Sunglasses

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Ce matin, je suis arrivée au travail les yeux dans le vague et l’envie de pleurer bloquée dans la gorge. J’ai posé mes affaires dans la réserve de manière lasse. Invraisemblable, la serveuse qui sourit tout le temps si près de craquer. J’enlève les lunettes de soleil du haut de ma tête avec une pointe de remord. Il ne fait même pas beau. J’ai une paire à cent cinquante euros dans les mains mais alors que je la considérait comme un trophée elle n’est maintenant que l’objet d’une nostalgie dévastatrice. J’ai le cœur qui se serre alors que je les remet dans leur étui. J’inspire un grand coup et tente de faire bonne mine. Ça marche, je crois.

J’ai le temps de servir une trentaine de cafés et de voir passer une dizaine de voiture sur le parking avant que la sienne n’arrive. Par réflexe, je jette un œil à la plaque d’immatriculation, mais c’est une habitude obsolète, je la reconnaîtrait entre mille. Je plante mes ongles dans ma peau jusqu’à ce que la douleur me fasse lâcher. Soudain, j’ai l’impression d’étouffer ici. Afin d’échapper à la tension, je prend rapidement une cigarette et prétexte avoir de quoi débarrasser dehors. L’air n’y est pas plus respirable. Je me sens trembler, pourtant je sais que ce n’est pas à cause du froid. J’essaie de me concentrer sur autre chose mais telle une malédiction, mes yeux s’égarent sur lui. Si son pull cache toute forme susceptible d’attirer l’attention, je ne peux m’empêcher de penser que moi, je le sais. Encore une fois, les fantasmes surgissent dans mon esprit, laissant peu de place au reste. J’imagine sa peau contre la mienne, son souffle dans mon cou, sa voix murmurer à mes oreilles et son regard parcourir mon corps sans réserve. Un verre se brise sur le sol dans un bruit peu agréable, me sortant de mon état pensif et peu enclin à travailler. Je lâche un juron, fronçant les sourcils. J’ai cet air stupide collé sur mon visage, alors que je réfléchis comment ça a pu arriver. En levant la tête, je le vois m’observer, le mythique sourire en coin qu’il arbore quand il a plus de choses à dire qu’il ne peut se le permettre. J’inspire un coup et évite de retomber dans le piège. Mon ventre se serre alors que je le frôle pour retourner à l’intérieur. J’ai envie de pleurer.

Ma collègue, dans un élan d’empathie qui ne lui ressemble presque pas me propose de prendre une pause plus longue. Mais je ne peux pas retourner à l’extérieur alors je me réfugie dans la réserve. Je ne sais plus comment on fait pour respirer. Je fouille dans mon sac à la recherche de n’importe quoi qui puisse m’aider, jusqu’à ce que je tombe sur les lunettes de soleil. C’est encore pire. J’allume mon téléphone, ouvre une application, tombe sur son nom. Je vérifie qu’on soit toujours amis. Il n’a pas vu ma story. Evidemment. Je clique sur ce qui se rapproche le plus d’un profil, et mon doigt s’égare sur « supprimer ». En rouge, j’ai l’impression que la phrase m’agresse. Je reste cinq minutes à réfléchir à toutes les conséquences de cet acte, mais dans un élan de courage, je m’y résous. Je reste en apnée en réalisant ce que je venais de faire, mais la respiration qui s’ensuivit eu l’air cent fois plus revigorante que les mille dernières. J’ai eu l’impression qu’elle réactivait mes sens. Je me surprend à sourire. Soudain tout devient tellement évident. Je prend l’étui dans mes mains. Ces Rayban ont l’air plus légères, maintenant. Je le vois écraser le mégot avant de partir et je m’élance vers lui. Il à la main sur la poignée de sa voiture lorsque je prononce son prénom. Il se retourne, surpris, alors que je lui tend la paire avec un grand sourire. De la manière la plus sincère et désinvolte qui soit, je dis :

« Tiens, je n’en aurai plus besoin maintenant. »

Mais ça avait double sens.
Je n’avais pas plus besoin de ces lunettes que de lui, après tout.
Plus maintenant.

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