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La lueur grise annonciatrice de l’aube filtra sous les volets, accompagnée de l’humidité qui la caractérisait en cette période de l’année. Arian se blottit sous ses couvertures de peau, dérangé au milieu de ses rêves par des gémissements assourdis. Les yeux collés par le sommeil, il tendit l’oreille, persuadé qu’il se trouvait encore dans sa chambre du château d’Aguil. Enfin, la réalité le rattrapa. Il se redressa, inquiet, chercha sa robe de grosse laine à tâtons et se glissa hors du lit. Le moulin de la Scumje était un endroit isolé, oublié au creux d’un vallon, loin des premières fermes de la Maison Longcrin. Personne, hormis Arian et Jasper, le veneur du domaine, ne venait par ici.

D’une poussée sur le volet, le jeune homme fit entrer le jour dans la pièce. Une bouffée d’air frais, chargée des parfums organiques de la rivière, lui caressa le visage.

À travers les langues de brume qui rampaient à la surface de la Scumje, il devina une silhouette, agenouillée près de la berge. Un instant, il pensa à une ondine. Nue, malgré le froid, la jeune fille frottait ses bras avec des brassées d’herbe fraîche, secouée de sanglots.

Arian dévala les étages de son repaire et descendit en silence jusqu’au bief, le bruit de ses pas couvert par les remous de l’eau qui s’élançait à travers l’écluse. Quand elle l’aperçut, l’inconnue recula comme une bête apeurée. Son visage, maculé de sang séché, disparaissait derrière des mèches aux reflets ambrés, rosies et collées entre elles. Ses yeux en émergeaient comme deux perles de tourmaline noire. Couverte de terre, de striures carmin et de brins d’herbe, sa peau laiteuse fumait dans la fraîcheur de l’aube. Arian se figea. Après un temps d’hésitation, il retira sa robe de laine et la déposa dans l’herbe, ne gardant que sa chemise de nuit, avant de reculer jusqu’au parapet du canal qui bordait l’écluse. La jeune femme sembla se réveiller d’un long sommeil. Grelottante, elle attrapa le vêtement et le serra contre sa poitrine.

Pris dans le filet de son regard, Arian succomba à une volée de souvenirs troublants. Livine ? Une image fugace de sa sœur remonta des profondeurs de son âme, ressuscitée par une émotion insondable et un air de famille indéfinissable. D’un geste amical, Arian désigna le moulin, insistant jusqu’à ce que l’inconnue acceptât de le suivre.

— Quel est cet endroit ?

La voix de l’étrangère, un peu éraillée, brisait des semaines de silence.

— Tu ne comprends peut-être pas ma langue ?

Arian secoua la tête. Un jour reculé, si loin qu’il ne savait le dater, le langage s’était tari au fond de sa gorge. Plus un mot n’avait franchi ses lèvres. Il avait avalé la clef qui menait au secret de la parole, enfouissant les formules magiques qui reliaient les hommes entre eux.

Il mena son invitée à l’étage du moulin, dans son antre. La pièce, meublée d’un lit simple, d’un coffre et d’un brasero, regorgeait de livres : des imprimés s’entassaient par petites tours empilées ou en tas effondrés. La jeune femme articulait proprement, avec un accent aristocratique, peut-être savait-elle lire ? Arian se jeta sur son ardoise et fit crisser sa craie. Elle l’observa avec intérêt tandis qu’il s’escrimait sur la plaque.

Tu es au moulin de la Scumje. Je m’appelle Arian. Et toi ?

Un sourire étira ses lèvres.

— Palys.

Elle hésita, puis ajouta :

— De Valorne.

Valorne… un domaine perdu à la marche extrême des Demi-terres, de l’autre côté de la Crinière d’aiguilles, un massif forestier dense et abrupte qu’aucune voie ne traversait. Par la route, cela représentait plusieurs jours de voyage.

Quand le soleil fut suffisamment haut dans le ciel, la jeune fille, réchauffée et rassérénée, réclama du savon. Tandis qu’elle se lavait dans l’écluse, abandonnée au plaisir de la cascade qui l’enveloppait comme un habit de cristal, Arian l’observa à la dérobée. Le corps nimbé d’un halo scintillant, sublimée par les rayons du soleil, sa beauté lui retourna l’esprit.

Une fois séchée, elle enfila les vieux vêtements offerts, sans que leur coupe masculine n’altérât son charme. La sauvageonne s’était métamorphosée en une troublante jeune fille.

— Tu te demandes comment je suis arrivée ici, dans cet… état… n’est-ce pas ?

Agenouillée devant lui, elle arracha machinalement une poignée d’herbe.

— Oublie ça, Arian. Pour ton bien, comme pour le mien.

Bien sûr, il était incapable d’oublier. Ni le sang, ni les yeux étincelants de la jeune fille, ses prunelles couvant un sombre secret. Il hocha néanmoins la tête, s’inquiétant soudain des conséquences de l’arrivée de Palys dans son monde de réclusion. Ses vivres se limitaient à ce que sa mère daignait lui faire porter chaque semaine, c’est-à-dire peu. La Matriarche serait-elle mieux disposée après tous ces mois sans le voir ?

— Je dois rentrer chez moi, confirma Palys avec un air inquiet.

Arian comprit qu’il devait passer outre ses craintes et ramener la jeune fille à Aguil. Là, il lui fournirait son aide pour rentrer chez elle.

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