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« C’est étrange, ce vide… » dit Sei à voix basse.

C’était le soir et comme à leur habitude, les deux garçons discutaient un peu avant de dormir.

« Nous nous y ferons. répondit Tōru sur le même ton. Au fait… cette nuit, je vais retourner là-bas. Si jamais je reviens plus tard que d’habitude, tu pourrais m’inventer une excuse, s’il te plaît ?

- Bien sûr. Mais de toute façon, demain est le jour de pause. Nous avons droit à une heure de sommeil en plus. »

Tōru sourit. Les deux étudiants se turent pendant un long moment. Quand le jeune élève fut certain que tout le monde dormait, il se releva, enfila son uniforme, et prit ses bottes. Il remarqua que même Sei s’était endormi. Il quitta le dortoir. Une fois dehors, il pressa le pas. La nuit était claire et, peut-être à cause de sa hâte, l’air semblait chargé d’un étrange pressentiment. Mais en arrivant au lac, il aperçut une silhouette qui ne lui était pas inconnue. C’était Sergey, l’un des Cinq Chasseurs, le frère jumeau de Pavel. Tōru se figea. Il voulut faire demi-tour, mais le jeune homme le remarqua.

« Que fais-tu ici ? demanda-t-il.

- Je vous retourne la question.

- J’ai toujours apprécié ton aplomb. déclara Sergey sans répondre. Mais si tu veux vraiment savoir, le Général n’est pas encore reparti.

- Pourtant la remise de diplômes est terminée.

- Il voulait s’entretenir avec la Présidente. À ton sujet.

- Pourquoi ?

- Tu verras. » répondit une voix derrière lui.

Tōru se retourna vivement.

« Nikita !

- Il voulait te voir aussi, mais a préféré attendre demain. Mais puisque tu ne dors pas, allons-y dès à présent. »

Le Lieutenant posa sa main sur l’épaule du jeune garçon et ils commencèrent à marcher, suivis par Sergey. Ils retournèrent dans les bâtiments de l’Académie. Ils traversèrent le hall jusqu’à l’escalier de gauche, prirent à droite une fois arrivés au deuxième étage et suivirent un long couloir pour l’instant inéclairé. Ils arrivèrent finalement au bureau de la Présidente. Le Lieutenant ouvrit sans frapper et ils entrèrent. La conversation entre les deux personnes présentes cessa. La femme se leva et déclara :

« Général, je vais vous laisser.

- Merci. »

Elle quitta la pièce, laissant les trois hommes avec le jeune élève. Sergey s’adossa au mur, tandis que Nikita demeurait debout près de Tōru.

« Eh bien, commença le Général, pouvez-vous m’expliquer la situation ?

- Il faut croire que ce garçon continue ces insomnies. répondit le Lieutenant. Ou qu’il avait l’intention de nous quitter.

- C’est faux ! s’exclama Tōru.

- Dans ce cas, qui as-tu contacté lorsque je suis arrivé ? » répliqua le Lieutenant.

L’élève baissa les yeux et ne répondit rien. Il ne pensait pas que l’homme avait perçu ceci.

« Alors ? »

Tōru le défia du regard.

« Très bien. Nous devions avoir une discussion, de toute façon. »

Le Lieutenant n’était pas du genre à se résigner. Il reprit :

« Général, je requiers votre permission au sujet de certaines mesures à prendre. »

Le jeune garçon lança un regard suppliant au chef des armées ; celui-ci marqua une pause, puis déclara :

« Accordée. »

Tōru eut presque envie de pleurer. Il haïssait ce mot qui avait scellé tant de fois son existence au moins autant que ces hommes. Il garda le contrôle de lui-même mais surprit le coup d’œil presque inquisiteur que Sergey lui lançait.

« Mais tout d’abord, reprit le Général, j’ai à te parler, Tōru. Nous savons tous deux la raison de ta présence ici. Et cependant, tu es un élève brillant et tes résultats dépassent nos espérances. Je te dirais, pour être franc avec toi, que je m’attendais plutôt à l’effet inverse. Aussi me suis-je demandé pourquoi tu agissais ainsi. As-tu finalement accepté ce à quoi nous te destinons ?

- Je pensais que vous aviez compris ma réponse il y a longtemps. répondit Tōru d’un ton posé ne trahissant aucune émotion. Un refus reste un refus, et je suis aussi constant dans mes choix que vous l’êtes.

- Reste à savoir qui cèdera le premier. rétorqua le Lieutenant, un brin narquois.

- Senaviev, n’envenime pas la situation, s’il te plaît. Kessikbayev, va rejoindre les autres et dis-leur que nous partons bientôt.

- Bien. »

Sergey se leva et quitta la pièce.

« Tu nous rejoindras. » ajouta le Général à l’attention du Lieutenant.

Celui-ci inclina la tête en signe d’assentiment et le chef des armées sortit. L’écho de ses pas s’évanouit rapidement dans le couloir. Le Lieutenant se tourna vers Tōru. Son regard, plus clair qu’à l’ordinaire, indiquait qu’il était dans un mauvais jour.

« Viens. » lui ordonna-t-il.

Il ouvrit la porte et remarqua que le jeune élève refusait de le suivre. Il soupira.

« Au moins t’aurais-je appris à contrôler tes émotions. Mais ta peur se lit dans tes yeux. N’aggrave pas ton cas en y ajoutant encore une fois l’insubordination. »

Tōru sentit une brûlure à l’endroit de la marque sur son poignet. La douleur remontait dans son bras telle une flamme insidieuse. Il savait qu’il ne pouvait gagner cette fois-ci, mais il refusait de se résigner. Il résista durant de longues secondes, serrant les poings. Finalement, il se décida à avancer et la douleur cessa. Le Lieutenant eut un sourire satisfait. Il laissa passer l’élève, puis le précéda de son pas vif dans des couloirs que les étudiants n’empruntaient jamais. Au bout d’un temps interminable, ils arrivèrent devant une autre porte et entrèrent. La pièce était relativement petite et vide, dotée d’une fenêtre laissant entrer la lueur bleutée du clair de lune.

« Alors, as-tu trouvé le moyen de te libérer ? » questionna directement le Lieutenant.

Tōru toucha instinctivement son poignet.

« Si c’était le cas, que feriez-vous ? questionna-t-il, une note de défi dans la voix.

- Tu ne l’as pas découvert. conclut le Lieutenant. Quant à ce que je vais faire, que tu trouves ou non… »

Il laissa sa menace en suspens.

« Vous ne pouvez pas. Voulez-vous risquer de me tuer ?

- Je sais jusqu’où va ta résistance physique. répliqua le Lieutenant.

- C’est inhumain !

- C’est ton point de vue. »

À présent, Tōru était plus que désemparé.

« Pourquoi ? demanda-t-il en dernier recours.

- Intéressante question, n’est-ce pas ? Pour m’assurer que tu resteras ici. Aucun de nous deux n’ignore que ton objectif est de partir. Tu ne sembles pas comprendre certaines réalités te concernant, et la première est que tu nous rejoindras. Et comme la manière forte semble être la seule à avoir de l’effet, je me vois dans l’obligation de renforcer l’incantation.

- Cela ne vous donnera pas un plus grand contrôle sur moi.

- Peut-être, mais je pourrai t’arrêter plus facilement. Et qui sait, peut-être cela contribuera-t-il à te décourager. »

Tōru voulut répondre mais ne trouva rien à dire. Lorsqu’il se trouvait confronté à un comportement aussi détaché et glacial, il désespérait vite de faire entendre raison à son interlocuteur. Bien que le Lieutenant soit parfaitement conscient de ce qu’il faisait. Celui-ci ajouta :

« Ne t’en fais pas, je ne vais pas faire durer cela plus que nécessaire. »

Le jeune garçon lui jeta un regard dans lequel se mêlaient le désespoir, l’incompréhension, mais aussi la colère et l’aversion. Il sentit à nouveau la brûlure à son poignet. Puis il lui sembla qu’elle se propageait dans tout son corps en passant par ses veines. Il se raidit. Il ne voulait pas tomber face à cet homme. Lui tenir tête était devenu une question vitale. La douleur le prenait par vagues, patiemment, faisant son œuvre, il lui était de plus en plus difficile de résister. Il se mit à douter de pouvoir tenir bien longtemps. Et c’est à cet instant que le brasier lui explosa dans tout le corps. Il tomba à genoux, incapable de lutter. L’épreuve était insoutenable. Elle s’accompagnait encore une fois d’un sentiment d’échec. La souffrance atteignit un degré plus élevé, tel qu’il doutait que cela puisse exister, insupportable. Et soudain, tous ses sens cessèrent de fonctionner. Il ne pouvait plus endurer pareille épreuve. Il s’effondra en même temps qu’un cri lui échappait.

Cependant, alors qu’une obscurité profonde l’environnait, sa conscience demeurait éveillée. Ses sens lui revinrent progressivement quand la douleur cessa. Il pouvait entendre et sentir, mais ses yeux demeuraient clos, comme s’il était prisonnier d’un mauvais rêve éveillé. Il perçut les pas du Lieutenant qui se rapprochèrent, puis s’arrêtèrent à côté de lui.

« Je peux détecter que tu es encore conscient. déclara-t-il. Tout comme j’ai décelé ton pouvoir lorsque tu as contacté quelqu’un tout à l’heure. Je sais aussi que tu l’as averti. Tu manques d’entraînement. Compte sur moi pour découvrir qui se trouvait suffisamment proche pour recevoir ton message, mais nous verrons quand tu seras en mesure de me répondre. Et demain, j’interrogerai ton ami. »

Tōru fut pris d’un sentiment de panique. Sei ne devait pas être mêlé à cela, il n’avait rien à voir avec ce qui s’était passé !

Tout à coup, il sentit que le Lieutenant le soulevait dans ses bras et l’emmenait. Le jeune garçon n’avait qu’une envie, celle de se réveiller et de partir. Mais il perdit totalement conscience.

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