Perdu dans la Savane (4)

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-    Vous avez une sacrée bonne cadence, vous savez ?

 

J’ouvre les yeux, surpris d’entendre une voix féminine. Ma vue est masquée par un avant-bras gracile et bronzé qui dépasse d’une chemise de brousse aux manches retroussées. Je sens de l’eau fraîche sur mon front, en même temps qu’une vive douleur qui me transperce vivement. De son autre main, elle contient fortement mon mouvement réflexe pour me dégager la tête.

-    Ne bougez pas…vous vous êtes fait une belle entaille au front. Il faut nettoyer et garder au propre, sinon vous ferez le bonheur de ces maudits volatiles qui tournent encore au-dessus de nous.

Ses gestes sont sûrs, même si elle se moque pas mal de savoir si j’ai mal ou non.

-    J’ai dû recoudre sans prendre de gants… Sale blessure ; encore quelques millimètres et je restais seule dans cette satané savane…

-    Je me ferais une raison, finis-je par balbutier avec effort.

J’aurais voulu parler avec plus d’assurance mais je me sens trop faible pour vraiment faire le fanfaron. Autant aller à l’essentiel.

-    J’ai dormi longtemps ?

-    Dormi… ? pouffe-t-elle. Non, vous n’avez pas dormi. A mon avis, si voulez tout savoir, je pense que vous revenez carrément de chez les morts. Quand je vous ai rattrapé, vous respiriez à peine et j’ai dû batailler ferme avec quelques vautours pour vous conserver en un seul morceau.

La tête me tourne et je sens que je risque de replonger dans le noir si je tente encore de me lever.

-    Tout doux, l’ami ! Vous n’êtes pas encore assez en forme pour jouer les Superman… Vous avez perdu pas mal de sang. Faut encore un peu de repos, vous comprenez ? Un simple signe des yeux me suffira pour entretenir la conversation, ok ?

J’aime bien le ton de cette femme. Elle semble énergique, déterminée. Sa voix un peu grave colle bien à ses intonations. Je me dis que j’aimerais bien en savoir un peu plus sur elle mais je ne me sens pas capable de parler. Autant la laisser faire. Une femme, après tout… il suffit de garder le silence pour qu’elle se sente obliger de le rompre, non ?
Mais j’en suis pour mes frais. Après avoir changé mon pansement de fortune, fait avec les restes de ma chemise, je l’apprendrai un peu plus tard, elle disparait de mon périmètre et je l’entends seulement chantonner à voix basse.

Plus tard, elle revient de la chasse…

-    Tenez ! On va se faire un petit repas sympa. Vous devez avoir faim, non ?

-    Et pas qu’un peu !

Elle rassemble quelques morceaux de bois, extirpe un vieux briquet d’une poche et se met en devoir d’allumer un feu. Pour ma part, tout juste convalescent, je peine à l’aider en ramassant quelques branches de plus. Elle a réussi à tuer un oiseau. Il n’est pas bien gros mais nos estomacs s’en contenteront avec délice.

-    D’où venez-vous ? lui demandé-je entre deux navettes de bois.

-    Quelle question ! répond-elle d’un ton un peu agacé parce que le feu tarde à prendre.

-    Ne trouvez-vous pas extraordinaire que nous nous soyons croisés en plein désert ?

-    Mais de quoi parlez-vous ? rétorque-t-elle sans lever les yeux.

Son étonnement me paraît sincère. Y aurait-il quelque chose de saugrenu dans mes questions ?

-    Voyons… nous sommes tombés nez-à-nez en pleine cambrousse et vous n’y trouvez rien d’étonnant ?

Elle souffle sur les braises naissantes puis, rangeant son précieux briquet, elle me regarde d’un air vraiment surpris.

-    Je crois vraiment qu’il était temps que je vienne vous sauver, mon pauvre vieux ! fait-elle avec ironie. Vous ne comprenez pas ce qui s’est passé, vraiment ?

-    Bah… j’avoue que là…

-    Nous ne nous sommes pas croisés, c’est tout.

Elle ne rajoute rien, parce que cela lui paraît évident. Par contre, moi, je rame…

-    Mais encore ?

-    Bah, c’est logique, non ?

-    Pas trop… fais-je en me retenant de lui dire tout le bien que je pense de la logique féminine…

-    Si on ne s’est pas croisés…

-    Oui ?

-    Oh la la, mais quel boulet ! On ne s’est pas croisés parce que…je vous ai rattrapé !

-    Rattrapé ? Mais…c’est impossible ! Je me souviens parfaitement que vous étiez face à moi avant que je ne tombe dans les pommes !

-    Décidément, vous en tenez une sacrée couche ! En tombant, vous avez fait demi-tour, c’est pourtant pas dur à comprendre ça ! Et, du coup, vous m’avez aperçue qui vous filait le train depuis deux jours !

-    Deux jours ! Mais comment… ?

-    Je vous ai dit que vous avez une sacrée cadence, au point que je n’arrivais pas à gagner un mètre de terrain sur vous. Ces fichus vingt pour cent de masse musculaire de plus que les hommes possèdent par rapport à nous ont tenus la distance ! J’ai fait l’erreur de me reposer aux mêmes heures que vous, certainement parce que vous avez eu les mêmes idées que moi, mais vous êtes reparti un peu plus tôt que moi, je pense, parce que le matin du deuxième jour, j’ai du me contenter de suivre vos traces pour ne pas m’égarer.

-    Vous égarer ??

Je ne peux cacher ma déception et elle le lit sur mon visage.

-    Ça n’a pas l’air de vous réjouir…merci quand même pour le sauvetage, hein ? fait-elle d’un ton soudain maussade.

-    Ce n’est pas ça…je comprends seulement maintenant que nous sommes toujours dans le pétrin. Vous comprenez, je pensais que vous arriviez d’une ville, d’un campement ou d’un truc de ce genre ! Là…ça veut dire que nous sommes paumés, tous les deux !

-    Exact…fait-elle.

Pour ce qui la concerne, ce n’est pas de la déception que je peux lire sur ses traits mais plutôt de l’inquiétude…

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