Au matin, quand Sei s’était réveillé, il n’avait pas trouvé Tōru. Il s’était immédiatement inquiété. Quand son ami avait parlé de rentrer plus tard que prévu, il ne pensait sûrement pas à ne pas revenir du tout. Il lui était arrivé quelque chose, c’était certain. À présent, l’étudiant se dirigeait vers la forêt, espérant y trouver un indice. Le soleil réchauffait rapidement l’atmosphère, laissant présager une prochaine saison assez chaude. Il parvenait au lac quand quelqu’un l’interpela. Il se retourna et vit arriver le Lieutenant. Mauvais signe. Une fois qu’il l’eut rejoint, l’homme déclara :

« J’ai quelques questions à te poser. commença-t-il. Au sujet de Tōru.

- Il s’est passé quelque chose ? s’enhardit à demander Sei.

- Ne t’en soucie pas. »

Il ne l’avait pas démenti mais lui avait lancé un avertissement au passage.

« T’avait-il parlé d’un quelconque projet ?

- C’est-à-dire ? »

Sei savait qu’il était inutile de mentir, mais ne comptait pas parler si facilement. Et tous deux avaient conscience que cette conversation allait vite devenir une joute verbale. Cela convenait à l’étudiant, qui ne capitulait jamais quand il s’agissait d’argumenter. Il connaissait aussi la réputation du Lieutenant de n’être pas homme à renoncer.

« Je te déconseille fortement de jouer à ce petit jeu-là avec moi. le prévint le Chasseur.

- Je souhaitais juste des précisions afin d’être en mesure de vous répondre. »

Sei s’engageait sur un terrain dangereux en toute connaissance de cause.

« Ce que tu n’as pas l’intention de faire, je me trompe ?

- Qu’est-ce qui vous fait dire cela ?

- L’amitié inclut le soutien. »

L’étudiant faillit s’étonner que son interlocuteur connaisse le terme d’amitié. Et se retint de demander pourquoi il lui posait ces questions sachant qu’il ne répondrait pas.

« Alors ? insista le Lieutenant.

- Non, il ne m’a pas parlé d’un quelconque projet. » répondit Sei avec assurance.

Et il compléta mentalement : Sachant qu’un projet est somme toute assez abstrait et que l’objectif de Tōru est on ne peut plus concret.

Le Lieutenant retint un soupir.

« Si tu crois que jouer sur les mots t’aidera… dit-il comme s’il avait lu dans ses pensées. Quel était son but ?

- Croyez-vous qu’il m’ait expliqué quoi que ce soit ?

- Tu prends des risques. fit remarquer le Lieutenant.

- La fortune sourit aux audacieux. »

Sei se mordit la lèvre inférieure. Il avait parlé trop vite.

« Tu te décides enfin à quitter les faux-semblants ? Dans ce cas, tu vas pouvoir me donner de vraies réponses. »

L’étudiant jugea plus prudent de ne rien répliquer. Le Chasseur lui posa une nouvelle question :

« As-tu remarqué quoi que ce soit d’anormal le concernant ?

- À part ses insomnies, rien.

- Et sortait-il souvent la nuit ? Allait-il voir quelqu’un ?

- En général, la nuit, je dors.

- Comment pouvais-tu savoir qu’il est insomniaque, alors ? Il n’est pas du genre à parler de lui et encore moins de ses problèmes.

- Ça, j’avais remarqué. Il m’a juste réveillé une ou deux fois, mais je me suis rendormi juste après.

- Comment ?

- Il était un peu agité. Je n’en sais pas plus. ajouta-t-il afin de couper court aux questions sur ce sujet.

- Et que fait-il dans son temps libre ?

- Nous restons ensemble et sortons dans le parc. Ou, lorsqu’il fait trop froid, nous allons à la bibliothèque.

- Cherche-t-il des ouvrages en particulier ?

- Des livres d’Histoire. Il en est passionné. »

À ce commentaire, Sei put voir le Lieutenant esquisser un furtif sourire puis retrouver son expression habituelle.

« Une dernière question : y a-t-il une matière qui l’intéresse particulièrement ?

- Je ne sais pas. Il est excellent en tout.

- Bien. »

Voyant qu’il s'apprêtait à s’en aller, le jeune homme tenta de le retenir :

« Attendez ! Où est Tōru ? »

Le Lieutenant ne répondit rien. Il se détourna et partit. Sei demeura immobile. Qu’avait-il fait à Tōru ?