Chapitre 4

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Le hurlement masculin déchirait les tympans de Gordon. Il bondit sur le toit plat, repéra la trappe, courut, planta ses ongles aussi durs que des griffes à un angle, l’arracha. Le métal se replia tel du papier d’aluminium entre ses mains. Sous lui, un des ravisseurs mettait en joue Kathy. La jeune femme avait empoigné un second homme par la gorge et s’en servait comme d’un bouclier humain. Après un rapide coup d’oeil pour s’assurer qu’il n’y avait pas d’autres ennemis embusqués, Gordon se laissa tomber par l’ouverture. Il atterrit sur un établi, quelques mètres derrière le tireur. L’impact métallique se noya dans les cris horribles qui se réverbéraient dans le hangar. L’homme armé fit deux fois feu en direction de Kathy avant que Gordon ne l’attrape par le col et l’envoie valser au loin, avec assez de force pour qu’il se brise les os à l’arrivée. Le corps décrivit une gracieuse parabole. Avec une souplesse de chat, l’homme se retourna en plein vol, plongea sur le sol, roula sur une épaule, se releva et se retourna face au vampire.

Étonné, Gordon haussa un sourcil derrière ses lunettes rondes. Le type leva l’arme qu’il n’avait pas lâchée, la pointa sur lui et pressa la détente. Le canon cracha une salve de balles qu’il évita en se jetant sur le côté.

Essaie encore, résidu de cul-de-basse-fosse !

Gordon courut vers son adversaire en zigzaguant, pendant que l’autre empoignait une arme glissée dans sa ranger, sans cesser de mitrailler. La lame très pâle d’une dague jeta un éclair menaçant. Gordon plissa les yeux. Un poignard de Vedra ! Ces types étaient vraiment des pros. La moindre égratignure mettrait des semaines à se refermer. Il obliqua et plongea derrière une armoire métallique. Assez perdu de temps. En un éclair, il ôta son chapeau et ses lunettes, déboutonna le col de sa chemise.

Les hurlements de l’homme s’affaiblissaient. Quoi que Kathy soit en train de lui faire, le son répandait la pestilence de l’agonie. Gordon fit abstraction de ce son terrible, écouta, renifla. Un craquement de verre, une fugace fragrance de Baume du Tigre. À six mètres, sur sa droite. Il se concentra, le pouvoir afflua en lui. Ses muscles vibraient d’énergie, ses crocs l’élançaient. Maintenant !

Il vola littéralement au-dessus du meuble. L’homme l’attendait, genoux fléchis. Au dernier instant, il ramena son bras armé de la dague devant lui pour protéger ses carotides. Les projectiles déchiraient toujours l’air, dans l’espoir de toucher sa cible que la vitesse floutait. Mais le vampire ne visait pas la gorge. Il percuta son adversaire en pleine poitrine, sans quitter la lame maudite des yeux. Sa bouche s’ouvrit démesurément tandis qu’ils roulaient au sol. Il referma ses mâchoires capables de broyer un crâne de loup sur le poignet de l’homme, serra de toutes ses forces. Muscles, tendons, os et cartilage cédèrent sous l’implacable pression.

Achevant son mouvement, Gordon prit appui sur les épaules de son ennemi et bascula derrière lui sans lâcher le membre. La chair céda dans un déchirement humide. Main et dague tombèrent au sol. Le cri terrible de l’homme accompagna sa chute alors que des éclaboussures de sang crépissaient le sol, les meubles et le vampire. Pourtant, l’homme se retourna, continuant d’arroser l’espace de balles. Gordon les évita autant qu’il put, stupéfait. Ces humains avaient été améliorés.

Il fallait en finir. Si leur commanditaire n’était pas stupide, des renforts arriveraient bientôt. Gordon plongea sur l’homme. Même altéré, la perte de sang l’affaiblissait. Le vampire s’élança, attrapa le pistolet et l’envoya au loin. L’homme réussit à se retourner et se mit en garde, plus pâle qu’un spectre. Malgré lui, Gordon en conçut de l’estime pour son adversaire. Ce faquin savait qu’il regardait sa mort en face et pourtant, il continuait à combattre sans demander grâce. Il était plus valeureux que bien des soldats qu’il avait croisés sur les champs de bataille. Cela forçait le respect.

Ave Caesar, morituri te salutant*, songea le vampire, se souvenant des mots qu’il avait lui-même prononcés dans l’arène, une éternité auparavant.

Gordon le salua d’un geste que l’autre ne pouvait pas connaître, avant de bondir. Il méritait de mourir sans souffrance. Les crocs du vampire palpitaient dans sa bouche, avides de s’enfoncer enfin dans une artère humaine, alors qu’ils n'avaient percé la panse que de chiens, moutons ou vaches ces derniers mois. En un éclair, Gordon contourna son adversaire, le plaqua contre lui, dégagea sa gorge et mordit. La première gorgée coula tel un nectar divin dans sa gorge. Il avala avec un gémissement langoureux. Sa verge se tendit dans son pantalon. Il avait toujours trouvé cette réaction mécanique embarrassante, mais là, il n’eut pas l’occasion de s’en soucier. Un irrepressible besoin de boire encore et encore le dominait. Des siècles d’instinct de survie entrèrent en action. Mâchoire contractées, il se rejeta en arrière, s’écrasa au sol en convulsant. Une mousse blanche s’écoulait du coin de ses lèvres. Son adversaire s’effondra à ses côtés, la gorge à demi arrachée. Un sourire satisfait étirait ses lèvres.

Interfecti te subrident.*

Le sang de ces hommes était empoisonné. Par chance, Gordon était trop ancien pour que les effets durent plus de quelques minutes. Et tant mieux, car Kathy s’approchait de lui à la manière d’un prédateur : genoux fléchis, mains en avant, visage impassible. Ses yeux entièrement bleus ne reflétaient que d’insondables abîmes marins.

Elle avait perdu toute humanité.

Gordon luttait encore pour reprendre le contrôle de ses muscles quand elle s’agenouilla près de sa tête. Du bout des doigts, elle lui effleura la joue en une douce caresse. Il se rassura : elle l’avait reconnu.

Et soudain, une douleur terrible traversa son corps. Ses yeux se ratatinèrent dans leurs orbites, sa langue s’assécha, sa peau se couvrit d’humidité. Elle attirait l’eau hors de son corps ! La douleur atroce le fit se cambrer sur le sol. Seuls ses talons et le sommet de son crâne touchaient encore le béton.

L’eau traversait les tissus, formant des micros lésions partout dans son corps, se frayait un chemin à travers son épiderme. La paralysie induite par le poison bloquait ses cordes vocales, mais si elles avaient pu vibrer, nul doute que ses cris auraient été aussi horribles que ceux du mort allongé contre lui.

Il rassembla sa volonté et les dernière gouttes de pouvoir pour armer son bras et balancer son poing dans la mâchoire de Kathy. Ses dents s’entrechoquèrent sous l’impact, ses yeux roulèrent dans leurs orbites et elle s’effondra sur lui. Il se laissa retomber à plat dos, épuisé, un goût de cendre dans la bouche. La misérable l’avait presque desséché.

Il comprenait maintenant pourquoi le Conseil l’avait envoyé, lui, et pas un autre. N’importe quel exogène avec un système sanguin fonctionnel serait mort.

Ce qu’il ne comprenait pas, c’était pourquoi il n’avait pas été averti.

Gordon avait une soudaine envie de dénicher cette vermine d’officier de liaison et de le réduire à l’état de pulpe sanguinolente.

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* Salut César, ceux qui vont mourir te saluent.

* Les morts te sourient.

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