Séduction stomacale

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Nous allons tous dormir et je rejoins Léa pour continuer de bavarder. J'ai besoin d'en apprendre davantage. Elle m'explique ce qu'elle sait, en deux ans, ses connaissances sont faibles. Je comprends mieux leur situation et m'en veux de les mettre en danger, oublier Léa me rend malade à en mourir.

Arthur, le sympa que je surnomme Ken, détecte la présence de magie et soigne certaines blessures. Il nous rejoint, me scanne sans détecter la moindre parcelle de magie ou le moindre problème cardiaque. Pourtant, Léa ressentait ma douleur quand je la cherchais même si je n'étais pas à proximité de leur planque. Les anciens ont été consultés, ils n'ont aucune réponse puisque nous n'avons aucun lien de sang. Le lien de cœur n'existe pas pour eux.

Arthur m'oblige à sortir pour que Léa se repose, car utiliser son don l'épuise encore et moi aussi, je dois dormir un peu. Je bavarde un peu avec lui. Ce garçon est très gentil et compatissant. Il est partisan de me garder avec eux, la souffrance que Léa et moi endurons n'est pas normale. Nous ne devons pas être séparées. Il me réexplique avec douceur les dangers encourus, sans me juger ni me gronder pour mon entêtement. Il finit même par m'avouer qu'il est persuadé que Léa m'envoyait des informations pour m'aider. Il a peut être raison. Mes rêves ou intuitions sont dictées par Léa, inconsciemment mais nous sommes si liées que c'est plus que probable.

Je me dirige vers la dernière chambre. Arthur s'assure que je ne manque de rien. Il est bienveillant comme un grand frère. Je commence à me sentir à l'aise avec lui. Léa apprécie aussi ce garçon. Il est avec Gaëtan et Mushu les trois sorciers avec qui elle s'amuse le plus et parle librement. Je la comprends. Arthur fait de gros efforts pour se mettre à la place des autres, pour imaginer ce qu'on peut éprouver. Léa pense qu'il est en train de développer un don semblable au sien, une empathie envers les autres.

Dès qu'ils sont tous endormis, j'explore la maison. Je veux vérifier par moi même qui rien n'est anormal, que cette bande d'énergumènes ne me ment pas. La demeure est composée assez classiquement pour les parties communes avec un garage, un salon, une cuisine, un garde-manger et une bibliothèque dont les quelques livres sont en langage magique, donc incompréhensibles pour moi. Il y a aussi de l'autre côté du bâtiment des salles d'entraînements et une infirmerie. Rien de bien palpitant.

Je suis fatiguée, je n'arrive pas à dormir. J'entends du bruit dans une salle alors je me cache pour espionner à travers la baie vitrée sans être vue. C'est Mushu qui lance des jets de flammes. Il s'embrase en proie à une terrible colère, sûrement provoquée par ma présence. Il ne me voit pas, il me tourne le dos.

Léa m'a raconté des tonnes de trucs sur lui et notamment qu'il avait du mal à accepter son pouvoir, le feu étant souvent l'apanage des sorciers. Mushu est d'ailleurs le seul magicien de ce monde à avoir des yeux non-humains orange et des cheveux d'un noir intense. Les anciens pensent qu'il deviendra un sorcier et le tiennent sous surveillance d'Arthur et Isabelle (trois cent vingt-neuf ans), Louis et Marie (trois cent quarante-huit ans) qui sont des anciens siégeant au conseil.

Je réalise que mes surnoms idiots ne doivent pas aider, ce type me sort par les yeux. Le brasier qu'il produit est toutefois fascinant, les flammes et le magna semblent danser dans une chorégraphie majestueuse sur des tons oranges et noirs. La plupart des personnes ont peur du feu.

Moi, j'ai toujours été fascinée par cet élément destructeur qui pourtant fût un des points de l'évolution humaine. La maîtrise de Mushu de ce fluide brûlant est impressionnante. Je vois des animaux tels des tigres ou des chevaux courir sur les trois murs en face de nous. J'ai envie de tendre la main pour caresser les bêtes sauvages que j'aperçois. Je me sens paisible et heureuse.

C'est étonnant qu'un type aussi désagréable puisse produire une magie aussi apaisante. Sa démonstration est hypnotique. Je suis incapable de détacher mes yeux de ses flammes. Je suis irrésistiblement attirée, comme par un parfum envoûtant. La seule chose qui me permet de me tenir à distance du brasier est l'être répugnant au centre. Mushu m'est aussi antipathique que sa magie m'est enivrante.

Brusquement, le ballet s'arrête, Mushu semble perdu dans ses pensées. Les flammes sont remplacées par de magnifiques fleurs et sans voir son visage, je sens que Mushu est en train de pleurer. Je ressens un grand froid et me sent coupable. Mushu effectue une autre magie merveilleuse. Il couvre la pièce d'un décor bucolique. si sa colère se traduit en flammes, sa peine prends l'apparence de fleurs et de papillons. C'est féerique.

Je ne peux pas rester insensible face à cela alors, je me lève et rentre dans la salle malgré tout le mal que m'inspire Mushu. Je pose ma main sur son dos et lui frotte dans un geste amical.

- Ne t'inquiète pas Léa. Ça va passer. Retourne dormir sinon ton prince charmant va me botter les fesses.

- Ce n'est pas Léa. Ça va ? T'es sûr ?

Je le vois se retourner vers moi d'un air enragé. Les fleurs brûlent instantanément. Je suis donc bien la raison de sa colère. Il sort de la pièce, me bouscule sans dire un mot et retourne en direction des chambres. J'avais raison, il pleurait. Son visage était ruisselant de larmes et ses joues avait un chemin de sel qui finissait sur son torse.

Mushu a oublié un petit morceau fumant de lave. On dirait du charbon tellement la pierre est calcinée. Je souffle dessus pour la refroidir en vain, elle est bouillante. Le mouchoir avec lequel j'essaye de l'attraper s'enflamme par combustion instantanée. Étrangement, je ne me brûle pas à son contact.

Moi aussi, je retourne vers les dortoirs, bien que la nuit soit avancée, le couloir est toujours lumineux et multicolore. Je m'allonge dans l'herbe pour regarder les papillons voler en espérant que cela m'apaise. Je songe à aller toquer à la porte de Mushu pour essayer de le calmer. Je renonce, avec ma diplomatie légendaire, je risque de faire empirer les choses. Je pose mon petit morceau de lave devant sa porte après avoir gravé avec mon ongle un "pardon". J'espère qu'il comprendra.

J'ai trop de choses en tête pour parvenir à trouver le sommeil, la solution ne m'apparaît pas. Mon tracas finit par réveiller Léa qui vient s'allonger à mes côtés et me prend la main. Sa présence me calme enfin, je suis sur le point de m'endormir quand je sens que je suis soulevée dans les airs avec mon amie, nos mains restant liées. J'entends Gaëtan murmurer au moment où nous sommes déposées sur le matelas de la chambre de mon amie. Il dépose aussi un baiser sur le front de Léa.

- Bonne nuit les filles.

Le lendemain matin, en fin de matinée, nous nous réveillons toutes les deux blotties l'une contre l'autre, l'odeur du pain frais nous chatouillant les narines. D'un bond, nous courons comme deux folles, cheveux emmêlés, vers la cuisine pour y découvrir les autres préparant déjà le repas de midi.

Gaëtan a eu la gentillesse de nous garder deux gros morceaux de pain pour que nous puissions prendre un petit-déjeuner en même temps que les autres dévoreront leur... D'ailleurs, leur quoi ? Cela ne ressemble pas à de la nourriture comestible, plutôt à un mélange entre la bouillie pour bébés et le vomi tout en dégageant une odeur de pourriture désagréable. Les mines de dégoût me confirment le massacre de papilles gustatives.

Les yeux de mon amie s'illuminent d'un coup. Je sais qu'elle vient d'avoir une idée, source de pas mal de nos plans foireux de gamines. Je plonge mes yeux dans les siens, son sourire me confirme mes pires craintes. Pas besoin de mots avec elle, un simple regard et nous savons ce que l'autre pense. C'est comme ça depuis toujours.

Gourmande, j'ai appris à cuisiner très jeune et je me débrouille plutôt bien. Léa a l'intention de me faire accepter par le groupe en flattant leurs estomacs. J'en connais une qui va passer le restant de l'aprèm à éplucher, taillader et émincer des légumes, juste pour les beaux yeux de sa meilleure amie. Cette fille sait comment s'y prendre pour me faire faire n'importe quoi. C'est un don depuis sa naissance.

Léa négocie que je puisse préparer le repas de ce soir pendant qu'ils s'entraînent, cependant afin d'éviter que je ne mette des laxatifs dans l'assiette de Mushu, je préparerais tout cela en les regardant s'exercer. Mince, Léa a deviné mes intentions peu respectables, lorsqu'elle les a dit à haute voix, je ne peux m'empêcher de rire pour confirmer ses propos. Je vois Mushu qui se mord les lèvres, et qui s'amuse de mes idées tordues. Lorsqu'il quitte la salle, il dépose devant moi le bout de charbon en murmurant :

- Tu n'es qu'une goutte d'eau dans un océan d'emmerdes.

Je ne sais pas trop comment le prendre. Est ce une façon de me dire qu'il ne m'en veut pas ou au contraire de me demander d'arrêter, de ne pas être la goutte d'eau qui fera déborder le vase? Je reste perplexe. Je suis le groupe avec tout le matos nécessaire, exploitant honteusement les bras d'Arthur et de Gaëtan, pour m'asseoir à proximité de leurs salles d’entraînements.

Le spectacle est assez impressionnant et captivant. À leur grande surprise, je ne suis pas effrayée, plutôt admirative. Je manque même de me couper le doigt en réalisant ma julienne de légumes à force de les regarder fixement bouche ouverte.

J'ai prévu pour un régiment, je ramène mon fourbi dans la cuisine en plusieurs voyages pour enfin comprendre pourquoi leur mixture du midi était si infâme. Ils n'ont pas de four ou de plaque de cuisson ces andouilles, ils mangent froid. Mon ronchonnage devant leurs bêtises attise la curiosité de Léa à l'autre bout du bâtiment, je la vois débarquer avec le reste de son groupe, un petit sourire aux lèvres.

- Vous avez un feu follet au caractère de dragon mal luné avec vous et vous ne pensez même pas à cuire vos aliments ! Vous n'êtes pas franchement malins pour des Highlanders. Tiens Mushu, prends ça et fait moi bouillir l'eau si tu veux manger ce soir, je bougonne en lui plaçant une cocotte remplie dans les mains.

Bien que me fusillant du regard, il produit en quelques secondes de grosses bulles. Je plonge mes légumes en l'utilisant comme un fourneau sans qu'il ne décroche un mot. Mis à part mon amie qui se mord les lèvres, ils sont tous silencieux et vexés. J'entends Léa prévenir le groupe qu'il est dangereux de parler et surtout d'être dans la même pièce que moi quand je cuisine. Elle ose comparer ma dextérité avec des couteaux à un vulgaire crime sanglant. Je souris à ses blagues et en profite pour émincer mes oignons d'un air arrogant en lui tirant la langue.

Ils quittent la pièce et je reste seule avec mon grincheux de service qui reste silencieux . Tout d'abord furieux, il finit par être amusé en me voyant m'agiter comme une petite abeille, touillant, tranchant et écrasant mes aliments. Il esquive même un sourire quand je lui tends une cuillère et lui ordonne de goûter un des plats pour me dire ce qui manque, ne lui laissant pas le temps de répondre et continuant mon monologue en ronchonnant.

Je le vois respirer en bavant plusieurs fois et je l'empêche de s'approcher de mes casseroles en le fouettant avec un torchon, ce qui le réjouit au plus haut point. Il n'a pas l'habitude qu'on n'ait pas peur de lui et le menace. Fidèle à la mise en garde de Léa, je suis une véritable emmerdeuse, et je ne cesse de râler sur Mushu pour la moindre raison. Plus je ronchonne, plus il se marre. Donc forcément, plus il se fait tabasser à coup de torchon ou de cuillère en bois. J'ai même l'impression qu'il apprécie ce bougre.

Lorsque j'ai tout préparé, je colle un plat dans les mains de Mushu, m'empare du second plus léger et nous allons nourrir la bande d'affamés contrariés. Peu importe, ma ratatouille, assortie de son carpaccio de bœuf et purée de pommes de terre, les réconcilie avec moi, me permettant de rester une nuit de plus. Ils me remercient tous sauf bien sûr Mushu. J'ai vu qu'il s'est régalé et fait exploser le ventre en se resservant trois fois. Je fais un clin d'œil à Léa. Je viens d'obtenir un droit de séjour.

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