V

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Je vous avais appâtés bien malgré moi avec le début du chapitre précédent, mais il s’est passé tellement de choses depuis que je n’ai pas pu écrire. C’est Lin qui m’a demandé de le faire. Elle a réparti une partie de mes devoirs de caporal sur l’autre et m’a demandé de passer au moins une heure par jour à écrire ce qui s’est passé.

Le Viking est à l’infirmerie, shooté à la morphine – extraite de l’opium par Lin –, Kris a découvert que sa tête était mise à prix et… et on est inquiets, tous, pour notre gentil géant.

On pensait pas qu’on en viendrait à apprécier ces deux hommes et cette femme qui nous avaient chamboulé l’existence, mais en fait si. Peut-être parce qu’ils nous avaient redonné un cadre et des règles dont on avait besoin ?

En tout cas, pendant que j’écris, Kris est au chevet de son frangin, les yeux cernés de fatigue et rougis de chagrin. On ne sait pas s’il va s’en sortir. Et nous, nous on veut se venger.

On ne pourra pas, bien sûr, le Lys de Sang nous l’a interdit. Mais on ne peut pas s’empêcher d’ourdir des plans machiavéliques.

Il y a à peine deux heures, les hommes ont ramené le Viking couvert de sang, tenant à peine sur ses pieds et se débattant malgré tout quand Doc a voulu le soigner. On traînait tous à portée de l’infirmerie, pour voir ce qui avait pu le mettre à terre, cet homme si grand et si fort.

On a pas été déçus du spectacle ! Il a jailli de la carrée à poil, refusant que ce soit la petite toubib qui le soigne. Son ventre n’était qu’une ecchymose, il avait une blessure – balle ou couteau ? – à l’épaule gauche, son dos s’était remis à saigner et il avait du sang sur les cuisses. Son visage, bien amoché aussi, était tordu par une grimace de douleur et il hurlait que personne ne le toucherait. Kris s’est planté devant lui en le traitant de roi des cons et de reine des chochottes et Lin l’a assommé par derrière. Puis, l’attrapant comme le font les pompiers, elle l’a porté (!) jusqu’à la table d’examen où, avec l’aide de son frangin, elle l’a déposé en douceur.

Kris et Doc ont refermé la porte, sortant Lin de l’infirmerie. Elle nous a fixés un moment et on s’est tous carapatés au plus vite, mais pas avant que j’ai aperçu, dans les yeux noirs, comme un reflet humide. Le Lys de Sang, émue aux larmes ? Mais putain, que s’était-il passé ?!

Il m’a fallu du temps pour rassembler les pièces du puzzle. Bien sûr, le Viking était la meilleure source, mais dans son état, tarie. Kris ensuite, s’il avait bien voulu l’ouvrir.

D’ailleurs, Lin a fini par le sortir manu militari (c’est bien le moment de la placer, celle-là) de la piaule où reposait le géant, pour se bourrer la gueule avec lui et aller ensuite le coucher quand il s’est mis à chanter en islandais. Même beurré il a une belle voix, un beau ténor un peu rauque mais qui se tient bien. Il paraît que Lin l’a tenu dans ses bras toute la nuit.

Pour qu’il puisse se reposer, on a établi un roulement à l’infirmerie, pour veiller Erk. D’ailleurs, c’est mon tour. J’y vais.

C’est moche. Il est couvert de bandages, sa respiration est très lente, trop lente, très faible. Il est parfaitement immobile, à cause de la morphine, mais sous la paupière qui n’est pas cachée par les bandes, on voit son œil qui tourneboule dans tous les sens, comme s’il faisait un cauchemar.

Je veux lui fournir un point d’ancrage, alors je prends sa grande paluche dans la mienne. Il est brûlant, il tremble comme une feuille. Je lui parle, je le rassure. J’sais plus trop ce que je lui ai dit. J’ai dû parler de vengeance, de rétribution, que sais-je.

Nounou est entré à ce moment-là, pour vérifier ses variables ou je ne sais quoi. Il a posé sa main sur mon épaule et m’a dit de continuer, que ma voix, comme celle des autres, semblait lui faire du bien.

C’est vrai, on dirait bien que son œil s’est calmé. Nounou me montre son électro-encéphalogramme. Il appuie sur un bouton et imprime l’enregistrement, pour me montrer l’avant/après mes paroles. On voit bien la différence, c’est plus calme. Tant mieux. Je ferai passer le mot aux autres.

* *

Tout a commencé un beau matin de printemps où le soleil… bon, j’arrête là. Vous vous doutez bien que tout a commencé à un moment. Il se trouve que c’était au petit-déjeuner. Quant à savoir si c’était le printemps… Dans ce pays, ya, pour nous Européens, deux saisons : la chaude et la moins chaude.

Donc, on était à table, le Viking se faisait charrier par Nounou, je crois, il rigolait bien, avec son grand sourire de gamin, si plein de joie… et puis Lin est entrée.

Au mess, y a pas de garde à vous quand elle entre, mais malgré ça, on se lève. C’est vous dire le respect qu’on lui porte, sans vraiment s’en rendre compte.

Elle est allée se servir un plateau de petit-déj, s’est installée à une table, isolée. Roulé et glissé sous la patte d’épaule gauche de sa veste de treillis, il y avait un bout de papier jaune poussin. Pourquoi jaune poussin ? Parce qu’il nous en restait un stock dans l’imprimante et qu’elle déteste le gaspillage. Ce rouleau de papier jaune – puis blanc –, glissé dans la patte d’épaule, comme ça, on apprendrait à attendre son apparition.

Les deux frangins ont échangé un regard, ont pris leur plateau et l’ont rejointe. En tant qu’officier, Tondu a voulu venir, mais un geste d’Erk l’a figé sur place. Et le Frisé l’a donc imité.

Les Islandais ont jacté à toute blinde, en islandais, forcément, pendant que Lin b… j’allais dire bouffait, mais elle est tellement gracieuse qu’elle ne peut que se nourrir voire déjeuner.

Bref… Je m’égare un peu trop souvent avec ces trois-là.

- Briefing à la fin de la plonge ! a dit Kris.

On a tous filé un coup de main en cuisine et on est vite revenus les écouter.

- Quelle diligence ! a remarqué Lin. Ça augure bien de la suite, soldats.

Elle a récupéré le papier jaune qui s’enroulait un peu et nous l’a montré.

- Notre première mission. Celle qui décidera de votre avenir, de la prolongation de notre séjour ici, à nous trois.

Kris s’est penché sur une tablette ultra moderne mais pas ultra-mince. Le genre de tablette qu’on peut trimbaler dans ces montagnes, avec laquelle on peut traverser une rivière à la nage et qu’on peut faire tomber du haut d’une falaise et qui continuera à fonctionner au p’tit poil.

Coque ultra renforcée, verre blindé… elle pourrait presque servir d’arme. En fait, je pense qu’entre les mains du blondinet, c’est une arme en devenir… Bref.

Kris a donc bidouillé sa tablette et le mur blanc derrière Lin s’est couvert de photos, la plupart prises par satellite.

Donc, « on » nous a demandé, par le biais de la CEDH, d’aller récupérer une journaliste suisse – mais qu’allait-elle faire, non pas dans cette galère, mais dans ce coin abandonné de Dieu ? – et son caméraman. Jusque là, ça a l’air simple. Le problème, c’est l’endroit où ils sont.

Je vous disais qu’il y a 4 à 5 seigneurs de guerre qui se tirent la bourre dans le coin. Y en a un qui nous tolère à peine, donc forcément les autres pas du tout.

- Bien. Notre journaliste est donc prisonnière des Foutus Fils de … Kris se gratta la gorge et reprit… des Fils de l’Enfer des Roumis, les FER.

Aïe. Pas des marrants, ceux-là. Ils se disent héritiers de Daech ou je ne sais quoi, un mouvement du début du 21ème siècle. Je pense qu’ils ont tout compris de travers mais ils sont bien présents et bien actifs, hélas. Ils n’ont peur de rien, ne respectent rien. A part le courage. Et la parole donnée. Ça, on peut pas leur reprocher de manquer à leur parole.

On a la chance que la recherche d’informations soit faite en amont, avant qu’on fasse appel à nous. C’est triste à dire, mais nous ne sommes qu’un outil. En fait, ça nous arrange. Comme ça, si ça foire, on peut râler sur « les autres », les barbouzes des Renseignements qui ont mal fait leur boulot.

On a donc étudié les photos de leur base, où la puce GPS de la caméra du type les plaçait la veille. Kris a obtenu une liaison avec le satellite géostationnaire juste au-dessus de nous et il a pu zoomer sur la base.

Hallucinant ! On avait un décalage d’une minute environ, pour une image toutes les 15 secondes, mais on pouvait voir ce qui se passait dans cette base. On a pu voir une des sentinelles faire une pause dans sa ronde pour pisser par-dessus la muraille. Si si, je vous assure.

- Je serai son chef, je lui tirerai dans le cul pour lui apprendre, a laissé échappé Kris.

- S’il fait ça, c’est peut-être parce que les rondes sont très longues. Il faudrait surveiller. On peut peut-être s’en servir, a remarqué le Viking.

- Il faudrait arriver à compter les hommes. Et à localiser les prisonniers, a fait Frisé.

- S’ils sont à l’intérieur, on est marron, a commenté le Tondu.

- Je pense qu’ils seront dehors. C’est plus facile de les surveiller et c’est moins confortable qu’une piaule dedans.

- Comment ça, plus facile ? Enfermés, c’est mieux, non ?

- Non, répondit Lin, si vous êtes enfermés mais qu’on ne vous voit pas, que feriez-vous ?

- Ben, je chercherai à me tirer… Oh ! Bien vu, Cap… Lin, fit notre Albanais de service.

- Merci Tito.

Tito a rougi. Il est gentil, ce mec. Assez petit, pour un gars, et aussi souple que l’anguille du proverbe. Silencieux comme la mort, aussi, ce type. Quand on lui demande pourquoi il est soldat, il répond : « Vue ma taille, c’était ça, ou nain de jardin. J’aime pas prendre racine. » C’est un marrant.

Bref, Lin nous a demandé d’étudier la base et de chercher les prisonniers, pendant qu’avec les frangins, elle trimbalait caisse sur caisse d’armement, qu’ils ont posées dans un coin du mess. Cook n’a rien dit, parce que c’est un taiseux, mais Ketchup, une jolie rousse, a failli râler. Mais le Viking a encore frappé et elle a fondu devant son sourire charmeur.

On a fini par établir une stratégie et par découvrir nos nouveaux jouets. Mais, ce soir, j’ai besoin de savoir si le Viking va bien. Je reprendrai la plume demain. Ce soir, c’est trop dur de continuer. J’ai une boule dans le ventre.

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