Les sages parviendraient à étouffer de grands scandales ; les perfides réussiraient à transformer des faits insignifiants en crimes. (1)

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 Le début du périple s’était jusqu’alors bien déroulé, on approchait du trois mai et donc de la fin du premier mois à bord du bateau. Rina se sentait beaucoup plus sereine, même si elle ne le comprenait pas toujours, elle sentait parfois Angel ou Jessy qui la précédait et la suivait pour la protéger. Elle n’avait toujours pas vu Justin, Angel lui avait dit qu’elle ne pouvait perquisitionner et faire des recherches trop voyantes pour ne pas attirer l’attention. Par contre, elle avait croisé Marius à plusieurs reprises, comme s’il la gardait à l'œil, mais il ne semblait pas savoir que la fille du Duc l’accompagnait ni les capacités qu’elle avait.

 Angel était très souvent en robe pour ne pas attirer l’attention et pour ne pas scandaliser les dames du monde quand elle voulait se mettre pieds nus et c’était plus pratique pour dissimuler ses épées. Lyria et Rina se parlaient, se rapprochaient. Un soir, Lyria s’était rendue dans la cabine de son amie pour discuter, elle s’était excusée de son comportement et lui avait demandé de repartir de zéro, elle a accepté. Elle s’en aurait voulu de ne pas avoir essayé et elle avait fait en sorte de recommencer comme si rien de perturbant ne s’était passé entre elles pour lui permettre de s’apaiser. Rina respirait de nouveau, se sentant moins oppressée par les évènements et Lyria pouvait se retrouver près de son amie sans risquer de la blesser. Depuis quelque temps, la famille voyait bien que quelque chose se passait comme si les mots volaient autour d’elles sans jamais se poser sur leurs lèvres.
 Angel avait demandé à la famille de ne poser aucunes questions, ils n’étaient pas au courant pour ceux qui poursuivaient la jeune femme mais elle avait prétexté que les affaires diplomatiques lui pesait déjà assez pour qu’ils ne viennent pas l’ennuyer avec de telles choses. Malheureusement ce temps sans nuages ne pouvait continuer, les soldats dans l’ombre ne pouvaient attendre davantage de temps avant d’abattre leur proie qu’ils observaient depuis des lustres.

 Un midi, durant le repas, tous les voyageurs étaient réunis dans l’immense salle de réception du bateau. La famille était autour d’une table tout comme Angel et Jessy qui discutaient avec l’oncle et la tante de la jeune femme. Rina quant à elle s’amusait à faire des dessins sur la nappe avec sa magie pour amuser Lyria qui rigolait discrètement pour ne pas attirer l’attention sur eux.

— Par contre, pour ta sécurité, Rina, pas de magie trop voyante !

 Angel l’avait sermonné quelques jours auparavant quand elle avait fait des étincelles trop près d’un couple de Jiklo qui avait failli la prendre la main dans le sac. Pour le moment personne ne pouvait voir ce qu’elle fabriquait, pourtant un cri résonna du fond de la salle. Un vieux bonhomme criait à s’en faire exploser le cœur.

— UNE SOKL !

 Il répéta cela en fixant Rina du doigt jusqu’à son évanouissement. Il était impossible qu’il l'ait vu de là où il était et quand elle regarda ses deux protecteurs, elle savait qu’ils étaient d’accord avec elle. Le silence était roi pendant quelques secondes, on pouvait presque entendre les casseroles de Maria au loin mais ça ne dura qu’un temps. Une femme commença à s’agiter et à hurler, puis ce fut le tour de plusieurs hommes et enfants. Tous se réfugiaient où ils pouvaient, pour échapper à celle qu’on avait pointée du doigt sans la moindre preuve. La peur chez ses gens ce n’étaient pas les pouvoirs en eux-mêmes mais le fait que le Sokl avait la possibilité de faire couler le bateau quand il voulait et ils ne souhaitaient pas mourir. Ils pensaient qu’il n’y avait qu’une sorcière mais en réalité, il y en avait neuf.
 Rina les regardait décontenancer, elle n’arrivait pas à articuler un mot et voyant cela, l’épéiste qui, par bonheur, avait revêtu son habit masculin prit la parole d’une voix forte.

— Veuillez garder votre calme et reprendre votre place, je vous prie.

— Qui t’es toi pour causer ! Je l’ai vu cette Sokl de malheur, on va tous mourir !

 La famille voyait bien que le vieux qui venait de reprendre connaissance faisait exprès d’exagérer la situation. C’était Justin sans le moindre doute, il avait été maquillé pour lui donner plus que son âge mais Rina en était certaine, elle le chuchota même à Angel.

— Fais attention, c’est un Ziny, on ne sait pas de quoi il est capable. C’est lui que mon frère a mentionné dans sa lettre.

 Elle hocha la tête pour montrer qu’elle avait compris puis elle sortit un insigne de sa poche de pantalon qu’elle tendit en hauteur pour être à la vue de tous.

— Messieurs-dames, je suis Angelica de Gorguet, fille du Duc de Gorguet et Mage de l’empire d’Econne. Je fais partie de la chevalerie impériale comme vous pouvez le voir sur cet insigne. Si je suis ici, c’est pour raccompagner une figure de l’empire d’Astril à son domicile et donc qu’elle est sous ma plus étroite surveillance. Je ne permettrai en aucun cas un quelconque dommage contre vous.

 Elle plaça sa main droite sur son cœur avant de légèrement s’incliner pour montrer le respect qu’elle leur dévouait. Des murmures rassurés s’élevaient dans l’assistance, apparemment, ils étaient convaincus de la bonne foi que cette femme, sans doute plus élevée hiérarchiquement, qui s’inclinait devant eux. Angel fit un signe à Jessy qui s’avança vers le faux vieillard qui essayait de s’enfuir. Du haut de son mètre quatre-vingts, il arriva à soulever de terre celui qui ne faisait que vingt centimètres de moins que lui.

— Où dois-je l'emmener, mademoiselle de Gorguet ?

— Dans ma cabine, j’arrive.

 Sur son ordre, Jessy claqua ses talons et disparut de la salle, ce qui eut le don de calmer l’assemblée.

— Je vais emmener mademoiselle avec moi, vous pouvez continuer votre repas en paix.

 Elle s’inclina de nouveau et entraîna Rina dans les couloirs pour partir vers sa propre cabine tandis que sa famille continuait tant bien que mal à déjeuner pour ne pas paraître suspecte.

— Quel chien celui-là !

 Rina voyait qu’Angel fulminait, elle n’avait rien vu venir et ça l’exaspérait.

— Que vas-tu lui faire ?

— Je n'en sais rien, mais s’il est dirigé par quelqu'un, on viendra le chercher. S’il était un gars de confiance, on ne l’aurait pas donné en appât comme ça.

 En arrivant dans la cabine, Rina vit qu’elle était plus spacieuse que la sienne mais elle se ne s'en formalisa pas, voir le visage du faux vieillard la débectait déjà assez. Elle resta près de la porte tandis que son amie prit une chaise pour s'asseoir juste en face de lui pendant que Jessy le maintenait en place. Il serait fou d’essayer de s’enfuir, il voyait bien les épées qu’ils avaient et la réaction des gens. S’ils avaient fait confiance à cette femme, c’est qu’elle n’était pas n’importe qui.

— Alors mon petit, on a décidé de mordre aujourd’hui pour faire un bon scandale ? Tu sais bien que le sujet va être rapporté dans toutes les destinations desservies pas vrai ? Mais tu n’as pas anticipé ma venue, je parie ?

 Il ne répondait pas à sa question, elle ne montrait pas que ça l’énervait mais son ton calme et glacial était encore plus effrayant que d’habitude.

— Je te déconseille de me mettre en colère le vieux, pour ta culture on m’appelle aussi le démon aux ailes d’ange et ce n'est pas pour des prunes donc tu vas répondre docilement à ma question. Pour qui tu bosses ?

 Elle n’avait plus rien du vocabulaire distingué qu’elle avait à longueur de journée, comme si elle avait revêtu le costume de chevalière pour ne plus jamais l’enlever. Il fit un geste comme s’il allait lui cracher dessus et au dernier moment Jessy garda ses poignets dans sa main gauche et avec sa main droite il serra son cou d’une légère pression tout en relevant sa tête, Angel jubilait.

— Je te déconseille vivement de faire ça. La raison c’est que tu ne nous connais pas tous les deux, on fait peut-être partie de la garde de sa Majesté mais jeter des gens par-dessus bord la gorge ouverte on sait faire alors tu vas gentiment répondre.

 Rina était horrifiée et époustouflée, ses amis l’impressionnaient et elle avait même l’impression de ne pas les connaître. Jessy lui lança un clin d’œil pour la rassurer mais il enleva quand même doucement l’épée de son fourreau avec sa main droite avant de la pointer dans son dos pour lui montrer que s’il bougeait, il n’avait aucune chance.

— J’attends.

 Elle fit mine de regarder une montre en soulevant sa manche du bout de son gant avant de le regarder de nouveau. Sous l’impulsion de la pointe dans son dos, sa langue se délia très rapidement.

— Je suis sous les ordres de…

— Mademoiselle Rina vous voilà !

— Purée pile au moment où les pourris balancent tout à la moindre frayeur.

— Marius ?

— Qui c’est Rina ?

 Angel avait baragouiné en entendant l’inconnu tout en gardant un œil sur le vieillard qui avait écarquillé les yeux en ayant des sueurs froides tandis que Jessy le maintenait fermement en place.

— C’est monsieur Gling je t’en avais parlé.

— Vous parlez de moi, comme c’est flatteur.

— Pas vraiment non, tiens-le, Jess.

 Elle se leva et se mit à côté de Rina dans l’ouverture de la porte en regardant l’homme droit dans les yeux.

— Pouvez-vous disposer ? C’est une affaire qui ne vous concerne pas.

— Que se passe-t-il ?

— Une affaire qui ne vous concerne pas, dois-je me répéter encore une fois ?

— Nullement, mais je dois partir avec lui, on m’a informé que nous devions descendre à la prochaine escale.

— Vous faites partie de la même machination ?

— Laquelle ?

 Même s’il se moquait ouvertement d’Angel Rina ne voulait pas laisser faire sans réagir.

— Monsieur Gling, pouvez-vous m'accompagner, j’ai besoin de vous.

— Bien-sûr, je viendrais le chercher tout à l’heure.

 Rina adressa un sourire à ses compagnons pour leur montrer qu’elle gérait la situation et qu’ils pouvaient continuer leur travail sans un gêneur dans les parages.

— Le connaissez-vous vraiment monsieur Gling ?

 Ils venaient d’arriver dans la cabine de Rina, elle l’avait fait passer devant elle pour qu’elle puisse récupérer quelque chose dans la profonde poche de sa robe.

— Pas vraiment, on m’a juste demandé de le faire descendre là, pourquoi aviez-vous besoin de moi ?

 Elle venait de fermer la porte et elle concentrait sa magie dans ses mains.

— Nous devons parler.

— Parler de ?

 Il semblait serein, il passait ses doigts sur les livres qui étaient sur le bureau de Rina et il n’avait pas remarqué les étincelles rouges qui jaillissaient des mains de la jeune fille.

— De vous et ce que vous avez à gagner à m’espionner.

— Je ne vois pas de quoi vous…

 Il les vit quand il se retourna vers elle et sa réaction fut un rire nerveux. Elle savait qu’il pouvait avoir une arme sur lui mais il savait qu’il ne pourrait rien contre elle.

— Vous n’ignorez pas que j’habite Zluna pas vrai ?

— Effectivement.

— Donc, vous savez que prendre votre arme ne servira à rien, exact ?

— Je n’en ai…

— Ne faites pas l’innocent. Asseyez-vous, je vous prie.

 Elle lui désigna le lit tout en continuant de montrer sa magie pour qu’il ne l’oublie pas.

— Je sais que vous avez une femme et un fils, et je n’ai pas réellement envie de leur nuire, de ce fait il faut que vous répondiez à mes questions, je sais que vous avez eu vent des actes que j’ai commis.

 Elle avait imaginé cette scène des dizaines de fois depuis les suspicions qu’elle avait et elle était à la fois ravie et terrifiée de voir cette scène devenir réalité.

— Dites-moi.

 Il ne semblait plus aussi fier que d’habitude, au début elle avait vu qu’il la défiait du regard mais depuis qu’elle avait parlé de sa famille il se méfiait. Bien entendu, ce n’était que des paroles en l’air mais ça, il n’en savait rien. Zluna était réputée pour son agressivité alors pourquoi pas son hôte ?

— Pour qui tu travailles ? Je suis pratiquement certaine que tu ne connais pas Justin et que ce n’est pas toi qui l’as embauché.

— Je travaille seul.

— Faux.

— Tu as des preuves ?

— Oui.

— Lesquelles ?

 Rina avait commencé à passer du tutoiement au vouvoiement par intervalles tout en augmentant l’intensité de la couleur entre ses mains en réfléchissant, elle devait la jouer fine et miser juste. Maintenant plus rien ne comptait que la stratégie et la survie.

— Je sais déjà que ton vrai nom n’est pas Marius Gling et qu’on t’a envoyé tout comme Justin pour me tuer sauf que lui ce n’est pas quelqu’un de confiance. Si tu n’étais pas rentré, il aurait tout dit et vous le saviez avec votre patron. La seule personne qui souhaite ma mort c’est mon fiancé et selon votre description et mes renseignements on m’a dit que le cousin de ce dernier était parti nul ne sait où. Je savais que tu me connaissais d’un peu trop près, à mon goût. Le cousin du fameux fiancé n’est pas au royaume, avec les soucis actuels ce n’est pas normal du tout, exact Théobald de Sudeig ?

 Elle le vit se vider de ses couleurs littéralement, il comprit instantanément qu’il était démasqué depuis un moment déjà.

— Depuis quand le savez-vous ?

— Depuis un moment, je ne vous ai jamais fait confiance, vous m’intimidiez et quand notre famille travaille dans les renseignements, c’est assez simple de connaître les gens. C’est bien lui qui vous a demandé de me tuer ?

— Il ne m’a pas demandé de tuer, seulement de surveiller, je connais votre famille du temps où elle était à Hiisop alors ça n’avait rien de compliquer.

— Pour qu’il le fasse plus tard et si jamais Justin devait s’en charger.

— Exact mais Justin l’a fait sans aucuns ordres par manque de sang-froid, c’est juste un Ziny de bas étage.

— Vous en êtes un aussi.

— Non.

— Pourquoi participer alors ?

 Théobald soupira, il savait qu’il était au pied du mur mais elle lui faisait aussi beaucoup de peine. Comment aurait-il réagi si Jane voulait le tuer ?

— Car il a des moyens de pression sur moi et si j’étais un Ziny vous pensez vraiment que j’aurais pris une Sokl pour femme ?

— Sérieusement ? Je dois gober ça ?

— Je pensais que vous aviez de solides renseignements ?

 Il lui lança un regard de défi, ça elle ne l’avait pas anticipé.

— Personnellement, je l’ai toujours trouvé fêlé en ce qui vous concernait, l’amour que vous vous portez n’a rien de bon.

— C’est vous qui nous avez surpris avec Lyria ? Je me trompe ?

— Vous avez raison, mais j’étais satisfait.

 Il gigotait en triturant ses doigts, elle attendait le moment où il allait se rebeller, peut-être quand elle baisserait la garde qu’elle s’efforçait de garder.

— Sous quel angle ?

— Mon cousin devient complètement fou, il dit que c’est pour vous protéger et parce qu’il vous aime mais j’ai beau lui dire que c’est complètement malsain, il me rétorque que j’ai tort. Je savais que si je venais moi, lui communiquant des informations, vous seriez plus en sécurité qu’avec lui.

— Vous voulez que je me mette avec Lyria ?

— Honnêtement ?

— Dans la mesure du possible.

— Oui et non.

— Pouvez-vous être plus clair ?

 Rina sentait une présence au-delà de la porte, elle devait faire vite si elle voulait lui tirer des informations. Dans l'éventualité où c’était Lyria, elle allait rentrer, mais dans le cas où c’était Angel ou Jessy, ils surveilleraient juste, c’était certain.

— Si jamais vous quittez mon cousin, il ne répondra plus de lui, j’en suis certain, mais dans l'éventualité où vous restez avec, il vous tuera, vous. Il pense faire une bonne chose, amenant la paix sur le village et il est persuadé que vous êtes d’accord avec ça.

— Je suppose qu’il pense que je ne maîtrise toujours pas Zluna.

 Elle avait murmuré pour elle-même pour le coup, mais il avait très bien entendu, il en était même sidéré.

— Vous… vous la contrôlez ?

— Monsieur l’espion ne sait même pas ça ? Avec tout le temps que j’ai pris à m'entraîner ?

— J’avoue que non, je vous surveillais seulement quand vos gardes du corps n’étaient pas dans les parages, j’ai entendu parler de leur réputation et je ne voulais pas m’y frotter. Mais est-ce vrai, juste pour m’intimider ou pour que je le dise à Kizune pour qu’il vous laisse tranquille ?

— C’est vrai, vous voulez que je vous fasse une démonstration peut-être ?

— Permettez-moi de refuser votre offre, faites ce petit jeu malsain avec lui.

— À vous entendre, vous voulez sa mort, mon cher.

— Ça s’entend tant que cela ?

 Il lui lança un regard noir, elle pouvait voir toute la haine contenue dans ses yeux clairs.

— Moi qui pensais que vous lui étiez fidèle comme une ombre.

— Je lui suis fidèle pour ne pas le tuer de mes propres mains mais honnêtement Rina. Vous savez ce que c’est qu’être utilisé, vous qui êtes manipulée depuis votre plus jeune âge, donc vous devez savoir ce que je ressens.

— En quoi vous manipule-t-il ?

— Avez-vous entendu parler de moi avant que votre contact vous en parle ? Je suis certain que vous n’avez presque jamais vu ses parents, il manipule tout le monde. Depuis qu’il est enfant, il a un pouvoir colossal, plus grand que ma famille, à laquelle il a demandé de m’envoyer en pension dès mes huit ans pour que je ne le gêne pas.

— C’est une décision de vos parents normalement.

— Même si le gamin n’a que quatre ans, ça ne lui empêche rien si ce qui se présente à lui ne sont que de vulgaires pions.

 Alors un gamin de seulement quatre ans, avait réussi à faire cela ? Si tout était vrai, il était déjà un grand prédateur très jeune.

— Pourquoi me dites-vous tout cela ? Ce sont des choses confidentielles, voulez-vous mourir sous sa main ?

 Il échappa un petit rire.

— Vous misez juste, ce sont des secrets mais à quoi bon ? Je ne veux pas mourir pour ma famille mais je sais que vous pourrez le tuer vous. Je suis son plus fidèle ami et confident mais je ne peux tolérer certaines choses.

— Comment en être si sûr ?

— Vous en avez juste assez de vous voir dicter toute votre vie. Je ne vous suis pas seulement depuis ce voyage mais depuis un bon moment et j’ai bien vu que vous étiez comme une étoile filante ici et non pas l’amas de poussière d’Hiisop.

— La mort n’est pas la seule solution.

 Elle avait gros sur le cœur de tout ce qui lui disait, elle avait du mal à tout assimiler.

— Vous savez bien que si, trop de vies sont en jeu parce que s’il ne vous tue pas, il tuera quelqu’un d’autre pour calmer son obsession. Si vous ne le faites pas, il le fera par un autre moyen. Il n’est pas idiot, loin de là croyez-moi, pour arriver à ses fins il est prêt à tout.

— J’ai une dernière question.

 Elle retenait autant que possible les larmes qui menaçaient de couler, il voyait bien que la couleur de sa magie variait, selon sa détermination et là malgré sa tristesse c’était aussi rouge que le sang.

— Tout notre amour n’a été qu’une simple blague ?

 Il haussa un sourcil, il s’était attendu à n’importe quelle question mais pas à ça, il allait répondre de bon cœur. Il voyait bien qu’elle était démunie face à la situation qui la dépassait complètement, elle voulait juste être aimée finalement, tout comme lui quand il avait rencontré sa femme adorée.

— Non et ça je peux le garantir. Quand il vous a rencontré, il était véritablement conquis, comme s’il avait été submergé par un coup de foudre, même en ne connaissant rien de vous. Même si nous habitons à Hiisop c’est à sa périphérie, presque loin de tout, alors nous n’avons pas toujours des informations fiables à cause des rumeurs. Nous savions que quelqu’un avait eu ce malheur mais qui ? Nul ne savait.

— Comment a-t-il appris ? Je ne l’ai jamais su, en nous quittant la veille tout allait bien et le lendemain c’était un cauchemar.

— Je crois qu’un de ses contacts l’a informé, les regards étaient souvent sur vous quand vous étiez ensemble mais personne n’osait attaquer avec la puissance qu’il possède. Quand il a voulu savoir pourquoi il a vite déchanté.

— Pourtant, ma belle-sœur se porte comme un charme.

— Allez comprendre, il s’est mis dans la tête d’être le héros du village et du monde. Je pense qu’il utilise le prétexte de l’amour pour justifier ça, mais il n'est pas vraiment solide mentalement, mais je pense que vous le savez déjà.

 Rina pivota ses poignets et referma ses mains pour arrêter les pouvoirs qui s’échappaient d’elle comme si elle était lasse de tout ce manège.

— Je vois.

— Sommes-nous dans le même camp ?

— J’aimerais Théobald mais je ne sais si je dois vous faire confiance, vous m’espionnez depuis des années maintenant et comme vous l’avez dit vous êtes son plus fidèle ami.

— Je peux vous proposer un marché.

 Elle le regarda, intriguer, elle ne pouvait pas lui faire confiance mais elle pouvait l’écouter, si ce qu’il disait était vrai, il en avait aussi bavé avec son cousin.

— Tout le village sait l’amour que je porte à ma femme et à mon petit, ils ne savent pas qu’ils sont des Sokl par contre.

 Elle l’écoutait en se rappelant un détail, si les deux parents n’étaient pas tous les deux des Sokl, l’enfant obtenait des pouvoirs par son parent Sokl, obligatoirement. Il était impossible, par contre, que deux Jiklo donnent un enfant Sokl et inversement, que deux Sokl donnent naissance à un enfant Jiklo. Ils pouvaient avoir des pouvoirs faibles mais pas inexistants.

— J’en ai entendu parler. Ensuite ?

— Si je ne respecte pas l’accord que nous allons mettre en place, vous pouvez prendre ma vie ainsi que celle de ma famille.

— Qui me dit que vous tenez tant que ça à la vie ?

— C’est pour ça que je donne celle des miens en même temps.

 Trois coups résonnèrent sur la porte métallique de la cabine, deux secondes après la tête d’Angel émergeait. Ce devait être Jessy qui gardait Justin sous surveillance.

— Alors ? Vous ne vous êtes pas étripé ?

— Pour le moment non. Tu savais qu’il me suivait ?

— Non mais je le supposais, c’est pour ça que j’étais très souvent dans les parages même si tu ne me voyais pas toujours, parfois Jessy me relayait, je savais qu’il ne ferait rien si nous étions là ou si ta famille était non loin, ils sont doués. Le seul moment où j’ai eu peur c’est quand tu m’as parlé de ce que t’avait dit Lyria, pour qu’elle t’en parle ainsi personne ne devait être là et il aurait pu te blesser mais apparemment non.

 Les deux jeunes femmes regardaient l’homme assis en face d’elles. Rina qui avait eu peur de lui au début avait presque pitié à présent, il devait se rendre compte de tout la machination dans laquelle il était en sachant qu’il aurait pu éviter cela bien plus facilement. Angel enchaîna après avoir refermé la porte.

— Dis-moi ? Pourquoi tu n’es pas partie avec ta famille loin de lui ?

— J’y pensais justement, si j’étais partie je n’aurais pas pu subvenir aux besoins des miens. Encore avec seulement ma femme, ç'aurait été, mais mon fils est encore un très jeune enfant, je ne voulais pas lui faire prendre de risques. Je suis peut-être fort en combat et ma femme en tant que Sokl mais mon fils est loin de maitriser ses pouvoirs, celui qu’il prend comme son oncle est sur le seuil de la folie, il pourrait s’en prendre à lui.

— Juste par orgueil ?

— Je vois, mademoiselle, que vous ne le connaissez pas.

 Angel croisa le regard de Rina qui lui confirma ce que lui disait Théobald, elle n’en croyait pas ses oreilles.

— Vivement qu’il trépasse celui-là.

 Rina resta silencieuse, elle ne savait que faire et souhaitait ne rien ajouter pour le moment, elle laissa les deux autres discuter encore un petit peu.

— Je parlais à Rina d’un pacte que nous pourrions faire.

— Dis toujours.

 Rina avait remarqué que quand Angel parlait à ses ennemies ou quand personne de son rang se trouvait dans les parages, elle les tutoyaient ou les appelaient par leur prénom, parfois les deux et là en l’occurrence, c’était un ennemi.

— J’ai juste proposé d’être dans son camp contre mon cousin, en contrepartie, si je la trahis elle peut prendre ma vie et celle de ma famille.

— Tu sembles bien sûr de toi, vous pouvez partir, toi et ta famille et vous ne lui êtes pas fidèle normalement ?

— Comme je viens de vous le dire je ne pourrais pas partir pour le moment, je dois attendre encore un peu de quoi avoir une épargne solide et j’ai expliqué à votre amie pourquoi je ne lui étais pas, ou du moins, plus fidèle.

— Ça ne m'a pas l’air mal, tu en penses quoi Rina ?

 Elle qui écoutait avec attention émergea de sa réflexion, ça ne lui paraissait pas trop mal mais elle voulait une exigence qu’il n’était peut-être pas prêt à accepter de sitôt.

— Je suis d’accord, vous m’aiderez à construire un plan fiable avec l’aide d’Angel et de Jessy, mais à une condition.

 Il la regarda d’un air méfiant, on pouvait voir des sueurs froides pointer sur son front dans l’attente d’une sentence qu’il avait peur d’entendre même de la bouche d’une enfant de dix-huit ans.

— Dites ?

— Vous partez loin d’ici et vous ne participez pas à la mise en route du plan.

— Quoi ?

 Les deux compagnons l'avaient regardé avec des yeux ébahis, comme si elle n’était pas consciente de ce qu’elle disait.

— Le but Rina, c’est qu’il nous aide, sinon ça ne sert à rien.

— Je sais, mais s’il se fait attraper et que Kizune arrive à nous échapper, je ne veux pas que sa famille, aussi innocente soit-elle, court un danger. Nous allons donc préparer un plan minutieux pendant tout le mois qu’il nous reste et l’appliquer à notre retour.

— Tu n’as pas entendu ? Il ne peut pas partir sans épargne.

— J’ai une solution à ça.

 Angel se tourna vers elle, croisa les bras sous sa poitrine et la regarda d’un regard dur.

— Explique-moi.

— Kizune, il y a longtemps, avait créé un compte qui devait être commun. Il y a eu une erreur et le compte a été soi-disant effacé mais heureusement un jour où je suis allé à la banque pour mes parents le banquier m’a dit qu’il avait réussi à le récupérer. Donc…

 Théobald avait bougé dans le dos d’Angel sans que Rina le remarque mais son amie avait bougé un doigt ce qui le fit s'asseoir instantanément avec un râle de douleur.

— Vous êtes malade ? Je voulais seulement récupérer ça !

 Il indiqua un mouchoir en tissu qui était non loin de lui, elle souffla mais lui rendit tout de même l’objet de sa convoitise.

— Tu n’as qu’à pas bouger aussi, continue Rina.

— Il m’avait redonné l’argent pour que je le transmette à mon fiancé et que nous recommencions les démarches si nous le souhaitions mais c’est à ce moment-là qu’il a commencé à changer. J’ai donc décidé de garder l’argent au cas où, bien sûr il n’en a jamais eu vent car il avait décidé de changer de banque et n’y avait plus remis les pieds.

— Où caches-tu tout ça ?

— Dans mon sac.

— Ton sac ?

— Oui j’ai un sac avec un sortilège qui prolonge le fond, c’est dans une boite aussi soumise à un sortilège puissant.

— Ingénieux.

— Passons, êtes-vous d'accord, Théobald ?

 L’homme leva les yeux vers les deux femmes qui le surplombaient en leur lançant un sourire vaincu, après tout qui rechignerait contre un contrat qui vous donne tous les avantages que vous souhaitez le plus ?

— Personnellement, je n’y vois pas d’inconvénients, il est même plus avantageux pour moi.

 Rina hocha la tête et Angel les regardaient d’un œil suspicieux.

— Pourquoi tu te mets autant en danger ?

— Car c’est à moi de tuer celui qui veut ma mort.

 La femme aux cheveux de feu ne répliqua pas, elle ne savait quoi dire. Elle sentait toute la détermination accumulée par Rina et développer davantage ne les avancerait à rien. Autant la laisser faire en veillant sur elle.

(1) Citation de Ahmed Khiat.

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