorsque nous y avions fait notre premier voyage, bien avant que le groupe puisse enregistrer son premier album, lors de la mini-tournée qui avait, finalement, été à l'origine de beaucoup de changements - ce dont nous n'avions pas du tout conscience les uns et les autres, à l'époque -, nous avions déjà pu avoir une idée de la vie dans certains quartiers pauvres. Même si, aujourd'hui, le visage de la ville changeait, que les importants travaux engagés en donnaient une toute autre image, il restait de la misère. Et c'était à elle que je tentais de m'attaquer, avec mes propres moyens, modestement. Mais il m'arrivait, parfois, en rentrant chez nous, d'avoir à l'esprit les paroles de la chanson Dark City, après une journée un peu laborieuse dans les quartiers populaires.

Il était donc prévu qu'Ally et moi accompagnions le groupe durant la tournée. Aussi voulais-je profiter au mieux de nos derniers moments, chez nous, à Glasgow, avant de rejoindre Londres. Les premières dates seraient pour Berlin, Hambourg et Münich. Gordon serait du voyage aussi, bien entendu. Plus tout un tas de personnes qui gravitaient désormais autour du groupe pour une tournée : ingénieurs du son, éclairagistes, roadies.

J'étais donc un peu perdue dans mes pensées, à me projeter sur ce long voyage qui nous attendait. Etendu à mes côtés, Lynn était songeur lui aussi. Nous profitions d'une grasse matinée bien venue, de quelques jours de détente complète.

- Jenna ? me demanda-t-il soudain.

- Hum ? fis-je simplement.

- A quoi tu penses ?

- Hum... A ce qu'il va falloir mettre dans nos valises... Et toi ?

- A quelque chose de... d'assez fou, en fait.

- Ah ? dis-je en me tournant vers lui et en me redressant un peu.

Son ton m'avait interpellée : il était sérieux, réfléchi. Et son visage traduisait bien ses pensées : ses sourcils un peu froncés, son regard lui aussi sérieux. Je tendis la main vers lui, caressai tendrement sa joue couverte d'une barbe de quelques jours. Si le succès avait changé beaucoup de choses dans nos vies, il en était d'autres qui demeuraient : Lynn serait toujours incapable de se raser de près. Ou d'avoir une barbe fournie.

- Qu'est-ce que cette chose un peu folle ?

Il tourna son visage vers moi, son regard perdit son côté lointain pour me fixer avec assurance. Puis il me fit basculer sur le dos pour se retrouver au-dessus de moi. Je crus que le "quelque chose d'un peu fou" signifiait "faire l'amour", mais en fait, c'était vraiment sérieux. Il me dit d'un ton grave :

- Je pensais à te faire un enfant.

**

Le soleil avait tourné. Les rais de lumière ne s'affichaient plus de la gauche vers la droite, mais s'alignaient désormais bien droit au plafond, remontant de la verrière jusqu'au fond de la mezzanine, au-dessus de notre lit.

Je restai totalement abasourdie, incrédule, face à ses propos. Je crus même que j'avais fait un rêve, si réel qu'il en était invraisemblable. Mais Lynn était bien réel, ses mots aussi.

- Ouais, je sais, ajouta-t-il en voyant mon air estomaqué. C'est quelque chose de complètement fou. Surtout venant de ma part.

J'éclatai alors de rire et dis :

- En effet. Surtout venant de la part de quelqu'un qui, à l'occasion, n'a jamais manqué de dire qu'il ne voulait surtout pas se reproduire. Se produire sur scène oui, faire un marmot, non.

- C'est pas faire un marmot, Jenna, protesta-t-il. C'est faire un enfant. C'est différent.

- Je le perçois bien. Et... puis-je savoir d'où te vient cette envie soudaine ? fis-je, curieuse.

- Elle n'est pas soudaine, soupira-t-il en se rallongeant à côté de moi. En fait, j'y pense depuis quelques temps, mais cela m'était apparu jusqu'à présent tellement... fou... que... que j'avais préféré ne pas t'en parler. Je pensais que c'était un peu une lubie qui se serait évanouie, comme ça, comme elle était venue. Et puis, non. Cette idée s'accroche.

- Je comprends, souris-je en réponse et en me tournant vers lui à mon tour. Comme une petite mélodie qui ne veut pas te lâcher...

- Exactement, sourit-il d'un air complice. Alors, qu'en penses-tu ?

- J'en pense... J'en pense que, si tu le veux vraiment... Bien que je m'étais fait à l'idée de renoncer... Et bien, je trouve que c'est une très belle idée.

Et je l'embrassai alors tendrement et longuement.

**

Les rais de lumière s'alignaient maintenant de la droite vers la gauche. Le soir était en train de tomber. Nous venions de passer les dernières heures à faire l'amour. Après l'incrédulité, la surprise, je ressentais un bonheur sans nom. Lynn voulait bien un enfant. C'était un rêve que j'avais repoussé loin, vraiment très loin. Tellement loin que je n'y songeais que très rarement, que je m'étais coulée dans notre vie, au rythme du groupe, entre disques, concerts, projets, écriture. Tout en parvenant à d'abord finir mes études, puis à travailler.

Néanmoins, et même si l'évolution de Lynn sur cette question me réjouissait, je me disais aussi que le moment n'était pas forcément très bien choisi : tomber enceinte alors que le groupe entamait sa première tournée mondiale, qu'il était prévu que je les accompagne, ça me semblait un peu hasardeux et aventureux. Les voyages en avion, la vie à l'hôtel, la fatigue, le décalage horaire... cela me semblait bien peu compatible avec un début de grossesse. Aussi envisageais-je raisonnablement d'attendre au moins que la tournée en Europe soit terminée pour arrêter ma contraception.

Et ce fut donc avec non seulement la perspective de la tournée et de nombreux concerts, des visites, des découvertes et des rencontres, qu'avec Treddy, David et Snoog, nous rejoignîmes quelques jours plus tard Stair et Ally à Londres, mais aussi avec le projet, au cours des prochains mois, de faire un bébé.

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