Un seigneur peu ordinaire ? - Partie 2

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Le regard de Jeanne était dur sur sa fille, ne sachant où se mettre la jeune fille aurait voulu se métamorphoser en petite souris pour disparaître dans un petit trou du plancher.

- J’étais juste cu...

- Curieuse comme toujours ! Mais Rina bon sang, combien de fois vais-je devoir te dire qu’un jour ça te mènera à ta propre perte ?!

- Jeanne, veux-tu la sermonner plus tard ? Nous avons d’autres sujets à régler si tu le veux bien.

- Soit ! Débrouillez-vous !

La femme s’était donc allongée sur un des canapés, montrant qu’elle ne voulait plus prendre parti à la discussion et qu’ils n’avaient qu’à gérer ça eux même. La jeune fille reprit une inspiration, mais elle s’étouffa presque quand son frère prit la parole, avec une profonde tristesse et de colère dans la voix.

- Alors comme ça tu déserte ?

- Voyons Tin nous ne sommes pas sur un champ de bataille !

Le ton du père de famille se faisait sermonneur pour protéger sa jeune fille des mots violents de ce garçon qui avait revêtu sa froideur de soldat et de frère apeuré.

- Ce n’est pas ce que tu disais il y a peu pourtant Papa !

- Tin ! Je t’en prie écoute moi s’il te plaît.

Rina triturait nerveusement ses doigts, elle n’osait regarder le visage de son frère, elle ne voulait pas qu’il soit déçu d’elle. Elle se répétait que ce voyage n’était qu’un projet futile et qu’il n’avait pas à s’énerver de la sorte mais durant tout ce temps il avait toujours été là pour elle et il devait ressentir comme une trahison à son geste.

- Vas-y alors. Je t'écoute a.tten.ti.ve.ment.

Tin se dirigea vers son bureau, il fit le tour de celui-ci pour s’installer dans son fauteuil capitonné et plaça ses mains entrelacées sur son bureau. Avec impatience il attendait que sa jeune sœur commence son récit, persuadé que c’était une idée complètement puérile, digne d’un caprice de jeune adolescente. Rina balança son regard autour d’elle, intimidée des regards posés sur elle, aussi lassée fut elle, même sa mère semblait porter un intérêt sur le sujet. Elle prit une chaise de velours rouge au fond du bureau et elle l’installa en plein milieu de la pièce pour ensuite s’asseoir calmement. Après un temps pesant elle leva enfin le regard sur ce garçon qui semblait la détester à ce moment même, elle prit un dernier coup son souffle afin de commencer son monologue.

- Que veux-tu savoir ?

- Je veux savoir pourquoi tu veux partir toute seule en Econne avec Zluna qui plus est.

- Tu sais qui habites là-bas au moins ?

- Ce pays est presque inhabité d’après ce qu’on raconte.

Rina regarda sa mère du coin de l’œil, elle semblait se désintéresser totalement de la conversation. Etant donné que les deux membres de la fratrie avaient une grande complicité, la jeune fille saurait trouver les mots pour se faire comprendre par son frère qui semblait avoir fermé son esprit à l’instant même.

- Là-bas nous avons de la famille surtout…

Un bruit sur le côté de la pièce indiqua que le père de Rina fut abasourdi par ses propos.

- Comment... ?

- Laisse-la parler Jonas, je t’en parlerai plus tard.

Jeanne ne laissa pas le temps à son mari de finir sa question, elle voulait que Rina s’explique par elle-même, après tout c’était la première étape pour démarrer son voyage non ?

- De la famille ? Mais tu délires Rina, nous sommes tous ici, dans ce manoir.

Elle inspira un grand coup, comment expliquer cela avec des bons mots ? Elle se massa doucement les tempes, ses yeux se fermèrent quelques secondes, quand elle les rouvrit son frère la regardait intensément.

- Alors ? Je t’en prie Rina je n’ai pas toute la journée.

Son ton était plus dur, plus cassant, il passa sa grande main masculine dans ses cheveux blonds, si on se fiait à son visage, il semblait surtout impatient de sortir d’ici. Rina se décida enfin de tout lui dire, et ainsi profiter de son reste de patience.

- Hormis la famille de papa nous avons un grand-père en Econne avec toute la famille de maman, il s’appelle...

- Minas Tryni.

Sa mère avait complété la phrase de sa fille, en sachant parfaitement que celle-ci ne connaissait pas le prénom de son aïeul.

- C’est cela oui, donc Minas Tryni, habite là-bas et il abrite...

Son ton se fit plus bas, elle murmura ses derniers mots.

- Lyria, Lyria Mulligan.

Elle examina son frère, son visage semblait s’être vidé de ses couleurs et son expression de lui comprimait le cœur. Elle savait que bien évidement il pensait à Matias tant son expression était le choc le plus pur.

- Comment se ferait-il, enfin, comment est-ce possible qu’il l’héberge ?

- Parce qu’il faisait comme moi…

- Comme toi ? C’est-à-dire ?

- Il aidait les Jiklo.

Un silence assourdissant se déposa comme du plomb dans la pièce. Du coin de l’œil Rina voyait que ses parents se lançaient des regards interrogatifs, Jonas semblait quant à lui complètement perdu.

- Admettons, mais pourquoi elle serait dans ce pays ? Elle ne devait pas être au Pingnal avec Tessa et sa famille ?

- Disons que selon maman, le fait d’avoir longtemps côtoyé des Sokl pour sa famille ce n’était pas acceptable. Ils l’ont renié en quelque sorte. De plus, elle était apparemment la cible d'attaques de Ziny à cause de ses fiançailles avec un de nos amis. Pour sa sécurité il valait mieux qu’elle parte le plus loin possible d’ici.

- Je vois...

Rina voyait que la discussion affectait beaucoup Tin, il ressassait beaucoup de souvenirs d’un coup. Il passa sa main dans ses cheveux d’un mouvement mécanique, son visage montrait à quel point il était sujet à de nombreuses réflexions.

- Mais que compte tu faire là-bas ? C’est très loin, et ce sont des contrées sans doute dangereuses et surtout... tu ne le connais même pas cet homme finalement, ai-je tort ?

- Non tu n’as pas tort... mais il connaît notre existence enfin au moins celle des parents tu sais ? J’ai… aussi pensé que ça pourrait me permettre d’aider Lyria. Je peux faire ça pour Tessa, à cause de ses études elle ne peut pas trop s’en occuper. Mais si bien sûr elle peut rester en sécurité ici, on pourrait l’envisager. Les villageois s’en souviennent peut-être plus maintenant que sa famille est loin.

- Mais attends, il y a quelque chose que je ne comprends pas. Pourquoi n’est-elle pas venu chez nous ? En termes de protection et de connaissance de la haine de ces personnes ont est bien loti non ?

- Euh...

Rina tourna la tête vers sa mère, Jeanne les regardait avec intensité, elle se redressa sur le canapé et se mit correctement assise.

- Disons que, ici elle était constamment exposée à son passé et à la haine des personnes de ce village, là-bas, elle est... comment dire ?

- Incognito ?

- Exactement merci Jonas. Elle est inconnue pour ce peuple et c’est le mieux. Tin tu connais autant qu’elle ce qu’elle vit et ce qu’elle aurait vécu en restant ici. Là-bas personne ne connaît ses anciennes relations, ce qu’elle a vécu. Pour son entrée tout a été construit de toutes pièces, tout est factice même si d’après la dernière lettre de votre grand-père, elle ne sort jamais. Là-bas elle peut oublier ce qui s’est passé.

Rina vis Tin se décomposer au fil du récit de notre mère, tout son passé revenait à la surface et elle ne pensait pas que c’était la meilleure des solutions. Tout à coup, il releva la tête et le regard dans le vide accompagné d’une voix blanche.

- Vas-y Rina.

A cause de sa voix qui était devenue qu’un murmure, Rina n’était pas sûre d’avoir bien entendu.

- Excuse-moi ?

- Vas-y, mais c’est moi qui te le demande et qui vous le demande aussi à vous.

Il avait regardé nos parents d’un coup d’œil appuyé.

- Je voudrais qu’elle y aille, rien que pour protéger ce bout de notre passé qui reste très précieux à mes yeux, surtout si elle est en danger. C’est la seule chose… Enfin, la seule personne qui me rattache un tant soit peu à Matias et je veux protéger cela, si besoin je me chargerais de tous les frais et tous les préparatifs sans aucuns problèmes. Pour le malfrat que vous me parliez elle sera peut-être plus en sécurité aussi loin, il ne s’y attendra pas et là-bas y’aura plus de monde qu’ici.

- Mais tu dois bientôt repartir Tin, ton supérieur n’acceptera jamais une telle absence.

- Je n’ai pas besoin de beaucoup de temps, laissez-moi deux jours, si j’ai l’accord de Sa Majesté l’Impératrice elle pourra partir avant la fin de la semaine.

- La fin de la semaine ? Nous étions mardi, elle partirait dans seulement cinq jours, le jour de l’anniversaire de Tin.

- Mais Tin ça sera le jour de ton...

- Je sais Rin’ et l’énorme cadeau pour moi ça serait que tu prennes soin de Lyria comme tu prends soin de nous, comme si c’était plus que ta propre sœur d’accord ?

- Je te le promets.

- Parfait. Par contre, il reste deux détails à régler.

- Qu’est-ce donc ?

La jeune fille semblait vraiment surprise, elle ne voyait pas à quoi son frère faisait allusion.

- Kizune et Mino.

- Et ? Je ne vois pas ce qu’il vient faire là-dedans pour Mino, les parents ne repartent pas tout de suite.

Les parents ne pipaient mots mais leur enfant semblait perdue, elle ne comprenait vraiment pas le problème qui semblait préoccuper son frère.

- Pour Mino les parents ne pourront pas rester indéfiniment, il faut au moins de mois de bateau juste pour l’aller et lui il va devoir être prévenu et ça ne m’étonnerais pas qu’il t’empêche d’y aller.

Kizune était bel et bien le fiancé de Rina, même si dans leur société les mariages par intérêt se faisaient beaucoup ce n’était pas leur cas, l’amour qui les avaient lié était puissant même si la famille n’était pas vraiment pour cette union assez bouleversante. Au début, ils avaient beaucoup aimé Kizune quand il était arrivé en province mais rapidement, quand il se rendit compte de tout ce que cette famille cachait il devenait violent à l’insu de la jeune fille, malgré les rumeurs Rina n’arrivait pas encore à se résonner. Elle l’aimait bien trop et sa famille n’y pouvait rien mis à part la mettre en garde.

- Je n’en ferai rien, c’est mon choix et il ne dira rien là-dessus.

Tin eu un air satisfait et se leva et les mains toujours posées sur la table il regarda sa mère puis son père.

- Je vais envoyer une missive à l’impératrice pour lui faire part de ce projet. Dans tous les cas Rina ne pourra pas sortir du territoire sans un accord écrit de l’impératrice Lexane en personne, et vu qu’elle aussi est une Sokl, ça ne devrait pas être trop compliqué. Je pense que même sa majesté le Roi ne pourrait pas l’autoriser sans l’accord de sa femme. Pour Mino je sais que la famille de Mia peut le prendre quelques temps si je lui demande.

- On verra ça plus tard, Puño est dans le sapin du fond, je viens de le voir par la fenêtre.

- Merci maman.

Tin sorti donc et Rina commença à lui emboîter le pas pour sortir rapidement de l’oppression ambiante du bureau mais au dernier moment une voix grave et masculine l’arrêta.

- Rina peux-tu rester deux minutes je te prie.

- Oui ?

Elle tourna sur elle-même pour faire face à son père.

- Je vous laisse.

Jeanne avait préféré partir pour les laisser discuter en paix, sachant que son mari préférait discuter seul, surtout avec sa fille et qu’elle l’avait accaparé un long moment.

- Papa... s’il te plaît ne me fais pas de sermon je veux juste me…

- Tu veux bien attendre deux minutes, tu iras te reposer juste après d’accord ?

Elle s’était dit que de toute manière elle n’avait pas vraiment le choix malgré tout elle s’était assise docilement, attendant un sermon qui ne vint pas.

- Je suis fier de toi chérie.

- Excuse-moi ? Pourquoi ?

Rina le regarda interloquée, pourquoi montrait-il de la fierté à un moment pareil ? Elle venait de dire qu’elle partirait très longtemps très loin d’eux.

- Tout simplement parce que tu as du cran. Partir à l’aventure comme ça à seulement dix-huit ans, c’est admirable. C’est surtout que ton souhait est d’aider une jeune femme dans le besoin pour de rencontrer tes racines, et je trouves ça fascinant.

- A ce point ?

- Oui, quitter le village est une chose rude mais faisable de plus en plus pour les jeunes générations surtout pour un métier ou un autre qui requiert des connaissances plus strictes, mais partir du pays est presque impossible pour une personne lambda, mise à part l’impératrice, les rois ou des militaires expérimentés. Tu vas partir dans des contrées inconnues pour une très grande majorité d’entre nous et j’en suis très fière même si tu vas beaucoup nous manquer.

Il reprit son souffle après ce monologue mais reprit la parole rapidement.

- J’espère néanmoins que tu nous rapportera une trace de ton voyage et que tu parviendras à tes fins. J’espère sincèrement que l’impératrice acceptera que tu partes même si je n’en doute pas vraiment avec les raisons aussi nobles que tu possèdes.

- Zluna ne me posera pas de problème ? Je ne peux partir d’Hiisop normalement.

- Tu comptes revenir ?

- Bien sûr.

- Alors tu n’as aucun souci à te faire.

- Oh papa…

Rina se précipita dans les bras de son père, elle était sincèrement heureuse d’avoir sa bénédiction. Ses yeux s’emplirent de larmes mais elles ne coulèrent pas, elle voulait montrer à quel point elle était forte et prête à affronter n’importe quel danger. Quel qu’il soit.

- Aller vas, Mino doit s’impatienter de ton absence.

- Merci papa.

Sur ces derniers mots, Rina s’en alla rapidement du bureau feutré, l’esprit léger. La seule chose qu’elle ne vit pas, ce fut la larme solitaire qui coula le long de la joue de son père.

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