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Lin en personne conduisait le pick-up Land-Rover qui est arrivé à notre planque le lendemain juste après le déjeuner.

Les pistes sont étroites par ici, et Lin ne voulait pas de Humvee, trop large. Elle a opté pour un pick-up Land-Rover, sur le toit duquel elle a fait monter une mitrailleuse, une 12.7. Le genre de truc qui fait réfléchir le mec d’en face.

Le plateau du pick-up n’est pas très grand, mais pour l’instant, pas encombré. Lin a eu la bonne idée d’y mettre deux matelas. Elle n’avait qu’un mec avec elle, un type qu’on surnommait JD. Il était debout à l’arrière, agrippé aux manettes de la mitrailleuse. Lin ferait installer plus tard une sorte de truc, soudé au plateau, qui permettrait au tireur de s’y appuyer pour ne pas se casser la gueule sans devoir s’accrocher au flingue. En attendant, il fallait espérer ne pas avoir à tirer.

On a fait monter les journalistes devant avec Lin, on a posé nos deux blessés sur les matelas et on s’est casés autour. Tito et Frisé gardaient un œil sur les FER.

Putain que les pistes sont mauvaises dans ce coin ! Putain qu’elle conduit bien, Lin ! Mais ça n’a pas empêché Erk de gémir et de s’asseoir sur son matelas. Ça secouait trop pour lui. Tout son dos lui faisait mal d’une façon ou d’une autre et malgré le matelas, il a douillé. Kris lui a encore proposé la morphine, et comme il est têtu, il a dit non, encore. Le Kris, ça l’a énervé alors il lui a balancé un poing au bouc et le géant s’est plié, assommé.

- ‘Tain, mais il est borné comme une nationale, ce type, c’est pas possible !! a dit le frangin en rallongeant le Viking avec beaucoup de délicatesse, ce qui n’est pas facile, vu le poids de la bête. Ils sont mignons, tous les deux.

Baby Jane a failli gifler Kris. Elle s’est retenue à temps. Je ne sais pas comment il fait, le Viking, mais là, maintenant, il est vulnérable et, du coup, on est tous hyper-protecteurs. Même envers son propre frère.

Ça faisait un moment qu’on roulait quand Lin a freiné sec et a cogné sur la vitre arrière. Kris a sorti les jumelles et filé un coup de périscope vers l’avant, appuyé sur le toit du pick-up, à côté de JD. On s’est tous tournés vers l’extérieur, EMA 7 prêt à tirer.

Sur la piste devant nous il y avait des bécanes et des chevaux.

- C’est le Vioque ! a fait Kris à Lin.

- Tu m’as frappé, a dit Erk à ce moment-là, d’une voix pâteuse.

- Plus tard, frangin, a répondu Kris, toujours collé à ses jumelles.

C’est Tito qui a pris la main du Viking – il en a profité, le filou – pour lui faire comprendre que ce n’était pas le moment. Erk a eu l’air surpris, puis il a fermé son clapet et attendu, son Behemoth dégainé.

Le Vioque, à cheval, s’est décidé à avancer jusqu’à la Land, puisque Lin refusait de bouger sa caisse. Ils ont échangé des regards, assassin (!) chez le Vioque, soigneusement indifférent chez Lin, puis l’homme a continué vers l’arrière du pick-up. Lin a redémarré, mais il avait eu le temps de voir les flingues braqués sur lui.

En arrivant près des motos et chevaux, Lin a donné un petit coup sur le toit du pick-up. JD l’a entendu et a armé la mitrailleuse. Le claquement de la culasse a retenti dans le défilé. On en a rajouté une couche en armant nos EMA 7. Re-claquements de culasses. Les motos se sont écartées. Rugissement du moteur, les chevaux se sont écartés. Lin est repartie. Tout allait bien.

Puis un des cavaliers a reconnu un des FER quand la Land est passée devant lui. Il a sorti une arme de poing et l’a tué d’une balle en pleine tête. On a été aspergés de sang et de cervelle. Lullaby a réagi au quart de tour et a flingué le flingueur. Baby Jane a réussi à attraper les rênes du cheval. En bonne anglaise de bonne famille.

Lin a pilé.

Elle a ouvert sa portière, dégainé son Behemoth tout en descendant de la caisse, et a fait ricocher une balle bien placée sur le mors à longues branches du cheval du Vioque. La balle est allée se perdre dans la caillasse après avoir tiré des étincelles du métal. Le canasson s’est cabré et le vieux a fait tout ce qu’il a pu pour ne pas se vautrer.

Ils ont encore échangé des regards, assassins des deux côtés, cette fois-ci.

- Quand tu veux, köne! Tu sais où me trouver !

Dans les yeux du Vioque, il y avait de la peur. Il a fait tourner son cheval et est parti, au pas, pour ne pas perdre la face.

- Fait chier ! On n’avait pas besoin de ça ! Lin a explosé. Puis elle s’est immédiatement calmée. Comment ça va derrière ? Pas d’autres dégâts ? demanda-t-elle en nous regardant. Erk était blanc comme un linge, dans les bras de son frère, ses mains crispées sur le gilet tactique que celui-ci portait, comme nous tous.

- Skítt ! Qu’est-ce qu’il a ? Il a été touché ?

- Si tu conduisais plus doucement, aussi ! Kris était furax. C’est la douleur.

- File-lui de la morphine, alors !

Kris a levé l’injecteur et la fiole. Ou plutôt ce qu’il en restait. Quand elle avait pilé, Kris, injecteur à la main parce qu’il avait décidé de shooter son frère, avait été projeté contre la cabine, fracassant la fiole.

- Merde. Faudra qu’il attende la base. Bon, jetez le corps par-dessus bord. Baby Jane, tu fais quoi avec ce canasson ?

- Euh, sorry, réflexe. Mais on peut peut-être l’échanger au village ?

- C’est à envisager. Monte dessus et précède-moi. Comment va le Lieutenant ?

- Toujours out, a dit Tito. Je lui ai refilé de l’ibuprofène. Il a l’air d’aller mieux que le Viking…

- C’est pas difficile, a marmonné Kris.

Lin lui a jeté un regard difficile à interpréter, pour nous, mais lui a compris et a cessé de froncer les sourcils. Il a même failli sourire. Dans ses bras, Erk se détendait progressivement, parce que la Land était immobile.

- Bon, je vais essayer d’y aller plus doucement. Restez sur vos gardes, les gars.

On s’est arrêté au village, au pied de notre promontoire et au carrefour, où on a échangé le cheval contre la promesse de cinq moutons, que les villageois nous apporteraient le lendemain, déjà équarris. Bien sûr, on a gardé les armes et munitions qu’on a trouvées dans les sacoches, mais on leur a laissé le cheval et son harnachement. En échange d’un méchoui… On en salivait d’avance.

On est enfin arrivés chez nous. A la base. Chez nous. Ça faisait tellement longtemps qu’on n’en était pas sortis, qu’y retourner après une semaine d’absence fut comme de rentrer au foyer. Un endroit familier, des odeurs familières. Des tronches familières…

Erk a tenu à marcher jusqu’à l’infirmerie, sans aide, et, ma foi, il avait l’air d’aller mieux. Lin l’a accompagné pendant qu’on allait se laver, parce qu’au bout d’une semaine sur la piste, on ne sentait plus aussi bon qu’avant. Forcément. En plus on avait bien cavalé. On ne s’était rendu compte de rien en plein air, mais de retour, avec ces odeurs familières dans le pif, ben… on puait !

Donc, Nounou est venu chercher le Gros, le FER a été accompagné par JD qui l’a ensuite menotté au banc, et Erk a marché lentement vers l’infirmerie, une main sur l’épaule de Lin qui lui parlait. Elle s’excusait d’avoir été aussi brusque au volant et il avait l’air de lui pardonner. Il souriait. Ça faisait du bien, son sourire. Il a le sourire charmeur et contagieux, le Viking. La preuve, le chef des FER s’y est laissé prendre. Un peu trop bien, d’après ce qu’on avait entendu.

J’ai croisé le regard de Tito et je lui ai fait un clin d’œil. Il a rougi. Hé hé !

J’vous avais dit qu’on était dans un ancien caravansérail. Vraiment très vieux. Les pièces étaient aveugles vers l’extérieur et donnaient toutes sur un couloir extérieur, sous des arcades. Ça donnait une impression de cloître de monastère, renforcée par le potager. Puis on remarquait le mât, l’arène, la Land-Rover et, par la porte, les fortifications.

L’infirmerie, c’est quatre pièces les unes à côté des autres, et on passe de l’une à l’autre par le cloître, sauf les deux du bout, qui ont une porte entre elles. Y a trois petites pièces à côté, puis la grande. Dans la grande, on a mis une demi-douzaine de lits. Ensuite, c’est la salle d’examen, avec sa table en acier inox, à rigoles, qui vient tout droit d’une morgue. On a quand même mis dedans un matelas plastifié, pour protéger le blessé du froid. Mais la table de morgue, ça se nettoie si facilement…

Ensuite, y a la piaule du Doc, qui lui sert aussi de bureau, puis, ouvrant directement sur son bureau, une autre chambre de malade, où on installe ceux qui ont besoin de beaucoup de calme. Ou de beaucoup de soins. C’est là que dort le Viking, pendant que j’écris. C’est là que Kris a mis le lit de camp, pendant que j’écris.

Mais en rentrant de cette première mission, avec son dos en capilotade, il a dormi dans la grande salle. Il n’a jamais voulu de traitement de faveur, malgré son grade.

Le Doc a fait l’éloge des soins de Kris, disant qu’elle n’avait rien à faire, si ce n’est de l’aider à se laver. Puis elle a rougi, parce que ça ressemblait à une avance à peine déguisée. Il s’est marré, le Viking, lui disant que ça valait le patin qu’il lui avait roulé sans son consentement, à l’entraînement, quand elle avait voulu qu’il cesse de se servir de son bras déboîté.

Elle a laissé Nounou lui refaire un bandage propre, au miel encore, et est allée s’occuper du Gros. Lin, qui apparemment n’avait rien de mieux à faire, a envoyé Nounou aider le toubib et il paraît que c’est elle qui a aidé le Viking à se laver.

De notre côté, on est allé se laver aux douches. Il faut que vous sachiez qu’il y avait eu, au début du 21ème siècle, un retour de pudibonderie assez hallucinant, qui nous venait des US et de pays ou cultures qui diabolisent la féminité, et qui, malheureusement, faisait tache d’huile. Et comme tout fanatisme, une fois la vapeur renversée, il y avait eu un retour de flamme, une 2ème libération des mœurs. Pas dans le sens où on découvrait l’homosexualité et qu’on couchait à droite à gauche, comme avec les hippies. Juste que la fausse pudeur nous paraissait bien idiote et rétrograde. Bref, on montrait nos corps sans honte.

Oh, la pudeur existait toujours. Mais elle était honnête. Et on la respectait. A part quelques pays toujours aussi rétrogrades – sans parler des USA –, nos femmes pouvaient de nouveau se tenir seins nus sur une plage sans se faire verbaliser.

Tout ça pour dire que, vu le manque de place de la base, il y avait une seule grande salle de bains, avec huit douches, huit lavabos. Généralement, on faisait comme dans la Marine, on y allait avec une serviette autour de la taille et son gel douche à la main. Et son Behemoth dans l’autre. Vu comme on est tous musclés, à force de terrasser, ça fait des beaux corps à regarder. On évite de s’attarder, quand même. Mais faut avouer que certains de mes frères et sœurs d’armes étaient plutôt sympas à admirer. Surtout le géant et son frère.

On était contents d’avoir le Viking avec nous à dîner, aussi. Ses exploits avaient déjà fait le tour de la Compagnie, donc on y est allé mollo avec les tapes amicales et autres. Il portait un kimono en soie noire, brodé d’un magnifique dragon occidental rouge et or dans le dos, et un pantalon de pyjama ample taillé dans le même matériau. Il avait lâché ses cheveux et leur chatoiement d’or en fusion rivalisait avec celui de la soie…

Contrairement à nous, il ne serait pas d’active pendant deux jours, et pouvait se permettre de dormir dans ce magnifique pyjama. La plupart du temps, nous dormons en tee-shirt et sous-vêtements, pour n’avoir qu’à enfiler un falzar et nos bottes pour être prêts si, d’aventure, nous avions une alerte de nuit. C’est une coutume instaurée par Lin dès son arrivée, après nous avoir vus au rassemblement, en calbar et nuisette.

Erk, qui crevait la dalle, ayant à peine mangé depuis la fuite de la forteresse, a bien profité de la daube provençale de Cook. Cook a beau être un amerloque (ex-amerloque, pardon) il fait la cuisine comme pas deux.

Comme les Islandais, Cook est devenu français via la Légion Etrangère. Une blessure mal soignée au bras droit l’empêche d’utiliser une arme lourde – type EMA 7 – et il ne vise pas très bien avec son Behemoth, mais en combat à mains nues, il se débrouille. Et en cuisine, c’est un génie ! Par contre, c’est Moutarde qui soulève les gamelles, sinon elles valdinguent au sol et adieu la bonne bouffe ! Et franchement, si vous aviez goûté la daube provençale de Cook, vous regretteriez de la voir sur les carreaux.

Erk en a repris deux fois, de cette daube moelleuse à souhait, avec ses carottes tendres et fondantes et les pâtes al dente. Lin a fait distribuer un peu d’un très bon vin rouge, on a fait la fête, c’était sympa.

C’était l’œil du cyclone.

[köne : turkmène : vieux]

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