Gerald Zrivian : I

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Tout tournoyait autour de moi. J’avais perdu la sensation du haut et du bas. Elbereth tombait en piqué, les immenses tours de la Cité Noire défilant sur les côtés.

Ces monstres l’avaient touchée.

— Mon aile est déchirée, l’entendis-je dire. Je vais essayer de te porter jusqu’à une aire d’atterrissage la plus praticable possible… Accroche-toi !

Malheureusement, les surfaces plates ne plaisaient pas aux dorśari. La volumétrie du front bâti d’Ymmaril était aussi acérée qu’un vaisseau-piège. J’y voyais là une recherche de prestige : les cornes et autres ramures pointues étant signe de royauté, on cherchait à les imiter dans l’architecture. Spires plus aiguës que des dents, forêts de lames noires et créneaux dentelés...tout cela enchantait sans doute les Sombres, mais en attendant, ces choix architecturaux n’arrangeaient pas nos affaires !

Elbereth tombait en vrille, comme un astronef en perdition. Elle ne contrôlait plus rien. La chute était aussi longue que les tours étaient hautes. Des arcades immenses, des ponts aériens suspendus sur le vide, des wyrms dégénérés, des champs emplis d’esclaves allongés comme des gisants, des corps putréfiés et des faces blafardes… Toutes ces images atroces défilaient sous mes yeux, alors que la gueule béante de l’abîme se rapprochait de nous. Le sol restait invisible. Je n’étais pas pressée de le voir : je savais que je n’avais que très peu de chances de survivre à cette chute infernale.

Soudain, la gravité fut suspendue. Je me retrouvai à flotter dans le vide, comme lors d’une sortie en milieu 0 G. C’était une illusion, cependant : nous continuions à descendre vers le bas. Elbereth flottait à côté de moi, inanimée. Ses blessures étaient plus graves que je ne le pensais.

La descente s’effectua dans une fosse sombre, au pied de ses immenses tours qui constituaient la ville. Qu’allait-on y trouver ? Je savais par expérience que c’était dans les strates les plus inférieures que se massait la faune grouillante de tout ce qu’un astroport pouvait compter de criminels et de réprouvés. Sans compter les malheureux enlevés par les Sombres, prisonniers de ce lieu oublié du temps pour l’éternité, avec leur folie comme seul compagnon. Dans un endroit aussi dépravé et amoral qu’Ymmaril, aussi noir et désespérant… Qu’est-ce que devait être cette population !

Nous approchâmes le sol aussi doucement qu’une plume flottant sur une bulle de savon. Puis, soudain, le champ magnétique – ou quoi que ça puisse être – se rompit. Mes bottes heurtèrent le sol durement, et je tombai en avant, mes mains nues sur la glace vive. Nous étions toujours sur Yuggoth, et je ne portais que des vêtements d’apparat ældiens. Même si Ymmaril était terraformée et protégée par une atmosphère géothermique artificielle, il y faisait toujours des températures glaciales. Il fallait vite que je me trouve une combinaison !

En me relevant, je jetai un coup d’œil prudent à la ronde. Autour de nous, le décor n’était que ruines. Drapeaux troués claquants dans le vent glacé, vestiges de murailles carbonisées… Je me rendis compte assez vite que ce que j’avais pris au départ pour des concrétions au sol étaient en réalité des squelettes noircis. La plupart portaient des armures délabrées, des pointes de lances et autres lames brisées leur sortant du corps, hérissant le sol de nouvelles pointes acérées.

— Des vestiges de la susceptibilité de Fornost-Aran, croassa Elbereth derrière moi. La Cité Noire s’étire toujours plus vers le haut : ici, dans les niveaux inférieurs, nous sommes témoin des luttes fratricides qui déchirèrent les dorśari lorsqu’ils s’installèrent ici après avoir quitté Ultar. C’est également là que furent exilés un grand nombre des ennemis du monarque… ou qu’ils furent assassinés.

Je me tournai vers elle. Elbereth s’était redressée tant bien que mal. Ses ailes avaient disparu et elle tenait de sa main ensanglantée son côté gauche.

— Fais voir, lui intimai-je en m’approchant.

— Laisse tomber. Il n’y a rien que tu puisses faire pour m’aider. Et ce n’est pas une blessure grave. Elle est juste très incapacitante. Le plus embêtant, c’est mon aile. Je n’ai plus la force de la régénérer. Or, nous avons besoin de retrouver le vaisseau, et vite. D’autant plus qu’Alfirin est toujours aux prises avec la garde de Fornost-Aran.

Nous étions donc coincées ici, au milieu de ses ruines sinistres, pendant que Ren affrontait tout seul une véritable armée.

— Quelqu’un nous a aidés… Tu as bien senti ce champ de force, je ne l’ai pas rêvé ? Sans lui, on se serait écrasées au sol comme un fruit de Lomë trop mûr !

Elbereth ne répondit rien. Elle se contenta de scruter l’immense plaine de cendres, l’air grave.

— On ferait mieux de se mettre à couvert, continua la wyrm. Cette cité est dangereuse, et ses bas-fonds, plus encore.

J’acquiesçai volontiers. Le froid était mordant : j’avais hâte de me réfugier quelque part. Sauf que les environs étaient tout sauf accueillants.

— On nous regarde, ajouta-t-elle. Celui ou celle qui a freiné notre chute...

Je relevai la tête. Dans les ombres noires, au loin, on pouvait discerner quelques lumières.

— Partons d’ici, conclut Elbereth. Tout de suite.

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