Torche humaine

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Que-ce que je suis censé répondre.

Quand quelqu’un me regarde droit dans les yeux, en pleurant toutes les larmes de son corps.

Et me demande si son âme sœur est en vie ou non.

Alors que c’est moi qui l’ai tué.

« Dis-moi putain. Je veux te l’entendre dire.

— Pourquoi je devrais savoir ?

— Tu as dit son nom dans ton sommeil ! »

Les mots sortent hachés par les claquements de ses dents. Ses sanglots et ses larmes sont inarrêtables. Sa souffrance l’inonde et déborde, m’emportant aussi au passage dans une tornade de regrets et de culpabilité. C’est de ma faute s’il souffre, là, maintenant. Lui qui m’a sauvé, hébergé et nourri.

J’essaye de me raccrocher à ma foi pour ne pas être emporté. À me rappeler que ce n’est qu’une vermine, qu’un parasite, qu’un déchet. Mais je n’y arrive plus. Je n’y arrive plus, car j’ai l’atroce sensation de me voir dans un miroir quelque mois plus tôt. Et j’ai encore suffisamment d’égo pour me considérer comme un être humain.

« Dis-moi Logan !

— OUI ! »

J’ai crié, fatigué par ses hurlements bestiaux incessants. Il fallait que ça sorte. Pour lui, comme pour moi.

« Il est mort, Shuruï. »

C’est terrible. Je la vois, dans ses yeux. Cette lueur d’espoir, s’évanouir, être digérée par la noirceur de sa pupille. Ses pleurs s’arrêtent, son cerveau ne parvient pas à traiter l’information. C’est trop gros, trop immense, trop dévastateur pour avoir la force de sangloter tout en tentant d’accepter la vérité, terrée depuis bien trop de temps au fin fond de son esprit gangréné par le manque.

Il y a des évènements qui séparent la vie en plusieurs morceaux. En plusieurs périodes qu’on peut distinguer très nettement. On ne se rend pas toujours compte lorsque l’on rentre dans une période, mais on sait toujours quand elle se termine. Et j’assiste, impuissant, à la fin de la meilleure période de la vie de cet homme. Le point de non-retour. L’instant précis où rien ne sera plus jamais comme avant. Où le ciel n’aura plus la même couleur, la nourriture le même goût, et son visage le même sourire.

Bordel.

Je chiale. Alors que lui n’y parvient pas. Les yeux immobiles dans les miens, la bouche entre-ouverte. Je m’approche de lui et le prends dans mes bras. Et le pire, c’est que c’est pas pour lui que je le fais. C’est pour moi. C’est ma putain de culpabilité. La culpabilité d’imaginer le nombre de sourires que j’ai anéantis parce que je les pensais sans valeur.

« Désolé… Désolé… »

Je le sers fort contre moi. J’éclate en sanglots.

Voilà pourquoi je ne voulais pas être faible.

Voilà pourquoi je voulais garder la foi.

Torche humaine aveugle qui ne voit pas tout ce qu’elle a brûlé.

Et finit par se noyer dans les cendres.

« Je suis désolé Shuruï… Désolé… »

Je sens que ses vannes commencent à évacuer la pression lorsque mon épaule devient humide et que nos sanglots se mélangent.

Quelle triste ironie. Le tueur et l’endeuillé, pleurant à l’unisson la mort du même être pour des raisons diamétralement opposées. Et Chance à moitié écrasé entre nous deux qui doit se demander ce qu’on fabrique.

Je revois leurs visages. Toutes ces personnes. Ces hommes et femmes qu’on m’a appris à détester, à mépriser, à anéantir. Je me sens si stupide, si minable, de n’avoir jamais réalisé que j’étais plus proche du Diable que de Dieu en rependant le sang sur le sol. Que la parole qu’on me prêchait nourrissait la haine plutôt que la beauté. Je crois que je me hais autant que je hais les uraniens désormais. Bordel.

Je suis tout ce que je déteste chez eux. Tout ce que je détestais. Putain, je sais plus où j’en suis.

Et on reste là, à chialer. On tombe dans une souffrance inarrêtable, résultat d’une plaie qui ne se refermera jamais complètement, et qui laissera occasionnellement son pu transparent couler et être emportée par l’eau de la douche ou absorbé par les draps du lit.

Longtemps.

Très longtemps.

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