Ceux qui savent [NOUVELLE]

Image de couverture de Ceux qui savent [NOUVELLE]

Acceptez-vous de confesser vos crimes ?

Il n’y a rien à confesser.

L’homme avait prononcé ces mots calmement, sans aucune trace de peur ni de remord. L’administrateur secoua tristement la tête. Evidemment, ils disent tous ça…

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M. Henri Léro ? C’est à vous.

Le jeune homme sortit brusquement de ces pensées. La jeune femme qui l’avait appelé portait l’uniforme sombre de la Cour des connaissances.

Si vous voulez bien me suivre.

Henri lui emboita le pas. Elle marchait vite, le long des immenses couloirs du bâtiment. Henri était impressionné. Tout, dans l’édifice, respirait la réussite, la grandeur. Il rassemblait tous les services attachés à la régulation et au contrôle du savoir. La partie où le jeune aspirant se trouvait était un mélange savant de plusieurs styles architecturaux. Hommages aux nombreuses techniques accumulées au cours des siècles. L’employée s’arrêta devant une porte en bois massif.

Ils vous attendent.

Henri déglutit. Sentant son malaise, la jeune femme lui adressa un sourire timide et ajouta :

Bonne chance.

Puis, elle tourna les talons et le laissa seul devant la porte. Henri fixait le bois. Il le fixait si intensément qui lui sembla presque possible de voir au travers. Il respira profondément et passa nonchalamment la main sur sa nuque. Le contact froid du métal sous ses doigts le rassura. Il avala une dernière bouffée d’air et entra.

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L’Homme marchait dans le couloir. Il était escorté de deux gardes. A quoi bon ? Personne ne sortait du centre d’effacement indemne. Pour lui, ça serait bientôt fini. Il effleura l’arrière de sa tête et senti la puce qui y était fixée.

- Bientôt fini, pensa t-il.

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Ça va bien se passer.

Sa femme tentait tant bien que mal d’emprisonner le cou d’Henri dans sa cravate flambant neuve. Mais il ne lui rendait pas la tâche facile.

Mais arrêtes de bouger comme ça ! Le score maximal au test, tu te rends compte ? Je suis si fière de toi. Tu verras, tu vas tous les impressionner à l’Office des arts. Voilà, c’est fini.

Henri fixa son reflet dans la glace. Sa cravate était savamment nouée en un réseau compliqué de nœuds et d’épingles à cravate. Décidément, la capacité de Lucie à accumulé des connaissances superflues l’étonnera toujours …

Il faut que j’y aille. Arriver en retard pour mon premier jour, ça serait mal vu.

Il sortit et pressa le pas. La salle d’exposition n’était qu’à quelques centaines de mètres de chez lui, mais le jeune homme souhaitait être un peu en avance pour se familiariser avec les lieux. Contrôleur, il était contrôleur ! C’était comme si, toute sa vie, chaque parcelle de connaissances qu’il avait mémorisée n’avait été que dans ce but. Bientôt, il grimperait les échelons. Il arrivait en vu de l’édifice quand il heurta rudement un passant qui venait en sens inverse.

Pardon, je suis désolé. Je ne regardais pas le …

Ses mots restèrent suspendus un moment avant de s’évanouir. L’homme le regardait sans le voir. Henri reconnu au premier coup d’œil un des effacés. L’individu massa vaguement son épaule malmenée et jeta un regard flou au jeune homme avant de continuer son chemin. Henri resta un moment interdit. Les effacés restaient généralement dans les quartiers de banlieue. Entre eux. A chaque, fois que le regard d’Henri se posait sur leur nuque nue, il frissonnait.

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Installez-vous.

La voix de l’administrateur était totalement indifférente. Un cas parmi d’autre, c’est tout.

Veillez à poser votre tête sur le support prévu à cet effet. La procédure commencera dans un instant.

L’Homme s’exécuta sans un mot. Pendant ce temps, un technicien vérifiait les derniers réglages des caméras. Chaque effacement était rediffusé en direct.

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Le tableau que vous pouvez voir sur votre droite est un des plus anciens de notre collection. Il nous a été offert par notre plus généreux donateur. Si vous nous laissez le votre, il pourra subir une expertise des plus grands spécialistes. Je vous garanti que nous auront tôt fait de déterminer sa provenance.

Je préfèrerais ne pas m’en séparer si ça ne vous fait rien. Mais je suis certain que vos talents suffiront amplement à déterminer la valeur de cette œuvre.

L’homme avec qui Henri s’entretenait avait une cinquantaine d’années. Il portait un chapeau en tweed et un costume qui semblait sortir d’une autre époque. Il fixait le jeune analyste avec une telle intensité que s’en était presque gênant. Henri bafouilla. Mais ne voulant pas décevoir son premier client, il s’attela à la datation du tableau qu’il tenait entre les mains. Il avait passé 3 années à stocker toutes les bases de données d’art connues et appris à les utiliser avec brio. L’analyse d’un simple tableau ne lui prendrait pas plus de … Non, c’était impossible.

Quelque chose ne va pas ? demanda le client.

Elle ne s’y trouvait pas. Henri avait beau chercher dans toutes les bases à sa disposition, tout, dans cette œuvre lui était inconnu. Le style de l’artiste, la signature, il n’identifiait aucun élément.

D’où avez-vous dit que provenait cette œuvre ?

De chez moi.

Henri regarda l’individu sans comprendre. Ce n’était pas le moment de se moquer de lui. Si les patrons le savaient incapable d’identifier une œuvre, il resterait au classement le reste de ça carrière.

Mais, qui est l’artiste ?

Moi.

Impossible, c’était impossible.

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En ce jour, le condamné est déclaré coupable de trafic de connaissances falsifiées, abus de confiance, transmission et usage de faux savoir. Pour ces crimes, la peine est l’effacement définitif de son implant neuronal. La mesure est définitive. En conséquence, aucune sauvegarde des données ne sera conservée.

Après sa déclaration, l’administrateur fit un signe vers l’opérateur. La procédure était lancée.

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Attendez !

Henri courrait le long de la rue. Il tentait de rattraper son client. Quand l’homme avait vu que Henri ne parvenait pas à identifier son tableau, il avait rapidement pris congé et était sorti du bureau. Et maintenant, Henri tentait par tous les moyens de le rejoindre. Hors de question de restez sur un échec.

Je vous en prie, attendez !

L’homme se retourna et considéra enfin son poursuivant. A la grande surprise d’Henri, il sourit et continua de marcher tranquillement. Henri accéléra. Quand il arriva enfin à sa hauteur, l’homme l’attendait.

Je me suis dit que nous pourrions en discuter autour d’une tasse de thé.

Ils étaient arrêtés près d’une grande maison. Henri identifia instantanément le style d’avant la grande guerre. L’Homme l’invita à entrer. Le hall d’entrée était classique. Un peu désordonné mais Henri ne s’y attarda pas car son regard fut immédiatement attiré par la porte ouverte sur le salon.

Des livres, des centaines, des milliers de livres. Henri n’en avait jamais vu autant. A vrai dire, il n’en avait vu jamais autre part que dans les musées. Il y en avait de tous les genres, des vieux manuscrits aux pages jaunies et couvertures de cuir aux livres semi-électroniques qui circulaient encore il y a quelques décennies. Mais passée la première surprise, ce qui interpella Henri fut le contenu du grand bureau qui se trouvait devant lui. Il était recouvert d’ouvrages ouverts et annotés. Certains comportaient tellement de marque-pages que leur contenu semblait avoir doublé. Et les notes étaient manuscrites.

Un ou deux sucres ?

Henri sursauta. Il avait complètement oublié son hôte. L’homme le regardait avec un air amusé. Il portait un plateau sur lequel se trouvaient deux tasses de porcelaine remplies d’un liquide fumant.

Eh bien, je vous en prie, asseyez-vous.

Henri se laissa tomber plus qu’il ne s’assit sur le premier fauteuil qu’il trouva.

Mais qui êtes-vous ?

L’homme prit un temps avant de répondre. Il souffla doucement sur sa tasse et prit une gorgée qu’il garda un moment en bouche avant de répondre.

Je suis enseignant.

Instantanément, ces mots sortirent Henri de la confusion dans laquelle il se trouvait. Un prof ! Si on le trouvait en sa compagnie, ça signifierait la fin de sa carrière. Ou même pire. A la surprise, succéda la peur.

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L’opérateur, aux commandes d’un bras mécanique, saisit avec dextérité la puce électronique située à la base du coup du condamné. Avec une petite secousse, il la détacha et l’amena au centre de la machine d’effacement. Il la laissa tomber avec un petit bruit sec sur une coupelle.

L’administrateur jaugea un moment la petite pièce métallique. Sur cette puce, il y avait tout ce que l’homme derrière lui avait été. Tout ce qu’il savait et était serait bientôt définitivement supprimé. C’était la loi, le sort réservé à ceux qui se faisait appelé les professeurs …

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Vous êtes un terroriste !

Henri s’était levé, à la fois terrifié et totalement perdu. Un enseignant. Il savait exactement ce que c’était bien sur.

Avant la Grande Guerre, la transmission du savoir se faisait de façon orale. Des hommes et des femmes étaient formés à transmettre leur savoir aux plus jeunes dans tous les domaines. Et puis, il s’était formé un immense réseau, qui rassemblait d’énormes quantités de connaissances en libre service. Sans aucun contrôle, chacun pouvait apprendre à construire une bombe ou à utiliser une arme. Chacun était libre de transmettre de fausses informations ou d’en voler. Tout ce qu’il y avait à faire était de l’apprendre. Cette anarchie avait été à la cause de la Grande Guerre.

A la suite de la victoire de l’Union, les connaissances mondiales avaient été rassemblées dans la Cour des connaissances et soumises à une réglementation très stricte. Chaque individu avait désormais l’obligation de porter une puce neuronale. Un progrès énorme. La puce pouvait stocker d’énormes quantités d’informations en un temps record et sans perte de qualité dans le temps. Chaque enfant de l’Union s’en voyait greffer dès la naissance. Henri lui-même considérait sa puce comme une partie naturelle de son corps. Sans cela, il serait incapable de savoir la moitié de ce qu’il avait assimilé.

Je devrais vous dénoncer.

Ce que voulait surtout Henri, c’était sortir de là, et au plus vite.

Peut être voudriez vous que je vous explique l’origine de ce tableau avant d’en venir à une conclusion aussi regrettable ? Après tout, c’est pour ça que vous êtes venu.

L’enseignant sortit le tableau de sa housse de plastique. Il était véritablement magnifique, les couleurs, les contrastes. Tout était incroyablement bien réalisé.

Le trouvez vous beau ?

La question pris Henri au dépourvu. Il ne répondit pas.

Je suis certain que vous êtes vous-même capable de réaliser des copies absolument admirable de nombreuses œuvres, mais seriez vous capable d’en réaliser une tout à fait inédite ? Voyez-vous, il existait une notion avant la grande guerre que beaucoup ont oubliée, la création. Ces puces vous donnent d’énormes capacités de mémorisation mais cela reste de la copie pure. Possédez une seule particule de connaissance qui soit vraiment à vous ?

Je ne comprends pas

A ces mots, l’homme retira son chapeau et présenta sa nuque au jeune homme. Elle était vierge de toute technologie. Seul restait la trace rouge de deux connecteurs neuronaux débranchés.

Vous apprendrez un jour que l’effacement est la plus grande chance que notre société peut encore nous donner.

Il embrassa d’un geste les ouvrages qui les entouraient.

J’ai écrit un quart d’entre eux. Il existe un autre moyen d’apprendre. Plus long, plus difficile. Mais chaque chose que vous apprendrez sera alors irremplaçable et totalement unique.

Henri regardait l’effacé dans les yeux. Et la profondeur de ce regard le fit sourire.

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En tant que responsable de l’exécution de la sentence, j’autorise l’effacement du condamné. M. Léro avez-vous une dernière déclaration ?

Henri prit son temps pour savourer le moment.

Maintenant, je sais.

Et bientôt, il serait professeur.

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