Criminel

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 Il savait qu'il ne devait pas être là. Ce qu'il voyait n'aurait jamais dû parvenir à ses yeux. Les barrières et autres panneaux d'avertissement n'avaient pourtant fait qu'aiguiser sa curiosité. Il aperçut des militaires, de dos, qui surveillaient les travaux. Sur la gauche un soldat approchait. Il ne put déguerpir à temps. L'homme saisit son fusil d'assaut et le mit immédiatement en joue. Il n'eut aucune hésitation à ouvrir le feu dans le dos d'un adolescent téméraire. Les enjeux étaient trop grands. Cette future base devait rester secrète, quel qu’en soit le prix.

***

 Antoine venait de commettre son troisième crime de sang froid. Habituellement, lorsqu'un militaire tue quelqu'un, il ne se sent pas criminel. Meurtrier, ça oui. Faudrait être fou pour se prendre pour un ange. Mais criminel ? Jamais. D'habitude, quand un militaire tue quelqu'un, c'est pour défendre son peuple, ou bien un autre, face à une menace bien établie. Ou pour sauver son cul. Ça ne devrait pas être pour garder un putain de secret. Non. On ne devrait pas tuer pour ça. Surtout pas tuer un gosse.

 Même s'il ne savait pas précisément ce qui se construisait, on l’avait prévenu qu’à la moindre hésitation face à une intrusion, il serait exécuté sur le champ et sans procès pour haute trahison.

 Il sentit quelque chose sur son épaule. Prêt à faire feu de nouveau, il se baissa et se retourna en un clin d'œil, le canon de son fusil pointé sur le cœur de Dimitri.

 — Eh, calm down Tony.

 — Putain, me fais pas ça juste après une exécution.

 — Je voulais juste te soutenir. J'ai vu les autres ramener le cadavre. Je sais pas si j'aurais pu.

 — J'aurais pas pu si j'avais réfléchi. J'ai tiré sans même regarder son visage.

 Les deux frères d’armes finirent ensemble le tour de garde avant de se rendre au réfectoire pour tenter d’oublier.

 Antoine avait le teint livide. Ce gosse sans visage hantait son esprit sans discontinuer, que ses paupières soient closes ou grandes ouvertes.

 — Tu sais si la famille sera prévenue ?

 — Je sais que non. Tu sais pourquoi ?

 Antoine s'empêcha de lui rétorquer que c'était évident. Il était trop mal pour ça.

 — Pas éveiller les soupçons ?

 — Ouais. Mais surtout parce qu'ils le retrouveront. Bien vivant.

 Dimitri s'enfila une grande gorgée. Il s'assura que personne ne l'écoutait.

 — Écoute. Quand j'étais en opération sur la base du Monténégro, j'ai eu à faire comme toi. Une gamine, dix balais tout au plus. Protocole habituel, deux mecs viennent chercher le cadavre pour en faire on ne sait quoi. Sauf que quelques jours plus tard...

 Antoine lui aussi s'inquiétait que la conversation soit entendue. Rien ne devait filtrer des activités de l'agence gouvernementale. Rien, même entre soldats. Dimitri descendit un nouveau verre. Lui préférait rester lucide. Pour l'instant.

 — Alors que je patrouillais de nuit, j'avais cru entendre un bruit en secteur 2. On ne doit y aller qu'en cas de danger imminent, je sais. Sauf que si j'avais pas rêvé, l'intrusion aurait été pour ma gueule. Intrusion mon cul. C'était une évasion. Une évasion de cadavre.

 Antoine se demanda si son camarade ne commençait pas à délirer. Il le laissa poursuivre. Au pire, une bonne histoire avant de s'endormir, ça pouvait pas faire de mal. Si ça pouvait chasser de sa tête ne serait-ce qu'un instant l'image de ce pauvre gosse...

 — Tiens toi bien. La gamine que j'avais refroidi. Debout, bien animée. Qui sortait seule de la base, dans le secteur des expérimentations.

 — Tu l'as laissée partir ?

 — Bien sûr que non. J'ai voulu l'abattre de nouveau. Mes balles ont rebondi sur sa carcasse.

 Nouvelle gorgée.

 — Elle s'est retournée, comme si de rien n'était. Puis est repartie. J'étais complètement séché. Les autres ont rappliqué. Fausse alerte que j'ai dit. Sauf que le gradé, lui, il y a pas cru. M'a demandé de...

 Les portes du réfectoire s'ouvrirent violemment.

 Deux soldats d'élite, habituellement affectés à la défense de l'état major ou des bâtiments de recherche, fouillèrent la salle du regard. Leurs yeux froids s'arrêtèrent sur la table d'Antoine et Dimitri. Ce dernier se leva brusquement et renversa la table de métal.

 Les nouveaux venus tirèrent. La table renvoya quelques balles qui finirent sur quelqu'un d'autre, comme on pouvait le deviner au cri déchirant qui traversa la salle. Dimitri profita de la cohue naissante pour fuir par une porte latérale. Sitôt sorti un coup de feu retentit dehors. Un seul coup. Sec. Suivi d'un silence total. Antoine se releva. Face à lui, juste derrière la table renversée, l'un des deux soldats d'élite. Son arme pointée droit sur lui. Antoine eut tout juste le temps de lire dans son regard qu'il aurait voulu éviter ça. Mais les ordres étaient les ordres. Comme lui un peu plus tôt, le soldat dût se contraindre à appuyer sur la détente.

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