Folie

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    Elle trébucha, et sans rien pour se rattraper, s'étala de tout son long sur le sol poussiéreux. Sa chute lui arracha un petit cri de douleur lorsque le coin de la table basse rencontra son bras, en lui entaillant légèrement. Se relevant tout en frottant ce dernier, elle se dirigea vers la cuisine, sortit un plateau d'un vieux placard sans porte, ainsi qu'un bol dans lequel elle versa du lait avant d'ajouter des céréales. Saisissant le plateau, elle reprit le chemin du couloir, quand ses yeux rencontrèrent son reflet.

   Depuis deux ans, certaines choses avaient changé. Ses yeux vert pomme n'étaient plus aussi pétillants, ses cheveux brillants ne l'étaient plus autant. Son visage s'était délicatement creusé au niveau des joues, et ses lèvres étaient gercées. Son regard resta longuement planté dans celui de son reflet, détaillant la moindre parcelle de sa peau. Vêtue d'un minishort corail et d'un simple soutien-gorge noir, elle remarqua qu'elle avait maigri, encore. Ses côtes seraient bientôt visibles, elle devait manger. Piochant quelques céréales dans le bol, et haussa les épaules et ouvrit la porte à sa gauche. Une odeur de pourriture s'échappa, lui arrachant une grimace. Elle descendit les quelques escaliers qui la menèrent dans une pièce sombre et humide, seulement équipée d'un matelas crasseux. S'avançant doucement pour ne pas faire de bruit, elle appuya sur l'interrupteur afin d'y voir plus clair. 

   Il se trouvait sous ses yeux, le visage pâle et les yeux révulsés. Ces yeux qui, autrefois, étaient d'un bleu si particulier. Un bleu qui vous faisait rêver. Mais aujourd'hui, ces yeux étaient ternes, vides. Morts. Et ce corps allongé sur ce matelas était dans un état ridiculement pitoyable. Sa jambe gauche avait un angle bizarre, et il manquait certaines parties de la droite. Le haut du corps était mieux conservé, mais ce n'était pas le cas de la tête. Une bouche tordue dans un rictus effroyable, un nez plein de vieux sang séché...et un crâne complètement détruit, dont s'échappaient quelques bouts de cerveau gris, en état de décomposition avancée. Sous sa tête, une large tâche rouge, qui témoignait du choc mortel qu'il avait reçu. Les rares cheveux noirs qui étaient encore présents finiraient par tomber, comme tous les autres. Et bientôt, il n'en resterait plus aucun.

   Le regard de la jeune femme s'assombrit. L'odeur de la mort emplissait la pièce et s'insinuait dans ses narines. Tanguant légèrement, elle mit une main devant sa bouche, comme pour s'empêcher de vomir, mais les nausées se firent plus violentes, et c'est avec un gémissement plaintif qu'elle rendit ses derniers et maigres repas, ainsi qu'une grande quantité de bile. Elle laissa sortir tout ce qu’elle put, persuadée qu’elle se sentirait mieux après. Les larmes lui montèrent aux yeux tandis qu'elle reprenait son souffle, les mains tremblantes. Le plateau qu'elle tenait quelques secondes plus tôt, ainsi que son contenu, s'étaient renversés, et le cadavre était recouvert du liquide blanc qui se trouvait dans le bol. Décoré ainsi de céréales et de lait, l'homme avait l'air encore plus misérable qu'auparavant.

     En le voyant, Calixte ne put se retenir, et éclata brutalement d'un rire cristallin, de ce rire qu'elle seule possédait, ce rire qui entraînait ceux des autres. Elle riait tellement que des larmes perlèrent au coin de ses yeux, mais pas des larmes de tristesse. Non. Se calmant du mieux qu'elle le pu, elle dévora cet homme qu'elle aimait tant du regard, et se recroquevilla doucement sur le sol, à ses côtés. Son sourire avait disparu, remplacé par un visage impassible et un regard vide. Les souvenirs revenaient chaque fois qu'elle se rendait ici, inexorablement. Ils l'écorchaient chaque jour un peu plus, pourtant elle les aimait. Elle les aimait parce qu'ils étaient la seule chose qui restait de lui. Lui qu'elle avait aimée, lui qui était toujours à ses côtés.

    Mais cette fois, Calixte était seule, seule dans une cave mal éclairée, seule avec sa gerbe à ses côtés, seule avec ses larmes pour pleurer, seule avec cet homme dont elle rêvait. Leur amour était destructeur. Le véritable amour est destructeur.

    Aujourd'hui, ils étaient détruits. Lui, mort. Elle, vide.

    Et elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même.

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