XXIX

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La moitié du voisinage de Saint-Laurent est venue voir notre intérieur, comme il fallait s’y attendre.

Le canapé et ses deux fauteuils, en chêne ciré et tissu velours est parti dès le premier jour, suivi par le meuble télé assorti et la table basse du salon.

La salle à manger Régence en merisier, complète, table avec rallonges, buffet et six chaises cannées, a été plus difficile à caser. Curieusement, c’est un agriculteur voisin qui est venu la chercher avec son tracteur et un plateau.

La chambre, de style Louis-Philippe, il a presque fallu la donner ; pourtant l’armoire trois portes, entièrement démontable, était très présentable. Le bois de lit, lui, avait un peu souffert, le chevet aussi.

Deux autres armoires régionales, l’une en merisier, avec corniche, l’autre en châtaignier, avec portes sculptées, ont trouvé preneur, en dépit du fait qu’il fallait les démonter et remonter, mais à tout petit prix.

Un lit d’enfant en chêne avec sommier métallique a fait l’affaire d’une mère divorcée. Une penderie-bureau en placage de chêne aussi.

Ce fut une drôle de semaine. Sur le pont dès huit heures du matin, nous guettions le chaland sans trêve jusqu’au soir. Premier pic d’affluence en fin de matinée, mais surtout l’après-midi, puis après la sortie du travail.

Tous les verres trouvèrent preneur, depuis ceux en cristal jusqu’aux vulgaires verres à moutarde, en passant par ceux à liqueur et à calva. Jackie en a emballé plus de trois cents en tout, je crois. Idem avec les couverts, les assiettes, plates, creuses, à dessert, les raviers, les ramequins, les saladiers, les casseroles, les poêles, les cocottes, en fonte, en alu, les tasses à café, les soucoupes, les bols. Il n’est presque rien resté. Tous ces objets à petits prix ont fait florès. Emmaüs a profité du reste.

Le linge de maison a lui aussi fait des heureux : nappes et serviettes avaient peu servi pour beaucoup. Je découvris que Jeanne utilisait toujours les mêmes torchons, usés jusqu’à la trame, et qu’il y en avait des piles de tout neufs ! C’était un peu la même chose avec les draps. J’avais dû batailler pour qu’elle abandonne les draps à couture, confectionnés pendant la guerre avec deux draps usagés, et si inconfortables. Plusieurs paires en lin étaient encore dans leur emballage de cellophane.

De jour en jour, la demeure se vidait. De manière inégale. Dès le samedi soir, une des trois chambres de l’étage était à nu, une autre à moitié. La salle et le salon, vidés de leurs meubles, semblaient immenses. Nous avions dû poser le téléviseur sur un buffet bas que nous gardions et regarder la télé assis sur des chaises de cuisine. Mais nos veillées étaient courtes ; recrus de fatigue, à tour de rôle, nous piquions du nez et chacun réveillait l’autre, jusqu’au rapide abandon d’un commun accord.

Au sous-sol, tout l’outillage a été acheté, même celui d’antan, sans doute aux fins de décoration. Du matériel de jardin, je n’ai gardé que les petits outils.

Emmaüs, les Restos du cœur et le Secours Populaire ont fait place nette du reste.

La maison avait été mise en vente avant le grand débarras et nous avions reçu quelques acquéreurs en puissance : certains clients préfèrent visiter une maison avec ses meubles, d’autres préfèrent la voir vide pour mieux s’y projeter avec les leurs. Les visites reprirent donc, alors que nous vivions pour trois semaines encore entre la cuisine, la chambre et un salon où nous errions comme perdus.

Deux couples restèrent intéressés. Le premier, avec quatre enfants, voulait réaliser une extension sur pilotis dans la pente du jardin et demandait en conséquence un effort de notre part sur le prix. Le second, des retraités parisiens, trouvait la maison et le prix à son goût. Il avait l’argent suite à la vente d’un bien reçu en héritage. Sans surprise, il eut notre préférence. Ces gens souhaitaient emménager en juillet. Un compromis fut signé. Il ne restait plus qu’à espérer que le notaire se débrouille des diagnostics requis et puisse rédiger l’acte de vente dans ce délai.

Notre horizon était à présent dégagé. Bientôt, nous mettrions le cap à l’Ouest, toute !

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 9 mai 2020, 53e jour du confinement.

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