VI

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Etat stationnaire. Pas d’amélioration, pas de dégradation. Rien de changé, si ce n’est que son œil ne bouge plus. Peut-être dort-il enfin vraiment, à l’abri de ce qu’il a vécu et que nous ignorons tous ?

De nouveau, je prends sa grande paluche. Il me paraît moins chaud, il ne tremble plus. Je suppose que c’est positif. De nouveau, je lui parle. Cette fois-ci, je ne parle pas de vengeance. Pas parce que Lin nous l’a interdit. Mais parce qu’elle n’est pas utile. Plus jamais. La réputation de la Compagnie se tache de sang. Mais Lin s’en fiche.

Hier soir, on a eu la visite du baron qui nous tolère. Il se fait appeler le Vieux de la Montagne, comme s’il était l’héritier du maître de la secte des Haschischins, qui a donné à notre vocabulaire le joli mot « assassin ».

Mais jamais le Vieux de la Montagne n’aurait quitté sa forteresse pour s’abaisser à rendre visite à une compagnie de roumis menée par une femme. On l’a surnommé le Vioque, par dérision.

Avec Lin, qui sait très bien ce que les barons du coin pensent d’elle et de ses hommes, pas de cérémonie. Elle l’a reçu dans son bureau, tout petit, au milieu de sa paperasse. Bien sûr, à notre époque, y a plus beaucoup de paperasse. Mais elle en créé un peu, pour le mettre mal à l’aise. Il a essayé de se mettre dans ses bonnes grâces, mais elle n’a rien cédé.

Ce qu’il est ressorti de cette… entrevue, c’est que la Compagnie commence à avoir une putain de réputation. Implacable. Déterminée. Vengeresse.

J’assistais à l’entrevue, assis à un micro-bureau installé spécialement pour l’occasion. J’étais le secrétaire du Capitaine, officiellement. Lin voulait que j’écoute. Ce que j’ai surtout remarqué, c’est qu’elle tiquait sur « vengeresse ».

Le baron a voulu lui offrir sa protection, ça l’a bien fait rigoler. Elle lui a fait comprendre que quand son tour viendrait, elle s’occuperait de lui aussi. Il est parti la queue entre les jambes.

Je parle toujours au Viking, je lui raconte deux trois anecdotes, quand je sens une main sur mon épaule. C’est Kris. Il a les yeux toujours cernés, mais malgré la cuite de la veille, il a l’air de tenir debout tout seul.

- Merci l’Archer.

- Je t’en prie, Kris. Tu sais ce qui s’est passé ?

- Pas maintenant. S’il te plaît.

Sa main me comprime l’épaule. Malgré son apparente finesse, il est très fort. Ses mains sont puissantes. Il ne me fait pas mal, mais je sens qu’il faut que je me taise. Je sens aussi sa main qui tremble. Je la tapote, cette main qui tremble.

Puis je me lève et je le laisse avec son frère. Je me retourne en sortant et je les regarde. Et je me prends à les envier. Les gestes de Kris sont empreints d’une telle tendresse… Je n’ai jamais été aussi proche de mon frère.

* *

Je reprends mon récit. Il le faut. Je le lui dois bien.

Nous avons donc déballé nos jouets. Lin nous avait entièrement rééquipés, et pas uniquement en flingues. Mais on va commencer par ça. Pour les armes à feu, elle s’est fournie chez EMA – European Manufacture of Armament –, une compagnie européenne, basée à Bruxelles, avec des usines à Sheffield, Saint Etienne et Solingen. Et pour le reste, chez Fox Guerrilla, une boîte franco-espagnole.

Pour cette mission, on est partis avec chacun une nouvelle arme de poing, fusil d’assaut et même fusil de snipe. Enfin, on avait un fusil de snipe pour toute l’équipe. Je vous la joue un peu catalogue, mais juste une fois, promis.

Arme de poing : EMA PSAF V4 « Behemoth », du 9mm parabellum, munitions OTAN. Chargeur de 15 balles + 1 dans la chambre. Il est fourni avec un suppresseur intégré. Super léger mais très efficace, inspiré du célèbre Glock 17.

Fusil d’assaut : EMA 7. Un petit bijou pour à peine 3 kilos. Calibre 5,56, 30 cartouches. Je l’aime bien.

Fusil de snipe : EMA 720 SR « Adlerauge », ce qui veut dire œil d’aigle. Un peu lourd, mais démontable, portée de 2,5km, calibre 338 Lapua Magnum, par chargeur de 10. Un super flingue, d’une précision hallucinante.

Ensuite, on a eu des armes blanches, en plus de nos arcs.

On a chacun reçu un couteau « Sandstorm », lame en acier et titane, 25 cm de lame avec les dix premiers centimètres, près de la garde, en dents de scie, et une sorte de machette « Amazone », même acier, lame découpée pour être allégée. Y avait d’autres trucs, mais on n’avait pas besoin d’un shotgun ni d’un lance-missiles.

Pendant qu’on déballait nos armes et qu’on les testait, on aurait dit des gamins dans une boutique de jouets. Le Viking jouait les Père Noël, les distribuant avec un grand sourire, blaguant sur les enfants sages ou autres.

On a peaufiné notre stratégie, puis on est allés s’équiper. Lin avait fait faire des grands foulards carrés – sur le principe du keffieh – et des bérets couleur sang séché, la couleur principale de la Compagnie. Avec nos treillis lambda, ils composent notre uniforme. Mais pour cette virée, elle nous a demandé de ne pas porter le béret, juste l’écharpe. On est partis avec les casques qu’on avait enfin reçus et des RayBan, avec nos Behemoth et nos EMA 7. L’Adlerauge fut démonté et réparti entre deux d’entre nous.

On y est allés à pince, on n’avait pas encore reçu la Land-Rover ni les bécanes. Lin dépensait son budget quand elle découvrait qu’on en valait la peine.

On était huit. Dommage. Un de moins, ça aurait fait les « Sept Mercenaires », comme le western.

Y avait les deux frangins, parce qu’ils sont inséparables. Y avait Tito, Frisé, Baby Jane – une petite anglaise gironde comme tout, qui ressemble à une poupée de porcelaine et te place une balle dans une cerise à plus de 2km –, Lullaby – une autre anglaise, moins gironde, archère comme moi –, P’tite Tête – un grand gaillard silencieux – et ma pomme, l’Archer, pour vous servir.

Tito et Baby Jane se partageaient le SR, Lullaby et moi avions nos arcs.

Malgré les kilomètres que nous avons avalés, nous n’avions jamais mal aux arpions le soir. Il faut dire que là aussi, Lin nous avait rééquipés de pied (!) en cap. Au lieu des traditionnelles bottines type Rangers – mal identifiées quand on les a déchargés – ou Doc Martens, qui s’arrêtent sous le mollet, nous avions des bottes en cuir ocre, qui montaient jusque sous le genou. Elles avaient la particularité de comporter trois laçages en plus des deux fermetures éclair.

Elles étaient donc lacées sur le devant, l’extérieur et l’arrière. Il fallait les porter assez ajustées pour éviter le frottement, ce que permettaient ces trois laçages. Ensuite, pour les enfiler très vite, on utilisait les deux fermetures éclair de chaque côté du laçage de l’avant.

Le cuir pleine fleur des bottes, de la meilleure qualité, avait été tanné avec la cervelle de l’animal qui avait fourni le cuir, lui donnant une élasticité inouïe et l’imperméabilisant. Il fallait juste graisser les bottes une fois par mois et après avoir traversé une rivière. Au bout d’une heure de marche, le cuir avait chauffé, s’était moulé sur le pied et le mollet et on avait l’impression de porter des charentaises. Certains les portaient sous le treillis, d’autres, comme les Islandais, avec le treillis rentré dedans. Ça permettait d’accéder aux couteaux glissés dans les bottes.

On avait aussi des espèces de talkies-walkies intégrés. Comment dire ? On réutilisait une vieille technique du XXème siècle, le laryngophone. On avait des oreillettes qui hébergeaient aussi une antenne à courte portée. Sur la gorge, on collait un micro très plat de chaque côté du larynx. Les vibrations émises par le larynx quand on parlait, quel que soit le niveau sonore, étaient récupérées par le micro et transmises à la partie passive des oreillettes. Celle-ci se collait derrière l’oreille et un fil métallique se glissait dans le pavillon. Hyper discret.

Les boucles de nos ceintures comprenaient un traqueur GPS et un booster de signal qui captait celui de nos oreillettes pour le renvoyer vers la base, via des relais « Pissenlit », des relais très petits que l’on semait assez régulièrement dans la nature. On avait fait pas mal de progrès en matière de guerre et de médecine, ces dernières décennies.

Une de nos missions secondaires, et qui le serait chaque fois qu’on sortirait de la base, était de semer un certain nombre de ces Pissenlits.

Bien sûr, on emportait avec nous des rations militaires et Lin avait choisi celles de l’Armée Française, qui restaient les meilleures à ce jour. Elle les avait prises en version bio, pour les frangins. Ça valait pas la cuisine de Cook, mais c’était meilleur que tout ce qui se trouvait sur le marché. C’est ce qu’on a mangé à chaque repas pendant ces quatre jours de marche.

Et tous les soirs, parce qu’il faisait super froid et qu’on se les caillait grave, Erk sortait sa flasque et mettait, dans la tisane de menthe, une goutte de brennivin, un alcool de patate parfumé au carvi, un truc islandais. C’est bon, ça remplace n’importe quel truc pour se réchauffer.

La deuxième nuit, les frangins nous ont fait confiance pour les tours de garde. C’est cool d’avoir enfin leur confiance. Comme ça c’est bien passé, les Islandais ont pu roupiller un peu. Les nuits suivantes, on a tous pris notre tour.

Crapahuter dans ces montagnes, c’est pas facile. On en a bavé. Mais le Viking, voyant tous les efforts qu’on faisait, nous encourageait toujours. Le soir, il passait voir chacun d’entre nous, discutait un petit peu puis, si besoin, soignait les bobos, proposait un petit massage des mollets ou du dos. Il est doué.

Il est d’une gentillesse absolue. Mais, comme nous l’a démontré la mort du Lieutenant, il est aussi sans pitié quand il le faut. Nous aurions un autre aperçu de son côté sombre.

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