L'épidémie (1)

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 Le lendemain de son arrivée, Angelica était venue la chercher pour procéder à des achats de première nécessité. Lyria avait choisi de rester pour terminer une leçon de piano qu’elle peinait à apprendre et c’était ainsi qu’elle s’était retrouvée toutes deux. La jeune fille était assez épuisée avec la venue de sa famille, on l’avait prévenu qu’elle serait à présent présentée à tous sous un autre nom pour ne pas faire parler de son petit « défaut », apparemment seuls ses proches savaient qui elle était vraiment.
 À l’écart d’un petit village, les deux jeunes femmes avaient envoyé Zlune pour la famille de Rina. La jeune fille avait écrit le soir même de son arrivée, juste après avoir salué son compagnon de voyage et que sa tante lui donne de quoi faire. Elle avait tenu à leur écrire rapidement pour leur donner un premier ressentit même si c’était une lettre relativement courte.

Bonjour à tous,
J’espère de tout cœur que vous vous portez au mieux à la maison.
Ici tout est impressionnant et stupéfiant, entre l’Empereur, grand-père, notre famille et même Angelica (une jeune femme merveilleuse que j’ai rencontré).
Lyria va pour le mieux et vous embrasse chaleureusement. Je vais de ce pas écrire et envoyer une missive à Tessa pour mon arrivée, je rentrerais rapidement pour permettre à Maria de venir à vos côtés.
Je ne peux vous en dire plus tant que je n’ai pas approfondi mes découvertes.
Très affectueusement,

Rina.

— Pourrions-nous nous rendre au bureau de poste Angelica ? J’ai une autre lettre à envoyer.

— Pourquoi ne pas l’avoir fait avec votre oiseau ?

— Il ne va pas du tout au même endroit, celle-ci doit aller au Pingnal.

— De l’autre côté donc ?

— Exactement !

 Quelque chose dérangeait Rina, une odeur pestilentielle régnait dans l’air de la campagne. C’était un fait qui était dans toutes les rues et qui lui donnait des haut-le-cœur abominable. Partout où elle posait les yeux, elle voyait des fluides corporels qui dégoulinaient sur les pavés à l'intérieur de caniveaux douteux.

— Bons Dieux Angel, n’y a-t-il pas de services d’égouts modernes ici ?

— Nous sommes dans un village, loin de la ville, je doute que cette installation vienne jusqu’ici avant bien longtemps.

— Vous pensez ? Et après on espère que la peste qui sévit actuellement en orient ne viendra pas nous déranger une nouvelle fois. Mais avec ça, croyez-moi que ça viendra !

 Tout en discutant sur les insalubrités du village, elle prenait garde à ses chaussures et au bas de sa robe. Un sursaut la traversa quand une vielle femme débarqua sur son côté sans qu’elle ne s’y prépare, elle était tellement obnubilée par les flaques croupies par des substances non identifiées que la présence l’effraya. Ses joues étaient creuses et son visage ressemblait à du cirage blanchi par le temps. Que se passait-il ? Est-ce que l’odeur immonde avait un quelconque rapport avec l’état de cette femme ? La maladie de la peste était-elle arrivée comme elle l’avait suggérée plus tôt ? Était-ce une autre maladie ? Malgré son état, la femme lui adressa un sourire bancal dépourvu de dentition. Rina essaya tant bien que mal de lui répondre le plus sympathiquement possible mais la surprise avait encore place sur son visage ce qui dégouta la dame qui s’en alla rapidement.

— Mademoiselle ?

 Angel s’était éloigné quelques secondes pour acheter un pain mais la blancheur de Rina l’avait suffisamment inquiétée pour qu’elle revienne rapidement à ses côtés.

— Rina, j’ai vu la femme vous approchez, vous a-t-elle parlé ? Je vous prie de me dire que non.

— Pourquoi ? Est-ce à cause de son état misérable ? Pourquoi n’aurait-elle pas le droit de me parler ?

— Vous n’y êtes pas.

 Rina avait le regard qui cherchait la femme dans la foule matinale mais rien, elle était introuvable. Angelica, elle, la cherchait pour s’assurer qu’elle était suffisamment loin.

— Je ne dis pas cela contre elle mais pour l’épidémie, si elle vous a parlé ça va être compliqué pour vous.

— Je crois que c’est ce dont m’a parlé l’Impératrice avant mon départ. Rappelez-moi la définition de ce terme, je vous prie.

— C’est une maladie qui touche un grand nombre de personnes. Si nous pensons à la peste, c’est une pandémie car elle touche souvent plusieurs continents. Même si actuellement ce n’est pas encore très répandu, je pense effectivement que c’est une pandémie. Elle s’appelle la grippe russe selon un médecin du village mais je n’en sais pas beaucoup plus mis à part qu’il faut être très prudent et porter comme un masque en tissu sur le nez. Elle se transmet par l’air. N’avez-vous pas vu les gens en porter quand ils sortaient de chez eux ?

— Grippe russe dites-vous ? Je sais qu’elle a touché de nombreux pays la décennie précédente. Apparemment énormément de personnes en ont souffert dont beaucoup d’aristocrates et de chefs de pays mais j’avoue ne pas avoir fait attention. Elle ne doit pas faire rage à Hiisop pour qu’il n’y ait pas de rumeurs. Sévit-elle depuis longtemps ?

— Seulement quelques mois je crois, mais pour l’instant elle reste très localisé.

— Ceci explique cela, mais dépêchons, si elle sévit ici, nous devons nous hâter, par sécurité.

— Je vous suis Angel.

 Même si à présent Rina semblait soucieuse de la situation sanitaire qui se propageait dans le pays, elle continuait à faire attention aux flaques crasseuses qui jonchaient le chemin. Elle se demandait ce que faisait le gouvernement pour ne pas doter ses campagnes de moyens d’évacuations dignes de la prestance du pays dans lequel elle vivait. Dans son souvenir les rues de son village n’étaient pas tant encrassées, ce détail aussi futile soit-il lui comprima le cœur, quand pourra-t-elle revoir les siens ?
 L’arrivée à la porte de la poste fut assez complexe, les mesures sanitaires mises en place déconcertaient Rina et elle ne savait pas réellement quoi faire. Les gens devaient attendre dehors au lieu d’entrer à l’intérieur du bâtiment, seuls deux à quatre personnes pouvaient entrer en même temps. Une distribution d’un liquide douteux devait être appliquée sur les mains, forçant les femmes et les hommes à se défaire de leurs gants. D’après Angel le gouvernement avait essayé de multiples façons de réduire la propagation de la maladie, entre distanciation sociale, le liquide visqueux, les masques et même des confinements, mais tout ne fonctionnait pas. Les morts s’accumulaient sans cesse aux pieds des dirigeants impuissants.

— Pardonnez-moi, comment allons-nous faire ?

— Pour quoi ?

— Nous n’avons rien à nous mettre sur le visage.

 Elle montra un jeune couple qui possédait justement un tissu grossier sur le visage devant eux. Un masque qui cachait la moitié du visage, du nez au menton.

— Ne vous en faites pas, j’y avais pensé.

 La jeune femme lui tendit une sorte de masque couleur rouge pourpre et un violet avec deux fils à enfiler derrière les oreilles. Rina la remercia d’un signe de tête avant d’enfiler le sien, elle constata avec amusement la buée qui s’accumulait sur les lunettes de certains passants.

— Bon sang que c’est ennuyeux !

 Une vielle dame semblait avoir entendu la jeune femme qui se posait des questions derrière elle, en se retournant elle lui demanda si elle possédait du rouge pour les lèvres chez elle. La jeune femme la regarda avec étonnement, cette question ne se posait même pas mais à vrai dire, aujourd’hui elle n’avait pas de toilette onéreuse donc la confusion sur son titre était légitime.

— Bien sûr, pourquoi cette question ?

— Si vous connaissez quelqu’un qui possède des lunettes, en rentrant, mettez-en dessus et rincez-les. Le gras va empêcher la buée de vous gâcher la vie. Mon mari a fait les frais de cette expérience et elle fonctionne.(2)

— Ah oui ? Je vous remercie madame, je ferai cela sans attendre.

 Angel paraissait enjoué au moins, si l’épidémie durait et qu’elle devait porter des lunettes, elle saurait comment y faire face.
 La file avança et enfin ce fut au tour des deux jeunes femmes d’entrer dans le bâtiment.

— Bonjour Mesdemoiselles, je vous prie d’appliquer cela sur vos mains.

— Pas de problème.

 Angelica enleva ses gants et tendit les paumes de ses mains vers l’homme en face d’elle qui prit du gel dans un pot avant de l’appliquer sur les mains de la jeune femme.

— Merci, mademoiselle, suivante.

 L’homme répéta son geste sur les mains de Rina qui regarda la substance d’un air interrogateur.

— Frottez-vous les mains jusqu’à ce que le gel disparaisse.

 Elle remercia l’homme d’un sourire et elle fit ce qu’il lui avait dit en entrant dans le bâtiment, gros comme un palace, pour envoyer sa lettre à son amie bien-aimée.

(1) Référence à la Covid-19 survenu en décembre 2019 en France.

(2) Référence à une amie du nom d’Aurélie qui fit part de cette astuce à l’autrice de ce livre.

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