200 tonnes

4 minutes de lecture

J’ai pas la moindre idée de l’heure qu’il est.

Putain c’est atroce de vivre sans ajout oculaire…

Je vois le monde sans filtre amplificateur. Sans filtre lumineux. Sans filtre colorimétrique.

Sans aucune information sur l’environnement.

Pas d’heure, de température, de détection d’armes.

Même pas de rayons lasers qui sortent des yeux.

Nan j’déconne… C’était en option.

« Hey… Comment tu t’appelles ? »

Il s’est assis à côté de moi alors que je buvais une bouteille d’eau au goulot. Je vois bien qu’il n’est pas confortable. C’est pas sa place. J’imagine que c’était celle de son compagnon. J’ai senti tout le canapé s’enfoncer quand son cul s’est enfoncé dans le focuir.

J’hésite un moment avant de lui répondre. De toute manière je suis foutu, cet enfoiré m’a forcément contaminé.

J’ouvre la bouche pour parler. Mais c’est mon œsophage et mon estomac qui tentent de communiquer leur souffrance en essayant de me faire vomir. Quelques gouttes de bille remontent et me brûlent la gorge avant de couler le long de ma langue pour finir dans la seconde bassine à moitié remplie.

Je crois que le pire c’est l’odeur. Et on ne peut même pas ouvrir la fenêtre avec cette tempête.

Ma gerbe me donne envie de gerber.

Mon corps m’envoie des centaines de signaux. Tous les voyants clignotent rouge pour me signifier que quelque chose d’anormal m’a infiltré et doit-être expulsé.

C’connard m’a expliqué que le produit qu’il m’a injecté dans les veines permet d’éviter les gelures et donc les amputations en réchauffant le sang et en le rendant encore plus liquide. Aucune nanotechnologie. Je suis impressionné par leur savoir-faire. Si je peux garder tous mes membres contre quelques heures d’envie de vomir, ça me semble rentable.

« Logan.

— Un vrai Nept, pas vrai ?

— Immigrés de la première vague. Baptisé de naissance et pratiquant.

— J’en doute pas un seul instant. »

Je ne sais même pas pourquoi je lui réponds. J’ai envie de le trouer rien que de voir sa gueule. Si j’étais sur Neptune, je l’aurais déjà fait depuis longtemps pour éviter que sa maladie se propage. Mais ici, il n’est qu’une goutte dans un océan d’infectés. C’est toute leur putain de planète qu’il faudrait raser.

J’entends un petit cliquetis métallique. C’est alors que j’aperçois la boule de poils noire de tout à l’heure rentrer dans la pièce par la chatière de la porte du bar. Mon pauvre, tu devais avoir froid là-bas !

Je repense un instant à mon renard. Ash. Une bête magnifique et d’une intelligence exceptionnelle. Le genre d’animal qu’on n’a qu’une fois dans une vie. Capable de tenir les rats en respect juste avec son aura, tout en gardant sa classe et son style. Bordel qu’est-ce que j’ai pu l’aimer ma bestiole enflammée.

Mais les roues d’un 200 tonnes, ça n’épargne personne.

« Lui c’est Chance me dit-il.

— Quelle ironie pour un chat noir.

— Je l’ai trouvé lors d’une tempête comme celle d’aujourd’hui, il y a 5 ans. Il a frappé à ma porte, comme toi. Et comme pour toi, je l’ai accueilli. Et il ne m’a pas quitté depuis.

— Mmhmm. »

La bête me regarde avec ses grands yeux verts puis se met en boule entre moi et Shurui dans le calme qui caractérise les félins.

« Tu sais combien de temps peut durer une tempête sur Uranus, Logan ?

— 10 à 15 jours. Pas besoin de me le rappeler, j’suis déjà assez mal au point comme ça.

— Oh, mais la porte est grande ouverte. Veille bien à la refermer derrière toi si tu décides de retourner dans le froid. »

Mais c’est qu’il se fout de moi ?! T’as de la chance que je sois aussi faible, je te la ferais bouffer ton écharpe aux couleurs si atrocement choisis. Rien que de la regarder, je sens mes tripes se retourner à nouveau. J’ai l’impression d’être complètement drogué quand je regarde ses motifs colorés immondes.

« Pourquoi tu es revenu ici ?

— Comme si j’avais eu le choix. Je l’ai même pas vraiment décidé. J’me suis retrouvé devant le bar et mon corps a fait le reste.

— Je suis sûr qu’on finira par bien s’entendre. Tu vas voir, on n’est pas plus des monstres que vous.

— Je serai mort dans 2 jours de toute manière.

— Vu le prix de la dose d’Anti-Gel™, t’as pas intérêt.

— Tu m’as forcément infecté. Après 24h j’aurais des plaques jaunes. Après 48 je n’arriverais plus à respirer. Et dans 72 heures, ce cauchemar sera bien loin et je serais au 14ème ciel. »

Il soupire. Son agacement m’énerve. J’ai vraiment l’impression que cet abruti me prend pour un con.

« Alors vous êtes vraiment tous persuadés qu’on vous a envoyé des immigrés jaunâtres pour vous décimer ?

— Bien évidemment, vous êtes des putains de monstres, ton peuple me donne envie de- »

Mon corps essaye de me faire vomir, mais plus rien ne sort désormais. Mon ventre gargouille, mais le médicament m’empêche d’avoir faim.

Je recommence à avoir chaud. Pas le genre de chaleur agréable comme une cheminée lors d’une froide soirée d’hiver. Une chaleur ardente qui vient de sous ma peau et me fait étouffer. Je recommence à suer à grosse goutte alors que ma tête se remet à tourner. En quelques secondes, je me sens basculer à la limite de l’inconscience. Je manque de faire tomber la bassine à gerbe qui est sur mes genoux, mais ce con l’attrape juste à temps.

Alors que ce temple que j’ai façonné avec fierté par des milliers d’heures d’entrainement est en train de me faire souffrir le martyre, je repense aux trois personnes les plus importantes de ma vie. Elle, lui, et Dieu. Je récite dans ma tête une prière. Je n’espère pas qu’il apaise mes tourments, mais je préfère ressentir la chaleur de son amour que celle de ce médicament qui ressemble plus à du poison.

Ce chien me dit quelque chose. Mais je ne l’écoute pas. Mes yeux se ferment.

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