Anguel : Et merde II

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Anguel se réveilla en sursaut. Il avait encore rêvé de Ulf Ydin. Cette fois, dans son rêve, le surhomme faisait l’amour à Cerin, qui criait de plaisir comme il ne l’avait jamais entendue. Une sensation de danger imminent s’était finalement invité dans son cauchemar, à la manière d’un observateur malveillant. Un prédateur. Il y avait un prédateur près de leur couche.

Le vétéran ouvrit ses yeux noisette d’un seul coup. En une seconde, il fut debout. Il y avait quelqu’un devant eux.

Le forcené qui avait surpris Cerin dans le temple.

Anguel se rua vers le couteau Bowie coincé dans sa botte. C’était la seule chose qui restait de son équipement, après l’attaque des Sombres et la dispersion de leur équipage. Mais avant même qu’il ne puisse faire un geste, une ombre noire s’était abattue sur le pervers, l’entraînant plus loin dans les ténèbres. Un bref bruit de lutte, un hurlement… Puis le silence.

— Cerin, souffla Anguel à sa compagne. Cerin !

La semi-ældienne était déjà réveillée. Ses grands yeux d’or largement ouverts, elle fixait quelque chose dans le noir, droit devant elle.

— Ialiel…

Le dorśari sortit de l’ombre. À bout de bras, il tenait encore le corps, secoué par les derniers soubresauts de l’agonie, de l’homme qui les avait surpris.

Il ne portait plus son terrible heaume. Mais Anguel reconnut tout de suite ses longs cheveux nattés aux reflets bleutés, ses pommettes hautes et anguleuses, ses sourcils aux pointes caressant les tempes, ses yeux noirs, trop noirs, luisant comme de l’onyx. Il faisait partie de ces créatures à l’ichor féroce, aussi vifs et fermes qu’un fouet, réputés pour leur soif de sang et leur violence. Les Sombres. Et, précisément, l’un de ceux qui les avaient attaqués.

Très vite, Anguel avait repris son couteau. Mais la main de Cerin arrêta son geste.

— C’est inutile, lui intima-t-elle. Il te tuera avant que tu n’ai pu esquisser un geste.

Puis elle se tourna vers lui.

— Ialiel Niśven...Que fais-tu ici, par Anwë ?

Pour toute réponse, le dorśari jeta le corps de l’homme qui l’avait agressée et suivie à ses pieds. Puis il tomba sur les genoux.

Anguel ne comprit pas les mots d’outre-monde qu’il prononça ensuite. Il ne parlait pas l’ældarin. Mais il en comprit la teneur en voyant le fier ældien s’allonger au sol de tout son long, face contre sol.

Il se rendait.

Cerin se leva. Au geste réflexe de l’humain, elle répondit par une rebuffade impérieuse. Puis, prudente, elle vint se planter devant la silhouette à terre. Et posa son pied sur sa nuque.

— Je prendrais bien ta vie, Ialiel Niśven, pour tout les mauvais tours que tu as fait à mon frère et ses amis. Mais, grâce à la configuration ultime de Kael, aucun n’est mort. Relève-toi.

Ialiel s’exécuta. Même dressé sur les genoux, il restait grand et imposant.

— Fais de moi ce que tu voudras, lui dit-il dans un Commun guttural. Je suis à ta merci.

— J’y compte bien, répondit la semi-ældienne. Tu auras beaucoup à te faire pardonner, Ialiel.

— Je voulais juste protéger ton frère. Mais, jusqu’au bout, il a refusé de m’écouter. Il nous a même défié ! Je ne pouvais pas laisser cet affront impuni… Et il a tué Asdruvaal, mon frère de sang et cousin.

— Ton cousin n’a récolté que les mauvais fruits de ce qu’il a semé. N’avez-vous pas tué les frères Uathna, ædhil-lige de mon frère ?

Ialiel se redressa. En le voyant penché sur Cerin, haute silhouette de métal noir et acéré, sa main plastronnée venant frapper l’emplacement de son cœur, Anguel se dit qu’il ressemblait à une machine démoniaque tirée du musée de la guerre de fondation.

— Ces chasseurs nous ont lancé un défi, protesta-t-il. Ce fut un honneur pour mon cousin et moi d’y répondre. Ils sont tombés en braves, et nous avons récupéré leur cristal-cœur, afin qu’ils puissent se réincarner et avoir le destin qu’ils méritent.

— Donne-les moi, alors, fit Cerin durement.

Ialiel farfouilla dans son armure. Il en tira deux chaînettes, sur lesquelles pendaient deux pierres bombées et luisantes.

— J’avais également conservé leurs dépouilles. Enfin, celle de l’un d’eux, en tout cas. Elle est à bord, en orbite d’Æriban. Si nous arrivons à rejoindre mon cair, nous…

— Il nous faut d’abord retrouver mes frères, puis le cotre, l’interrompit Cerin avec autorité. Tout ça, c’est de ta faute, Ialiel Niśven. De toi et des tiens. Si tu t’étais montré moins arrogant, pour une fois !

L’ældien baissa son noble visage. Même ainsi, les cils baissés, il avait l’air impitoyable.

— Je ne sais comment rattraper ma faute envers toi, Cerin. Mille vies n’y suffiraient pas. Mais si tu consentais à prendre la mienne...

Bonne idée, songea Anguel.

C’était une chance inespérée. En voyant l’ældien faire mine de dégrafer son plastron, le vétéran se tourna vers Cerin.

— Tu te sens de le faire ?

— C’est à moi, et uniquement à moi, de le faire, lâcha-t-elle en réponse.

Alors, sans un mot, Anguel lui tendit son couteau, en le tenant par la lame.

La semi-ældienne s’en empara. Le dorśari, lui, s’était remis à genoux, et exhibait la musculature puissante de son grand pectoral avec une lueur de défi dans ses yeux abyssaux. Il tenait la zone bien ouverte avec ses deux mains, que les gantelets d’iridium écorchaient sans qu’il cille. Cerin posa la pointe du couteau entre les deux pectoraux. Puis, à la grande déconvenue d’Anguel, son visage se radoucit.

— J’ai vu ta détermination et ta sincérité, Ialiel, conclut-elle d’une voix déjà plus douce. J’accepte ta reddition et ton serment d’obéissance.

Anguel trouva à sa voix dure une note ronronnante. Mais ce n’était pas le moment d’avoir de telles pensées.

— Je ne mérite sans doute pas une telle magnanimité, fit Ialiel en faisant mine de se rhabiller. Mais…

— Qui t’as dit que tu pouvais remettre ton armure ? l’interrompit Cerin à nouveau, pointant le couteau vers lui. Tu comptes nous attaquer ?

Ialiel, surpris, secoua la tête.

— Il fait toujours nuit, et nous nous reposions. Prends donc le premier quart.

— Entendu.

Cette fois, Anguel estima qu’il lui fallait intervenir.

— C’est moi qui vais le prendre, décida-t-il. Ialiel (à la vue du regard noir que lui lança l’ældien, il haussa un sourcil). C’est bien votre nom ?

— Oui, grinça le susnommé.

— Donne-lui le tien, intervint Cerin. Il ne peut pas être le seul à l’ignorer.

Le nom. C’était aussi important pour les ældiens que ça l’était pour le SVGARD.

On a plus de choses en commun, en réalité, pensa l’humain en contemplant l’ældien.

— Je m’appelle Anguel Tharn. Ancien aspirant à la IX° légion Hispana, dite des « Loups Célestes ». Ça vous dit quelque chose ?

Un lent sourire – plus cruel qu’une lame nanomoléculaire – se dessina sur le visage de l’ældien. S’il y en avait un qui ressemblait à un loup, entre les deux mâles, c’était bien lui.

— La IX°… Peu d'esclaves sont plus damnés qu’eux, à Ymmaril !

Anguel leva un sourcil.

— Vous savez quelque chose sur leur disparition ?

Le dorśari se contenta d’un demi-sourire, aussi insolent que menaçant. Anguel décida d’en rester là pour le moment.

— Mon nom à moi est Ialiel Niśven, légionnaire. Cousin en ligne directe du monarque régnant Fornost-Aran, et 8° dans la ligne de succession. Maître de la guilde de chasse du Cri Écarlate. J’ai affronté et tué un grand nombre de tes pairs, sur le champ de bataille, et ce, des centaines d’années avant ta naissance.

Anguel hocha la tête.

— Eh bien, Ialiel, vous prendrez le second quart, à ma suite, répliqua-t-il, l’air appréciateur.

L’ældien regarda Cerin, puis, devant l’absence de réaction de cette dernière, il obtempéra.

— Très bien.

Anguel s’installa pour son tour de veille. Derrière lui, il entendait les deux ældiens murmurer dans leur langue. Quelque part, loin derrière, Ialiel détachait le trophée de fourrure de son armure pour l’offrir à Cerin. Anguel tendit l’oreille. Il avait l’ouïe fine.

— Pour toi, réussit-il à capter.

Le tout suivi d’un murmure chuintant de Cerin, alors qu’elle acceptait le présent.

Et merde, se dit le vétéran à part lui, avant d’allumer sa cigarette électronique.

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