Tout ce qu’il fallait, mon cher, c’était un plan infaillible

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 Le reste du voyage ne fut que machination dans le seul but d’abattre le roi de la partie pour prendre sa place. C’était la partie des blancs contre les noirs, une véritable partie d’échec allait débuter. Dans les noirs, Théobald était devenu le roi sans avoir de reine, si ce ne fut que Rina était à présent à ses côtés en ayant abandonné le roi blanc. Le roi adverse ne savait pas encore que sa reine l’avait laissé et qu’il n’avait plus que de vulgaires pions qui ne réfléchissaient pas par eux-mêmes comme Justin. Selon son ancienne tour, la pièce stratège, la plupart de ses cavaliers et ses fous ont été exterminés il y a bien longtemps, pour qu’il ne le trahisse pas, il ne restait plus que de la vermine pour faire le sale boulot qu’il ne voulait pas faire.

— Avant mon départ, j'ai subi une attaque, est-ce que ce sont les pions dont vous parlez ?

— Exactement, ils les utilisaient pour voir votre force et apparemment, vous lui avez montré à quel point vous étiez puissante. Je l’avais entendu se vanter de dire que les deux derniers étaient relativement forts.

 Elle acquiesça, le capitaine avait mis à leur disposition la salle où il consultait ses plans de navigation, Angel avait prétexté qu’ils en avaient besoin pour discuter de l’organisation du mariage de l’Empereur et que c’était urgent.

— Mariage ?

 Pour le coup tout le monde l’avait regardé avec de la malice dans les yeux, tous savaient que l’Empereur était un intraitable coureur de jupons.

— Et alors ? Il fallait bien trouver un prétexte.

 Rina l’avait regardé, l’air de dire que c’était plutôt le sien qu’elle voudrait organiser, ce qui lui valut une grimace de sa part. La suite s’était déroulée très rapidement, le plan se mettait doucement en place et Rina passait encore plus de temps avec Lyria.

— Que comptez-vous faire après ça toutes les deux ?

— De quoi ?

— Avec Lyria.

— Ce n’est pas le sujet Angel, nous devons trouver l’endroit où Théobald devra habiter quelque temps.

 Elle avait rougi et esquivé, elle n’en avait aucune idée et ne voulait pas s’attarder dessus pour le moment. Ce fut Rina qui continua la discussion, comme pour éloigner son amie le plus possible de ce sujet qui la laissait perplexe.

— Il se fiche de l’endroit où il ira, il n’enverra pas de lettre à sa femme avant son arrivée et ira directement là-bas. Nous pouvons toujours l’envoyer dans ma résidence secondaire.

— Kizune la connaît ?

— Je suis certaine que non et je ne pense pas qu’il soupçonnerait cet endroit si jamais il le connaissait. Ça serait déjà improbable qu’il connaisse notre alliance.

— Vous avez beaucoup de secrets pour un couple si vieux.

— Quand tu sais que ta vie peut être en danger à tout moment, la puissance de l’amour ne compte pas.

 Elle notait quelques notes sur un calepin en sentant bien le regard brûlant de son amie sur elle, même si elle s’abstenait de tout commentaire.
 Justin et Théobald était dans la cabine adjacente à la leur, surveillé tantôt par Angel et tantôt par Jessy. Elles savaient que Théobald était assez digne de confiance mais pas son lascar, avoir le cousin de son maître sous le nez pourrait le faire taire et penser qu’il n'était complice de rien dans le plan si jamais il parlait avec Kizune.

— Quand je pense que sa Majesté lui faisait confiance.

— Tu penses qu’elle va faire quoi ?

 Elle soupira, elle connaissait assez l’Impératrice pour savoir la marche qui allait sûrement suivre quand son domestique rentrerait au palais.

— Il comparaîtra devant le tribunal avec sa Majesté comme juge. Elle verra ce qu’il a fait et verra la sentence qui suivra mais honnêtement, je ne sais pas s’il en sortira indemne, il est au service de la famille royale depuis très longtemps. Le roi était encore de ce monde.

— Pourquoi il n’en sortirait pas indemne ?

— Parce que c’est une Sokl et que quand elle est arrivée sur le trône, elle a renforcé la loi sur la protection de nos semblables pour que nous soyons sur la même égalité que les Jiklo. Bien entendu, beaucoup de Ziny, on fait parler d’eux et je crois que lui aussi. Elle connaît tous ses gardes donc s’il en faisait partie c’est qu’elle lui a donné une chance, il l’a gâché et elle déteste qu’on abuse de sa confiance. Comment avoir confiance en un assassin quand il vit sans arrêt avec la famille royale et impériale ?

— Elle est juste mais il ne faut pas abuser.

— Exactement, alors on verra bien, surtout s’il est parti du pays illégalement en plus.

— Je vois. Elle semble plus honnête que notre empereur.

 Elles riaient avant de continuer leurs recherches sur le lieu de résidence de Théobald, la façon d’annoncer à Kizune leur rupture qui le conduirait à devenir un être plus horrible encore et ensuite la façon dont le roi devait tomber.

— Je ne sais pas si le provoquer et le manipuler est la meilleure manière de faire.

 La culpabilité commençait à se faire sentir chez Rina, elle était réticente à faire ça en étant consciente qui plus est.

— Il a tué énormément de personnes Rina, même l’autre te l’a dit, prends ça comme de la légitime défense et pour la manipulation je pense qu’il a déjà usé de ce pouvoir trop longtemps.

— Avant c’était plus simple, Zluna prenait le dessus, ce n’était pas moi mais là c’est le cas, c’est plus compliqué, tu comprends ?

— Ça se tient. Tu as pratiqué un peu depuis ?

— Oui, la dernière fois que tu les as surveillés, on a repris avec Jessy.

— Il m’a dit que tes esquives étaient de plus en plus parfaites.

— Je fais de mon mieux, je n’ai pas prévu de mourir de sitôt.

 Angel lui lança un sourire avant de la soutenir d’une main sur l’épaule et d’aller au bureau pour rédiger une lettre à l’Empereur, pendant ce temps Rina se plongea dans ses souvenirs avec mélancolie.

Souvenir du 17 février 1899 :

Aller Rina du nerf !

Attends juste deux secondes

La jeune fille reprenait son souffle, son adversaire était brutalement douée et elle peinait à lui tenir tête.

Angel doucement, elle a déjà manié l’épée mais pas autant que toi.

L’épéiste s’était détendue sous l’intervention de son ami et elle avait regardé Rina reprendre son souffle avec difficulté.

Ça fait la sixième séance aujourd’hui, tes esquives sont meilleures mais tes attaques manquent de justesse.

Je sais, j’avais prévu de m’y remettre après l’autre entraînement.

Tu dois pouvoir enchainer les deux Rina, avoir Zluna te confère une grande puissance mais aussi énormément de résistance alors, il faut que tu aies des nerfs et que tu t'accroches.

Angel s’était tourné vers Jessy pour, semble-t-il, avoir son avis.

Dis-moi Jess ? Comment se passent les séances sur la maîtrise ?

Les entraînements que subissait la jeune fille se divisaient en deux parties, Angel s’occupait des combats et Jessy de la maîtrise de Zluna, c’était un spécialiste des manipulations démoniaques alors, il avait tenu à l’aider à s’améliorer. Il l’aidait à provoquer Zluna, à maîtriser sa puissance pour l’utiliser tout en étant consciente, sans se laisser submerger.

Elle se débrouille de mieux en mieux, parfois, elle discute même avec elle.

Avec elle ?

Zluna discute avec Rina, elle a compris que de toute façon c’était Rina qui détenait les rênes et qu’elle devait se tenir tranquille pour pouvoir vivre en paix mais j’avoue qu’à voir c’est assez marrant. Nous, nous n’entendons pas Zluna, c’est dans la tête de Rina alors, elle parle toute seule. Elle arrive donc à la maîtriser partiellement, j’ai par ailleurs remarqué que si nous blessons Rina physiquement la peau se régénère rapidement, elle doit la garder en vie pour vivre m’a dit Rina donc elle l’aide au niveau des blessures.

Parfait, il va falloir intensifier ça quand même pour en être certains en cas de situations extrêmes.

Elle s’était tournée de nouveau vers elle avec une main qui tenait son épée tête en bas et l’autre sur sa hanche.

Prête ?

Sous l’impulsion du sourire de Jessy pour lui donner courage, elle s’était redressée vivement, arme à la main, prête pour de nouvelles séances intensives.

Oui cheffe !

— …Na ? Rina !

— Oui ?

 Elle se redressa sur sa chaise déboussolée, elle était complètement partie ailleurs.

— Tu étais loin là !

— Oui, désolé, tu disais ?

 Elle lui adressa un sourire avant de se lever, sa lettre à la main déjà cachetée.

— Pourrais-tu envoyer cela à tes parents ?

— Ce n'était pas pour l’Empereur ?

— Non c’est une lettre qui leur demande de céder leur propriété secondaire pour quelque temps, j’ai bien spécifié mon identité pour qu’ils ne s'inquiètent pas et j’ai tout expliqué clairement.

— Mais nous arrivons dans peu de temps.

— Oui, mais on en a besoin.

— D’accord, je vais chercher Zlune.

— Non, pas lui.

 Rina arrêta le mouvement de sa main qui allait prendre sa lettre de la main de son amie.

— Pourquoi ?

— Parce que je ne veux pas que ton fiancé se pose des questions. Il n’a plus de nouvelles de son cousin depuis un moment alors, il ne vaut mieux pas, tu vas prendre celui du capitaine qui est beaucoup plus rapide.

— Pourra-t-il s’y retrouver ?

— Bien sûr, ne t’en fais pas, vous êtes-vous échangés beaucoup de lettres durant ton séjour ?

— Que peu, j’en ai envoyé plusieurs sans réponse, je crois qu’il m’en veut énormément de ne pas l’avoir prévue à l’avance de mon départ.

— Quel enfant !

— Je ne te le fais pas dire…

 Le bruit courait que l'arrivée à destination était pour dans quelques heures, Kizune l'attendrait sûrement même s’il lui faisait la tête, elle devait discuter avec lui, elle voulait rompre et elle le devait. C’était le plan.

 Un premier coup de brume retentit dans le bateau, plus qu’une heure avant la fin du voyage, elle venait de boucler sa dernière valise quand Maria arriva en larmes dans sa cabine.

— Mademoiselleeee !

 Elle sanglotait de tout son saoul, tant qu’elle parvenait à peine à respirer, surprise et horrifiée, Rina se ruât vers elle pensant que quelque chose de grave s’était passé.

— Maria calmez-vous voyons, qu’avez-vous ? Vous êtes malade ?

— Je suis vraiment trop heureuse.

 Rina abaissa ses épaules, interloquée, elle venait de lui donner une peur bleue alors qu’en fait, elle pleurait de joie.

— Vous stressez c’est ça ?

— Beaucoup trop !

 Maria prit la jeune fille dans ses bras même si elle manqua de l’étouffer sur le coup, ce qui fit bien rire la jeune femme.

— Voyons, ça va bien se passer, vous verrez, mon petit frère est ronchon mais adorable et je vous rappelle que vous ne venez que la semaine prochaine, vous voyez votre famille avant.

— Vous êtes trop bonne mademoiselle.

 Rina lui caressait le dos avec tendresse, elle avait fait le bon choix, elle en était certaine. Maria irait dans sa famille pour une semaine, elle serait au manoir le dix juin précisément. Par ailleurs, elle avait prévu de rentrer qu’avec ses compagnons et elle avait demandé à ses parents de ne pas se préoccuper d’elle, ils viendraient mais elle devait discuter avec Kizune en priorité, elle en avait même discuté avec sa famille qui n’avait rien rétorquer quand elle en avait parlé.

— Je vais devoir discuter avec mon compagnon sur quelques détails à notre arrivée. Ma famille sera là et la vôtre aussi donc allez avec eux et ne faites pas attention à moi, je rentrerai dans la soirée, ils sont déjà au courant. Rentrez directement chez vous.

— Nous serons les seuls à l’accompagner, nous avons des achats à faire à proximité.

 Angel parla d’une voix autoritaire et même si ses ainés voulaient dire quelque chose, ils étaient trop attachés aux traditions et au rang élevé qu’elle occupait. Ils avaient accepté sans rechigner et à vrai dire, ils devaient se douter que les épéistes n’avaient aucuns achats à faire. Ils allaient s’habiller le plus normalement possible pour ne pas attirer l’attention et les surveiller de loin pendant qu’ils prendraient un verre sur une terrasse non loin d’ici.

 Le bateau se vidait déjà de sa population et Rina entendait déjà jaser sur le scandale qu’il y avait eu, dans peu de temps tout le royaume aura connaissance de ce qui s’était passé. La famille était descendue avec un flot de voyageurs et la jeune fille avait vu les émouvantes retrouvailles qui s’étaient déroulées devant elle. Sur le coup, elle en aurait presque eu les larmes aux yeux si elle n’était pas si déterminée à changer sa vie.
 Lyria s’était pratiquement jeté dans les bras de Tin en sanglotant qu’il lui avait tant manqué alors que Jeanne pleurait à chaudes larmes d’enfin retrouver sa famille. Rina descendit à son tour avec un groupe de passagers et ses surveillants dans les rangs, ils s’étaient rapidement éloignés faisant mine de parler avec d’autres personnes qui étaient justement Théobald et Justin déguisés pour ne pas que Kizune les remarque. Le plan était parfait. Ils demandaient tantôt leur chemin tout en discutant entre eux et tantôt en gardant un œil sur celle qui se précipita vers son fiancé. Il l'accueillit à bras ouvert avec un sourire angélique et faussement amoureux sur les lèvres.

— Mon amour, enfin, je te retrouve.

 Il l’a pris dans ses bras avec ferveur et elle lui rendit son étreinte presque à contre cœur mais elle devait se l’avouer, son cœur se brisait face à ce qu’elle allait faire.

— Ki… Kizune, il faut qu’on parle.

— Je n’aime pas ce ton-là, ma chérie.

— Je suis sérieuse, c’est important.

— Dis-moi ?

— Tu ne veux pas qu’on boive une citronnade en même temps, nous venons juste de nous retrouver.

— Dis celle qui veut parler à peine un pied en dehors du rafiot, mais soit, allons-y.

 Il prenait déjà un ton menaçant et sarcastique, la jeune femme le suivit tout en adressant un regard à ses compagnons qui hochèrent la tête pour la tranquilliser. Malgré tout, elle ne put desserrer la mâchoire qu’une fois leur commande arrivée.

— Qu’as-tu de si important à me dire Rina ?

— Je… Je veux briser nos fiançailles Kizune.

 Même si sa voix n’avait été qu’un murmure, il avait entendu, elle le savait car il s’était presque étouffé en l’entendant.

— Pardon ?

— Tu m’as très bien entendu.

— Tu es au courant que nous devons nous marier l’hiver prochain ?

— Je sais, mais… c’est comme ça.

 Il bougonna deux minutes, il ne l’avait pas du tout anticiper cet événement et elle savait qu’il détestait ne pas tout contrôler.

— Quelle est ta raison ? Tu as rencontré quelqu’un ?

— Pas spécialement, je vois juste depuis longtemps que nous ne sommes plus faits pour être ensemble Kizune, nous étouffons.

— Tu es au courant que ton explication est ridicule pas vrai ? Avoue-le que tu as quelqu’un au moins, sois honnête.

 Elle avait peur, elle sentait qu’il gardait contenance parce qu’il y avait du monde mais il bouillait intérieurement, il avait toujours été profondément jaloux et le fait que Rina ne sortait pas beaucoup l’arrangeait bien mais il n’avait pas pressenti qu’une telle chose pouvait arriver. Elle soupira, même si elle était presque sûre que Théobald n’avait rien dit, elle joua carte sur table en sortant ce qui lui passait par la tête.

— Tu veux tout savoir ? Oui, j'ai rencontré quelqu’un, je l’ai revu du moins mais ce n’était pas prévu. Je n’ai rien fait dans ton dos, j’ai préféré rompre avant. Je préfère partir que de te planter un poignard dans le dos.

— Partir pour mieux manigancer cela derrière mon dos, c’est un coup bien bas ma chère, même pour toi. Ton poignard est dans mon dos depuis que tu ne m’as pas avoué qui tu étais.

— Je te prie de garder des sommations pour plus tard car je sais ce que j’ai fait, puis-je obtenir ton accord ?

— Que puis-je faire de plus de toute façon ?

 Il haussa les épaules avec désinvolture et accepta. Devoir obtenir l’acceptation d’un tel personnage la dégoutait mais elle n’avait pas le choix, sa société était comme cela pour le moment. Rina se leva, posa quelques pièces sur la table pour payer mais il l’arrêta.

— Je ne suis pas encore le plus démuni des hommes pour te laisser payer à ma place.

— Je n’ai jamais pensé ça, mais je veux que tu le saches Kizune, je t’ai aimé de toute mon âme mais on ne pouvait pas rester ensemble.

— Épargne-moi ta pitié, bonne pour les cabots, retourne voir la personne qui me remplace comme si je n’étais rien.

 Elle redressa son regard vers lui et son cœur se brisa, elle voyait bien qu’elle lui faisait horriblement mal mais elle n’avait pas le choix. Même si elle souffrait de faire ça, elle savait qu’elle se sauvegardait quand elle vit son regard glacial, démunie de tout sentiment. Le plan fonctionnait, elle avait sali son estime, il allait se venger, elle en était certaine. Il avait été beaucoup trop calme pour que ça dure éternellement.

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