Miracle

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Chance ronchonne. Le meilleur antidépresseur.

On n’a pas dit un seul mot depuis cet incident. Shuruï a fini par aller se doucher dans la toute petite pièce qui sert de salle de bain avant de revenir et de se mettre à lire. Il tenait un livre en tout cas, mais je doute que son esprit pût se concentrer sur des mots à cet instant. Ses pensées devaient errer dans une forêt de souvenirs en proie aux flammes, où plus aucune graine ne se planterait. Elle allait disparaître, petit à petit, pour ne laisser qu’un écho lointain et sinistre.

Je soupire. Mais il ne m’entend pas.

Le pire, c’est que je ne crois même pas qu’il m’en veuille.

J’ai presque envie qu’il me déteste. Qu’il me passe à tabac et me fasse souffrir. Je dois probablement espérer expier mes péchés en me faisant punir. Comme un gosse qui préfèrerait se prendre une baffe après avoir fait une grosse connerie pour que ses parents passent rapidement à autre chose. Mais Shuruï ne peut pas passer à autre chose. Et encore moins par la violence. Et ma punition n’en est que plus terrible : être tourmenté de remords et ne plus pouvoir fermer les yeux sans voir des centaines de visages pointant leur doigt accusateur sur moi.

Les prêtres disent que lorsqu’on arrive au purgatoire, on affronte le jugement de tous ceux à qui ont a fait du tord pour avoir accès au salut éternel.

Cette idée me terrifie. La mort n’avait toujours semblée être qu’une simple étape de la vie. Mais maintenant, je donnerai volontiers ma maison et tout ce que je possède pour vivre le plus longtemps possible et retarder mon jugement.

De toute manière à part mon béret, je n’ai plus rien. Ni toit, ni conviction, ni famille.

Peut-être ais-je même perdu Shuruï.

Il ferme son bouquin et se lève subitement avant de se diriger vers le garde manger. Il se retourne et me regarde : « On se fait des patates ? »

Déstabilisé, je ne réponds pas. Il me regarde exactement comme avant. Les coins de ses lèvres ont certes légèrement baissé et ses pas se sont encore ralentis, mais je ne vois aucune animosité dans ses yeux qui ont tant pleuré par ma faute.

« Bon de toute façon y a pu que ça. » soupire-t-il avant de prendre un sac et de le poser sur le comptoir pour les passer sous l’eau gelée de l’évier.

J’ai du mal à concevoir comment il peut me faire à manger maintenant qu’il connaît toute la vérité.

« Shuruï… »

Il se retourne et me regarde avec ses joues bouffies et ses longs cheveux noirs encore humides.

« Nan, rien, oublie. »

Je baisse les yeux, ne souhaitant pas le rappeler à sa souffrance.

« Tu te rappelles tout à l’heure, je t’ai dis pourquoi j’ai nommé le bar "rédemption".

— Ouai, car tu as aidé ton gars à changer.

— Exactement. On a tous le droit à une seconde chance. T’en penses quoi ?

— J’en pense que c’est vraiment PD. »

Il a un léger rictus.

« Je pense que t’as le droit à une seconde chance. Et t’en vouloir ne le ramènera pas de toute manière. Alors si je peux au moins donner un tant soit peu de sens à sa mort, j’imagine qu’elle n’aura pas été complètement vaine. »

Je sais qu’il a raison. Mais bordel…

Bordel… C’est quoi ce…

Cette absence de sifflement ?

Shuruï soupire de soulagement : « Un problème de moins. »

Je me lève et ouvre la fenêtre puis le volet, pour m’assurer que je ne rêve pas.

La tempête s’est arrêtée ! Le blanc qui recouvre la rue me brûle la rétine, si bien que je me retrouve très rapidement à plisser les yeux. Il doit y avoir au moins un bon mètre de neige, une véritable inondation de poudreuse. J’aperçois toutes les fenêtres s’ouvrir. Les enfants hurlent de joie et les parents rigolent en se saluant, le teint encore plus pâle que d’habitude.

Shuruï arrive dernière moi et pose sa main sur mon épaule.

« Tu vois, on a survécu. Et sans s’entre-tuer.

— C’est vrai que c’est un sacré miracle ça. »

On sourit alors que je reconnais l’homme qui était venu nous demander de la nourriture en face en train de nous faire de grands signes. Il parle uranien, mais je pense qu’il nous remercie vu son grand sourire dirigé vers Shuruï.

Des gosses sautent dans la neige par les fenêtres. Je reconnais plus loin dans la rue des notes de guitares, puis de l’autre côté de la trompette et de la flute. La même mélodie s’extirpe de la neige dans tout le quartier et tous les habitants se mettent à chanter à l’unisson.

« C’est la chanson du soleil. Tout le monde la chante à la fin de chaque tempête. Une vieille tradition qui date des premiers colons. »

Tout un peuple qui chante à l’unisson. La mélodie est seulement perturbée par les rires des enfants qui se lancent de la neige en profitant de la chaleur revigorante de l’étoile du système solaire.

Je souris bêtement devant cette scène qui me réchauffe le cœur. Shuruï semble sourire lui aussi. Des jours meilleurs s’annoncent et tout le monde chante dans l’espoir que ce temps magnifique perdure le plus longtemps possible. Un chant d’espoir et de renouveau.

Comme si la guerre s’était arrêtée.

« PROVISIONS GRATUITES. »

Comme si tous les problèmes, pendant un instant, n’existaient plus.

« PROVISIONS GRATUITES. »

Comme si ce soleil apportait la solution à tous les problèmes.

« PROVISIONS GRATUITES. »

Je me sens léger. Comme si mon cœur avait trouvé la paix avec ma tête.

On ne peut pas dire que j’ai fait les bons choix dans ma vie. J’aurai blessé des gens jusqu’à la fin.

Mais j’ai au moins réussi à m’en rendre compte.

Tous les démons de l’enfer pourront me punir autant qu’ils le souhaitent.

J’aurai au moins la satisfaction de savoir que mon dernier choix était le bon.

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