Perdu dans la Savane (7)

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Terrés au fond de notre refuge, nous réfléchissons ensemble sur ce qu’il vient d’arriver. Connie médite en silence pendant que je continue d’observer les environs, bien dissimulé. Les animaux ne sont plus un problème ; nous sommes chassés par bien plus dangereux qu’eux.

-    Avez-vous une idée de la raison pour ces hommes de nous poursuivre ? fait-elle enfin, d’un ton calme.

-    Absolument aucune, mais je peux vous assurer que nous allons leur donner du fil à retordre.

-    Comment lutter contre des hommes armés ?

Surpris de sa réponse, je me retourne pour capter son regard. Elle a la mine un peu défaite, pour une fois, un peu dépassée par les évènements. Pour le coup, je me sens redevenir un peu plus utile malgré mon état.

-    Je suis formé aux techniques de survie, faites-moi confiance, lui dis-je.

-    Je le suis aussi mais, pour ce qui est de ce genre de survie, j’avoue que je n’ai aucune compétence particulière…

-    Ne soyez pas vaincue avant même de savoir qui nous en voudrait au point de nous menacer. Vous avez fait preuve d’une étonnante capacité à vous débrouiller toute seule, et même à me prendre en charge aux pires moments, alors ne baissez pas les bras trop vite…

J’aurais voulu profiter de cette belle occasion pour la remercier de tout ce qu’elle avait fait pour moi jusqu’à maintenant mais, pour ce genre de choses, j’avoue que je ne suis pas très doué. Une prochaine occasion, peut-être…


-    Même si je suis toujours incapable de vous dire pourquoi je suis içi, dans cette mouise qui épaissit tous les jours, je sais au moins de quoi je suis capable.

-    Et si vous me disiez où nous sommes, alors ? rétorque-t-elle avec une pointe d’ironie dans la voix.

-    Je vous dirais que nous sommes en Afrique, bien sûr, en région subsaharienne, probablement au Kenya, au nord de la Tanzanie ou à l’est de l’Ouganda mais, sans me tromper, je suis sûr que nous sommes quelque part dans cette zone de l’Afrique.

-    Admettons… et cela vous inspire quoi ?

-    Plein de choses, ma chère Connie, plein de choses ! Et pas que de mauvaises, au contraire. A commencer par celle-ci ; si nous sommes bien dans le coin que je pense, alors, dès que nous aurons trouvé un point d’eau, et celui-ci risque de vous surprendre par sa taille, alors je pourrais nous localiser avec précision.

-    Un vrai GPS ! sourit-elle.

-    Ce n’est pas tout, et ça, vous le savez déjà ; qui dit eau potable…

-    Dit civilisation. Très juste… fait-elle, déjà un peu plus rassurée.

-    Notre problème, en fait notre plus gros problème c’est de nous débarrasser de ces gens, fais-je à voix basse en sortant de l’abri sans faire de bruit.

-    Vous oubliez quand même que nous avons besoin d’eau et que nous ignorons encore la distance qui nous sépare d’un point d’eau.

-    Erreur, ma chère ! Cette lionne devrait pourvoir à nos besoins pour quelques jours, fais-je entre deux efforts qui me coupent le souffle.

-    Mais que faites-vous ?

-    Ce soir, c’est moi qui régale ! Aidez-moi à remonter cette carcasse à l’abri ; nous allons prélever quelques bons gigots… ensuite, je prélèverai ce que je pourrai récupérer de son sang avant qu’il ne se corrompe. Pas très appétissant mais je vous assure que pour ce qui sera de la boisson, ce soir nous aurons plus que notre compte !

-    Vous n’y compter pas, boire du sang ?

-    Ne vous en faites pas, vous ne serez pas Dracula pour autant et les rayons de l’aube à venir ne fera pas de vous un petit tas de cendres !

-    Pas question !

Un peu surpris, je la regarde puis, préférant me taire, je continue de m’acharner à remonter le corps de la lionne.

-    Aidez-moi, sinon d’autres charognards se chargeront de manger à notre place, allez ! 

Résignée, elle se décide à sortir. Au terme de bien des efforts, la bête est remontée dans notre repaire, écorchée, découpée.

-    Je vais bricoler un sac avec sa peau, ça nous servira à porter nos repas.

-    Laissez-moi faire, vous, enterrez les restes ou jetez-les loin d’içi. Il y a déjà bien assez de mouches dans le coin pour en inviter des millions d’autres.

J’adore cette gonzesse ! Elle complète mes pensées et mes actions, quand elle ne les précède pas ! 

-    Connie, vous êtes la meilleure rencontre que j’ai fait depuis des siècles !

-    Drôle de façon de dire merci… fait-elle avec un sourire indulgent, mais j’accepte le compliment !

Nous nous activons en silence, trop heureux d’avoir quelque chose de précis à faire, trop conscient aussi que nous nous préparons à de rudes épreuves à venir dans les prochaines heures…

-    Et pour ces hommes, fait-elle un peu plus tard, que pourrons-nous faire ?

-    J’y ai réfléchi tout à l’heure… Pour l’instant, nous ne savons pas à qui nous avons affaire. Ils sont au moins deux, sûrement plus, armés, et animés de vilains projets contre nous.

-    C’est un peu court…et ça vous a pris toute la soirée pour cogiter ça ? ricane-t-elle.

-    Je peux encore vous dire que celui qui a tiré est un bon chasseur parce que pour tuer une bête en plein vol, si je peux dire, eh bien c’est pas donné à tout le monde. Je pense que nous avons des braconniers en face de nous. Des chasseurs de gros gibiers, si je ne me trompe pas en estimant le calibre de l’arme au son qu’elle à fait.

-    Des chasseurs d’ivoire ?

-    Probable.

-    Et donc ?

-    Donc, ceci : ces types nous prennent peut-être pour des agents de protection des animaux, ou un truc de ce genre. Alors, pour eux, il est essentiel de se débarrasser de nous.

-    Quel que soit le motif possible, ils veulent le faire, de toute façon, non ?

-    Certes, mais si cette région est soumise au braconnage, ça veut dire aussi qu’il y a forcément des types armés pour…chasser les braconniers. Et ça, c’est peut-être notre meilleur atout pour le moment parce qu’il est vrai que, sans arme, nous allons devoir être des plus discrets.

Mon ton résolu semble la rassurer encore un peu plus. Le plus étrange, c’est que maintenant que j’ai un os à ronger, je me sens plus fort. Je ne sais plus rien de mon passé mais mon présent est tellement important que j’estime inutile pour le moment de me poser trop de questions…

-    Maintenant, je vous propose de lever le camp sans plus tarder… lui proposé-je d’un ton neutre.

-    En pleine nuit ? Mais nous allons nous faire dévorer d’içi à cinq minutes !

-    Je ne crois pas… si la lune nous est favorable, nous allons suivre les traces de nos chasseurs pour remonter vers leur camp. De là, nous pourrons les observer pendant qu’ils nous imagineront en train de nous cacher quelque part.

-    C’est exactement ce que nous devrions faire !

-    Connie… soupiré-je, et où voudriez-vous vous cacher ? Et puis, comment comptez-vous tromper des chasseurs ? Ces types connaissent sûrement mieux le coin que vous et moi, vous ne croyez pas ?

-    Et si ce n’était pas des chasseurs ?

-    Quoi d’autre ? Votre tête serait-elle mise à prix ? Êtes-vous une star américaine égarée après le crash de son avion ?

-    Et vous ? Ne seriez-vous pas un assassin en cavale ou une chose de genre ? rétorque-t-elle avec une hargne soudaine.

-    Je ne sais pas ce que je fous là ! fais-je, du tac-au-tac, mais je peux vous garantir que je vais le savoir et vous serez aux premières loges pour en avoir la primeur !

Elle se renfrogne soudain, les yeux au sol et l’air contrarié. Moi-même, irrité de cette conversation inattendue, je préfère ne pas poursuivre.

Mince… deux jours à peine que l’on se connaît et on en est déjà à se faire tous les reproches…

Sacré caractère quand même, la donzelle...

-    Bon, relancé-je après de longues minutes de silence, on y va ?

-    Je vous suis…GPS !  me répond-elle avec aigreur.

Je préfère ne pas répondre, me contentant de son accord. Très vite, je détecte les premières traces de pas de nos poursuivants. L’un des deux hommes marche pieds nus. Il s’agit peut-être d’un indigène, un type du coin, au moins de la région. Un paysan ?
Connie de dit plus rien mais, penchée sur les traces de pas, elle tâte le sol pour en sentir la fraîcheur et, ainsi, estimer l’avance qu’ils ont sur nous.

-    Une bonne heure… presque sèches déjà… de nuit…à raison de trois kilomètre par heure… Si leur campement n’est pas visible dans les quinze minutes à venir, on saura qu’ils sont déjà loin.

-    Je ne serais pas surpris qu’ils se sentent assez sûrs d’eux pour faire un petit feu. On les verra de loin…

Elle ne daigne pas seulement me répondre. Cabocharde !
Elle reste quelques pas derrière moi, attentive, pendant que je progresse sous les rayons de la lune.
Connie ne s’est pas trompée : moins d’une trentaine de minutes plus tard, nous apercevons au loin la lueur orangée d’un feu.
Nous redoublons de prudence, n’avançant plus qu’à pas lents. Les dangers se multiplient mais nous ne visons plus que cette lueur devant nous. Nous en sommes bientôt à ramper en silence. Quand nous arrêtons notre progression, nous ne sommes plus guère qu’à une trentaine de mètres de leur campement.
Et quel campement...

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