Chez elle

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Il y a une suite ?

Je n’arrête pas de me poser la question. Je me balance doucement d’avant en arrière au centre de la baignoire. Mes jambes sont repliées contre mon torse. Je les enserre de mes bras, poussant par moment un gémissement à peine audible.

Un millier de serpents brûlants se jettent sur moi, me mordent, marquent ma chair de sillons pourpre. L’eau est brûlante. Symphonie s’est toujours douchée ainsi, pourquoi aurait-elle fait autrement pour moi ? Ses mains frottent doucement mon dos, s’acharnant à enlever la crasse incrustée depuis des années. Elle a tenté de soigner ma blessure, d'effacer cette marque sanglante sur ma gorge, sans succès. Lasse, elle s'est donc rabattue sur mon corps. Les bras, les jambes, le buste, puis le dos.

Symphonie n’est pas quelqu’un qui abandonne.

Je suis couverte de savon. Après une heure passée à me frictionner, elle remet le bouchon en place, laissant l’eau s’accumuler. La chaleur remonte mes jambes, détend mes muscles courbaturés.

Elle n’a pas dit un mot.

Le savon a pris une nuance de couleur entre le noir de la terre et le rouge du sang. Elle le pose négligemment sur le bord du lavabo une fois son travail fini. Je sens sa main se poser sur ma tête, me forcer à regarder le mur peint en bleu. Elle retire alors ses vêtements. Quelques instants après, elle me rejoint, réduisant mon espace personnel à…rien du tout. Ses jambes se glissent de part et d’autre de mon corps. Ses bras en font le tour, jusqu’à joindre les mains contre mon ventre. Elle me plaque contre elle. Sa peau est glaciale. Je ne peux m’empêcher de frissonner, alors qu’elle me force à pencher la tête en arrière, la calant sur son épaule. Me voilà tenue comme si j'étais son enfant, c'est rassurant d'une certaine façon. Mais... Je me retrouve à fixer le plafond. L’ampoule m’éblouit, un flash lumineux qui me replonge dans l'enfer. Un début de panique me prend. FOUTEZ LE CAMP DE CHEZ MOI ! Je commence à me débattre, elle me bloque.

  • LÂCHEZ-MOI !!

Je deviens hystérique, tapant des poings, des pieds, donnant des coups de tête. Elle ne bronche pas. J'envoie de l'eau partout. Je crie, je pleure, je la griffe, je la mords... Elle ne cède pas, resserre d'autant plus son étreinte.

  • Lâche moi...

Elle serre si fort que j'en ai la respiration coupée ! Mes mouvements ralentissent. La colère, destructrice, s'évapore aussi vite qu'elle est venue. Il ne reste que ma peine.

  • Symph'... J'étouffe..

J'arrive à peine à parler, me sentant tourner de l'œil. Elle finit par s'éloigner. Je pourrais m'échapper, redevenir enragée, hurler ma haine au monde.

Je n'en ai plus la force.

De légers mouvements attirent mon attention. Devant moi, elle agite les doigts de sa main gauche avant de former un poing qu'elle cogne sans bruit contre son autre paume, grande ouverte. Puis, du pouce, elle pointe sa tête toute proche de la mienne.

[Je suis là.]

Je renifle bruyamment avant de les lui saisir, si fort que les extrémités de ses doigts deviennent blancs.

  • Merci..

Je me penche légèrement en avant, ferme les yeux du plus fort que je peux. D'autres spasmes me prennent. J'essaye de les retenir, elle me tapote le dos. Papa... Maman... Les larmes forcent le passage. Je prends soudainement une grande inspiration, plus par instinct de survie que de mon propre chef, j'avais la respiration coupée. Je crache des filets de bave, hoquetant en silence.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée ainsi. En tout cas, Symphonie a fini par me sortir à la seule force de ses bras, allant m'allonger sur son grand canapé. La tête embrumée, je caresse le tissu. J'ai toujours aimé ce gros sofa à l'américaine. Je me souviens des soirées que nous avons passé dessus, à regarder des films, discuter de ses relations amoureuses tumultueuses, de nos vies respectives... Une couette s'écrase sur moi, me tirant de mes rêveries.

  • Hey !

Ma tête émerge de sous le tas de couvertures. Je gronde de colère, la voyant me sourire de façon narquoise, uniquement vêtue d'une petite culotte noire. Elle se tapote vivement la tempe de son index droit avant de faire un rapide cercle dans le vide avec ce dernier et son pouce, formant un rond horizontal.

[Réflexe !]

  • Sale peste !

Elle me fait les gros yeux, allant prendre un soutien-gorge de la même couleur qu'elle enfile tranquillement. Je soupire en étalant correctement le drap sur mon corps. J'ai légèrement froid, après tout, je suis en tenue d'Eve. Je la regarde finir de s'habiller, enfiler un débardeur blanc et une jupe rose. L'ensemble est... troublant. Ses jambes à moitié nues font quelques pas de dances, alors qu'elle se juche sur la pointe des pieds pour se grandir encore plus qu'elle ne l'est. Ses sous-vêtements noirs sont visibles à travers le tissu, cassant avec le côté clair initialement recherché. Symphonie n'a jamais été douée pour les vêtements, ce dont elle se justifie toujours par son absence totale de pudeur. Sur ce point, je ne peux qu'être d'accord avec elle.

En silence, elle s'oriente vers la cuisine, se saisissant de son téléphone au passage. Elle pianote agilement en me faisant un clin d'œil. J'ai appris à me méfier d'elle, commence à craindre le pire !.. Une musique se lance, résonnant sur les murs de son petit appartement de 40m². Elle augmente le volume jusqu'à faire trembler le placo sous les assauts de Good Charlotte, un groupe de pop punk américain que j'ai l'habitude de mettre pendant la traite. Les paroles de Misery(1) emplissent bien vite son salon-à-tout-faire. Je souris tristement en écoutant Joel clamer son besoin de tristesse, car c'est elle qui le tient en vie. Maintenant, ses paroles ont une toute autre signification pour moi.

Au bord d'un nouveau malaise, je me recentre sur ma sauveuse. Je la regarde se mouvoir sans aucune coordination avec la musique. Elle ouvre ses placards, sort ses bocaux desquels elle extirpe farine et sucre. D'une étagère, elle attrape une grande poêle, puis s'en va quérir œufs et beurre auprès de l'ami frigo. Je commence à saisir où elle veut en venir.

Je redeviens peu à peu amorphe. La musique et les mouvements de mon amie me bercent, m'éloignent de ce gouffre terrifiant que je longe sans arriver à m'en détacher.

C'est donc ça, la suite ? Des crêpes ?..

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(1) https://www.youtube.com/watch?v=LCTM37-OwnI

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