Course nocturne

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Je regarde depuis mon balcon les quelques joggeurs s'enfoncer dans la nuit. Les berges, plongées dans les ombres du soir, semblent dévorer ces corps sportifs, élancés ; ceux qui courent à cette heure sont les plus motivés.

Je me suis préparée. J'ai revêtu mon plus bel ensemble : pantalon de sport, vieux T-shirt, baskets hors d'âge. Je veux moi aussi me jeter dans le gouffre de la nuit.

L'air est froid mais revigorant. C'est agréable. Le vent coule sur la peau nue de mes bras, mon visage, mes doigts s'engourdissent. Bientôt la chaleur de l'effort me donne cette force bien connue des sportifs : la nuit ne peut pas me vaincre. Pas ce soir, en tout cas. Mes sens sont en éveil, mon corps se met en branle, il est innarrêtable.

Je m'engage sur la berge. La lumière de la ville disparaît peu à peu, l'obscurité prend place. Mon coeur s'accélère un peu plus, l'angoisse s'ajoute à l'effort. Je croise un coureur, deux, puis plus personne : je suis seule. Je cours.

J'attends.

Il est là. Quelque part. Je le sais. Il va se jeter sur moi. D'un moment à l'autre, mon corps va perdre son équilibre, je vais voir à nouveau la bouche des ténèbres. Le canon court d'un fusil à pompe équipé d'un silencieux, impressionnant, démoniaque. La mort sans bruit, la mort sans témoin. Mais la mort, certainement.

Je continue ma course. Je n'ai plus froid. L'air qui rentre dans mon corps est instantanément réchauffé par l'effort. J'arrive au point où je dois choisir : continuer de courir, ou m'arrêter là. Abandonner. Si je ralentis, je suis foutue. Si je jette l'éponge, alors le soulagement sera brutal, total, divin. Mais si je persévère, alors mon effort sera récompensé par cette sensation de puissance, d'invulnérabilité : la douleur sera vaincue, mes jambes me porteront aussi loin que mon équilibre le permettra. Pas de point de côté. Tout va bien. Encore, encore. Plus vite.

Soudain, une ombre se jette sur moi. Surgie des fourrés, comme un prédateur, ça me prend aux jambes, me coupe, me lacère. Je tombe. Je ne crie même pas.

Un coup, deux, mes dents éclatent, mon nez se tord, mon visage est en sang. Je me débats, lance un pied qui rate sa cible. L'homme est bien trop rapide, c'est un guépard. Je ne le vois qu'à peine.

Il se redresse.

Le fusil.

Je vois le canon se soulever, doucement, comme s'il se délectait de l'instant. Je ne bouge plus.

J'attends la mort silencieuse.

Une détonation. La silhouette disparaît. De sa tête j'ai vu jaillir quelque chose. Quelque chose qui se répand maintenant sur mon visage, un liquide chaud et sirupeux. Félange apparaît.

Arme au poing, il me lance un sourire. Me demande si ça va. Je réponds... Je ne réponds rien.

Je soulève la tête de l'homme, il en manque une partie. Mais reste, comme si elle avait été faite de la veille, une trace que je m'attendais à trouver. Une cicatrice sur son front.

Swann a été trop pressé, ce soir. Trop pressé d'en finir.

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