Un petit café si accueillant

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Il est dix-sept heures vingt quand je m'extrais de la gare avec l'impression de naître à nouveau : l'extérieur est froid, bruyant, agressif.

Je vérifie l'adresse sur mon portable.

Empruntant le boulevard de l'Hôpital, je me dirige, toujours à pied, vers la place d'Italie. Les bruits de la circulation dense de cette fin d'après-midi sont noyés par intermittence sous les vibrations du métro aérien. La ligne disparaît bientôt sous terre, dans les sous-sols creux de la ville. Les passants se heurtent, les automobilistes klaxonnent : tout est congestionné.

De la place je me rends dans cette petite rue où l'on peut trouver l'Entre-temps, un lieu un peu désuet bien que chaleureux, aux chaises rouges et à la décoration boisée.

À mon arrivée, je repère rapidement l'homme qui me fixe avec insistance depuis le fond de la salle. Je m'approche prudemment. Il me fait signe de m'asseoir.

« Lande ?

Je présente ma plaque.

  • J'ai peu de temps, alors je vais faire vite.

Ma curiosité est on ne peut plus attisée.

  • Vous avez toute mon attention, monsieur... ?
  • Yanis. Je m'appelle Yanis.
  • Je vous écoute, Yanis.
  • Le type que vous cherchez, c'est le même qui a tué les deux jeunes en 1997. Sûrement un infiltré.

Je le regarde avec perplexité. Le garçon de café nous invite à commander ; je demande un chocolat chaud, Yanis un café serré.

  • Qu'est ce qui vous fait penser que c'était un flic ?
  • Je n'en suis pas sûr, mais après ça, on ne l'a plus jamais revu à Essy. Ça n'avait pas de sens. On était plusieurs à penser que les deux l'avaient grillé, et qu'il a paniqué. Quelqu'un a dû le protéger.
  • Vous aviez quel âge, à l'époque ?
  • Dix-sept ans. Mais on s'en fout. Ce qui compte, c'est que je me souviens de ce gars. Swann. Il se faisait appeler Swann. Pas très grand, pas très baraqué. Plutôt fin, même. Dans ses yeux, il y avait quelque chose de... taré.

C'est probablement le même regard qui avait effrayé Lounes, cette nuit là.

  • Et pourquoi êtes-vous convaincu que c'est bien le même homme ?
  • Parce que mon cousin l'a rencontré. Foued Ouadan. Il gérait une grosse partie du deal sur votre ville, depuis le quartier sud.

Là où les meurtres ont eu lieu.

  • Début 2013, un type est venu le voir pour lui proposer un marché. Foued retirait ses troupes du centre-ville, et en échange, il empochait un maximum de blé. Net d'impôt, et sans avoir besoin de payer ses gars. Alors il a réfléchi.
  • Et ?
  • Il a accepté l'offre. Faut dire que l'autre lui avait salement fichu la trouille. Suffisamment pour me mettre au courant. Juste au cas-où.

Nous faisons silence un court instant. Le serveur nous apporte notre commande. Nous buvons. Il reprend :

  • Foued m'a dit quelque chose qui m'a fait tilter. Le gars dont on parle a un truc spécial. Et c'est pas que ses yeux. Déjà, en 97... Une cicatrice sur le front. Comme un impact de balle.

Lounes n'en avait pas parlé, mais il avait bien précisé que l'homme en noir portait un bonnet la nuit des meurtres. Je sors le portrait-robot de ma sacoche et le tend à Yanis.

  • C'est... il ressemble à ça, ouais.

Du doigt il pointe l'endroit du portrait où la blessure est censée se trouver.

  • Là.

Je sens Yanis sur le point de craquer.

  • Il a l'air d'en connaître un rayon, votre cousin. Où est-ce qu'il est, maintenant ?
  • Au cimetière des Acacias. Ça a fait une petite bafouille dans votre canard local, et vous avez laissé crever l'affaire. Vous vous souvenez pas ? Vérifiez. Ça va faire un an qu'il a été tué.

Il enfouit sa tête dans ses mains. Quand Yanis se redresse, il me regarde droit dans les yeux avec une intensité qui me déstabilise.

  • Foued... Il a demandé au type pourquoi il voulait virer les dealers du centre. L'autre a répondu que lui s'en foutait, mais que certains en seraient extrêmement satisfaits. Vous comprenez ?

Oui, je comprends. Ce n'était qu'un messager. Yanis poursuit fébrilement.

  • Le commanditaire, personne sait qui c'est. Personne, à part peut-être ce politique. Rochard. Il avait trouvé des trucs. C'est sûr...
  • Pourquoi vous l'aviez mis sur le coup ?
  • Quand j'ai appris pour mon cousin, je voulais pas laisser le truc aux flics. Rochard l'avait vu grandir, ils se connaissaient bien. Rien à voir avec les affaires, le vieux était un type réglo. Il connaissait le quartier comme sa poche. Alors je l'ai appelé, je lui ai dit la même chose qu'à vous. Il m'a assuré qu'il mènerait son enquête.

Il marque un temps, ses yeux se perdent derrière moi. Puis il conclut :

  • Ce qu'il a trouvé exactement, j'en sais rien. Mais il n'a pas dû suivre la même piste que vos collègues. »

Nous restons quelques secondes à nous regarder, nous jauger. Yanis, toujours nerveux, scrute l'entrée du café, bouge frénétiquement la tête. Ses pupilles vont et viennent dans le fond jaune de ses yeux fatigués.

Mon téléphone vibre. Un texto de Félange. Mon informateur se lève pour aller payer les consommations ; il est sur le point de partir.

« Vous faites quoi ?

  • Je me casse. Qu'est-ce qu'il y a ?
  • Vous n'allez nulle part. »

Sous mes yeux s'affiche le message de mon collègue.

« José introuvable. Reste sur tes gardes. F. »

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