IX

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A trois heures du matin, il a fallu réveiller les journalistes – ce fut facile – et les blessés. Là, ce fut nettement plus dur.

On a pas été très sympa avec les FER mais putain, on s’en foutait bien. C’est le Gros et Erk qui nous inquiétaient. Les deux avaient de la fièvre, forcément. Le géant s’est réveillé assez rapidement mais il était vaseux. Quand il a vu que le Gros n’allait pas bien, il s’est traîné jusqu’à lui pour le soigner.

- Kris, j’ai peur pour son bras.

- Comment ça ?

- Je… la plaie n’a jamais été soignée et elle s’est infectée. J’ai fait ce que j’ai pu hier mais je ne peux rien contre… la gangrène.

- Ecoute, Tito a bien nettoyé hier et on verra ce que Doc peut faire. On va lui filer de l’ibuprofène et un des foutus Fils de… sa mère le portera. Y en a un des deux qu’est assez ingambe.

- On ne peut pas leur confier le Gros, Kris, ils vont lui faire mal.

- Non, ils répondront de sa vie sur la leur. Tu te souviens de l’huile essentielle contre la fièvre ?

Erk claquait des dents et transpirait à grosses gouttes.

- Gaulthérie, je crois. Pas la couchée, l’autre.

- Merci. J’espère que j’en ai, dit-il en farfouillant dans son sac.

Je comprends maintenant pourquoi c’est Erk qui lui portait ses rations. Dans son sac à lui, y a toute une pharmacie spéciale Islandais…

- Merde ! Pas de gaulthérie…

- Ravintsara, alors ?

- Ça j’ai ! File-moi tes poignets.

L’adrénaline était tombée, pendant son sommeil, ses muscles s’étaient refroidis. Il avait du mal à tendre le bras droit, blessé. Kris lui a pris le poignet, a posé deux gouttes d’HE dessus et massé. Il a fait pareil avec le gauche.

- On va espérer que ça va t’aider.

Le voyant claquer des dents, la journaliste a voulu lui rendre sa veste mais il a refusé, disant qu’il ne voulait pas mettre de sang dessus. Mais en fait, c’est parce que sinon la pauvre fille, torse nu puisque les FER lui avaient déchiré ses fringues, risquait de se les cailler et qu’il ne supportait pas ça.

Il a pris sa couverture et se l’est mise sur les épaules. Et puis il s’est levé, a pris le Gros dans ses bras et est sorti de la grotte avant qu’on réagisse.

- Erik ! Merde, arrête !

Instoppable, le Viking. Instoppable et tremblant de fièvre. Kris l’a chopé par le colback, lui a filé un – léger – coup de tatane dans le creux du genou pour le faire tomber et l’arrêter. Erk n’a pas lâché le blessé, mais si son frangin ne l’avait pas retenu, il serait tombé la tête la première.

- Arrête ça, crétin. Tito, amène-moi un des FER.

Le FER en question a cru que, parce que Tito était plus petit que lui, il pourrait lui échapper. Il a vite compris son erreur, le nez dans la caillasse et la botte de Tito sur le cul. Le mec parlant dari, c’est Frisé qui lui a expliqué le deal : il porterait le blessé, et chaque bleu au blessé lui serait rendu au triple par lui, Frisé. A l’autre, il a expliqué la même chose, car ils allaient se relayer pour porter le Gros.

Kris a relevé son frère, a passé son bras gauche en travers de ses épaules et a pris la direction de la base. En tête, P’tite Tête et Tito, puis les FER avec le Lieutenant, Frisé et Lullaby, les journalistes, Kris et son frangin, Baby Jane et ma pomme qui fermaient la marche.

On allait moins vite qu’à l’aller, forcément. Entre le Viking qui se traînait, les journalistes qui n’avaient pas l’habitude de marcher et les FER qui portaient le Gros, on allait à peine plus vite que l’escargot du proverbe.

Pour la nuit, on avait éteint nos oreillettes – sauf les sentinelles – et P’tite Tête s’était déconnecté. Kris avait rallumé la sienne en se réveillant et a contacté la base.

- Lin ?

- Kris ? Au rapport !

A 4 h du matin, elle avait l’air aussi pimpant qu’à 10 h. Argh, comment fait-elle ?

Kris a fait son rapport en islandais, à cause des oreilles indiscrètes. Je voyais ses yeux qui glissaient très souvent vers son frangin, lequel semblait marcher par habitude. Ou parce que c’était la mode. Il s’appuyait lourdement sur son p’tit frère et avait les yeux à peine ouverts.

- Lin, t’as un moyen de locomotion autre que nos pieds ?

- Pourquoi cette question ?

- Erik a de la fièvre, il est pas tout à fait opérationnel. Et il est lourd, ce con. On a retrouvé le 2ème Lieutenant, qui est blessé et pas du tout opérationnel, lui. Plus deux FER, ingambes mais pas rapides. Et j’te parle pas des journalistes.

- Si vous pouvez tenir une journée de plus, je dois recevoir une Land-Rover demain. Elle peut vous récupérer une fois que vous aurez traversé la rivière.

- C’est jouable, je pense. J’en profiterai pour faire baisser la fièvre du couillon dedans, vu comment elle est froide.

- J’ai pas envie d’un bain tout habillé, a marmonné Erk qui avait aussi rallumé son oreillette au réveil.

- Tiens, t’es vivant, toi ! s’est exclamée Lin. Et elle s’est mise à lui débiter toute une tirade en islandais, je suppose, qu’il a religieusement écouté. Il a été tenté d’éteindre l’oreillette, mais sa main droite lui a refusé tout service.

- , Lin. .

Hop, mis au pas, le Viking ! C’est pas que ça me réjouisse, mais ça faisait bizarre de voir cette montagne de type se comporter aussi sagement.

- Tu t’es fait remonter les bretelles, on dirait, couillon.

- Oui, un peu. Mais elle veut que je continue de jouer les preux chevaliers…

- Quoi ? a fait Kris, surpris.

- Paraît que ce serait un bon exemple pour les autres…

- Ouais, ben ce serait vachement mauvais pour ta santé, bróðir.

- Je suis assez d’accord. Mais tu sais bien que je suis câblé comme ça…

- C’est bien ce qui m’inquiète, tu sais. Dis, ça a l’air d’aller mieux ?

- Oui, ravintsara a fait du bien. J’aurais préféré de la gaulthérie, c’est plus efficace, mais ça a l’air de marcher.

- Tant mieux.

On a atteint la rivière le lendemain dans l’après-midi et on l’a traversée à gué. A cause de l’érosion par la rivière quand elle est en crue, y a plein d’abris au pied de la falaise qu’elle longe. Pas des grottes, plutôt des renfoncements. On a couché nos blessés là. Erk avait l’air d’aller un peu mieux, mais il s’est endormi dès qu’il a été allongé. Kris lui a posé une compresse mouillée et froide sur le front, une autre dans le cou, et a fait pareil pour le Gros. L’idéal, c’aurait été une troisième à l’aine, mais on n’allait pas les déshabiller devant les autres, quand même. On a vérifié et refait les pansements, y compris ceux de nos prisonniers.

La journaliste et son caméraman avaient l’air dans leurs petits souliers. J’veux dire, ils paraissaient contents d’être tirés d’affaires, mais ils regardaient souvent le géant et il semblait y avoir de la culpabilité dans leurs yeux. Tant mieux ! Ça fait longtemps qu’on sait que ce coin n’est pas accueillant pour les non-combattants non-locaux, et encore moins pour les femmes.

Elle s’est approchée du Viking, elle voulait aider. Kris a profité que son frère dormait pour l’envoyer chier.

- Non, vous en avez assez fait pour lui.

- Mais…

- S’il est dans cet état, c’est pour sauver vos miches, alors foutez-lui la paix !

Elle a commencé à lui faire les gros yeux, il l’a fusillée du regard.

- Comme tous les journalistes, vous vouliez un Pulitzer, hein ? Ben vous savez quoi, c’est du fond d’un bordel à soldats que vous l’auriez écrit, votre papier ! S’ils vous avaient laissé un peu de temps entre deux passes pour ça ! Ou si leurs premiers « câlins » vous avaient laissée en vie !

Elle est devenue toute blanche. Le caméraman a voulu prendre sa défense, mais les yeux devenus gris acier du Lieutenant l’ont fait taire. Il a été très dur, ses mots étaient volontairement blessants – sans parler d’être grossiers – et, finalement, je le comprends. La journaliste, son cul, son prix Pulitzer, j’en ai rien à foutre. Mais mon frère d’armes, ça c’est important.

C’était tendu, le dîner.

Grâce à la Land-Rover qui viendrait nous chercher le lendemain, on avait des rations en rab. Mais on a juste filé celle d’Erk aux journalistes, et une autre aux prisonniers. Faudrait qu’ils se débrouillent. Libre à Lin de les chouchouter, ces fauteurs de trouble, mais nous, on l’avait plutôt mauvaise.

Tito a proposé à Kris de veiller son frère et le Gros une partie de la nuit, pour qu’il puisse dormir. Le Lieutenant a accepté. On l’a laissé dormir toute la nuit, il était crevé. Baby Jane a pris le relais de Tito.

J’ai surpris des gestes envers le Viking, de la part de ces deux-là. J’veux dire, quand ils ont rafraîchi les compresses, ou quand ils ont touché ses joues pour avoir une idée de la fièvre, ils l’ont fait… avec tendresse. Baby Jane, je m’y attendais. Mais Tito… je ne savais pas qu’il marchait sur le trottoir d’en face… Il a vu que je le regardais – j’étais de garde dehors – et il m’a souri. Je m’attendais à beaucoup de choses, mais pas à ce sourire. Je lui ai rendu.

* *

Le Viking a ouvert les yeux ! Juste assez longtemps pour s’assurer que son frangin était là et puis il les a refermés. Doc nous dit que c’est bon signe. On se sent mieux, tous.





[bróðir : islandais : frère - Jà : islandais : oui]

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