Épilogue

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J’ai, durant cette période, monté et descendu trop d’escaliers et j’en suis sorti bien fatigué. J’aspirais à une vie de plain-pied, mais d’un autre côté, j’aimais beaucoup notre appartement du Croisic qui n’avait qu’un défaut : l’absence de vue sur mer, bien qu’il se trouvât sous les combles au second étage de la résidence des Sables Menus. La Côte Sauvage était toute proche pourtant, trois cents mètres tout au plus. Les escaliers étaient larges et aisés, dallés jusqu’au premier, moquettés ensuite, avec une rambarde d’un côté et une main-courante de l’autre.

Cependant, il était sage de prévoir l’avenir. Impossible d’installer un monte-escalier privatif dans une résidence. Quant à une installation collective, cela ne s’était encore jamais vu. Partir, alors ? Pas tout de suite, en tout cas. Nos possessions restantes du vide-maison avaient été entreposées dans un box loué à Batz-sur-Mer pour six mois renouvelables. Et nous avions notre saoul de déménagements.

La vente aux enchères du Daubigny nous avait donné un peu d’aisance. Ce tableau de 1853, d’une bonne taille – un mètre par soixante centimètres environ – répertorié sous le nom de « Solitude, étangs de Gylieu », fut adjugé une petite fortune ! Frais (énormes) déduits, il nous avait laissé 175 000 francs ! Imaginez un instant que nous l’ayons mis en vente au vide-maison sans le faire estimer. Sans doute l’aurions-nous laissé partir pour deux ou trois cents francs ! Une misère. Il fallait bien reconnaître là un net coup de pouce de la Chance !

Alors, Jackie et moi décidâmes de passer l’été à l’appartement et de prospecter à la rentrée, à la recherche d’une petite maison sans étage en bord de mer. Cela devait pouvoir se trouver. Après la saison, il y avait toujours beaucoup de propriétés mises en vente.

Cette perspective nous apaisa tout les deux. Jackie, sans le dire, se réjouissait de quitter un décor choisi par une autre, moi, de retrouver une vue sur mer qui me manquait beaucoup. Nous passâmes un été délicieux. Je me suis mis à la pétanque dans les allées du Lénigo, Jackie au scrabble au club des Aînés et je lui ai fait découvrir tous les sentiers de la Presqu’île.

Mon premier livre vient d’être réédité et j’ai été retenu pour figurer au prochain salon du Croisic, aux côtés d’autres auteurs locaux. J’ignore si celui-ci sera prêt en temps et en heure, mais peu importe. C’est déjà une grande fierté pour moi. Jackie, toujours un peu jalouse, préférerait de beaucoup que je présente ce dernier, où il est surtout question d’elle plutôt que le premier, consacré presque exclusivement à Jeanne !

— J’y raconte notre rencontre aussi. Et un peu de patience, chérie. Au prochain salon, je présenterai les deux !

Le fils cadet de Jackie, son épouse et ses enfants sont venus durant une semaine. Nous avons dormi dans le canapé pour leur laisser la chambre, c’est plus pratique pour moi qui me lève jusqu’à deux fois par nuit. Les filles étaient enchantées de la plage, du mini-golf, de la moulerie et de la crêperie où nous sommes allés, comme des balades en vélo sur les sentiers. Nous attendons pour bientôt une première visite de son aîné. Les choses se normalisent peu à peu.

Me voilà au bout de ce récit. Ce matin, je viens de relire en entier ce brouillon, qui établit une sorte de bilan de ces presque trois années écoulées au côté de Jackie. Maintenant, vous savez avec moi pourquoi je l’ai aimée au premier jour et pourquoi je l’aime aujourd’hui. Au début, pour cet inexplicable attrait – charme physique, complémentarité des phéromones, conjonction des astres, – depuis, en plus, pour toutes les qualités qu’elle a démontrées et que j’ai tenté de vous exposer. Mais, elle, pourquoi donc m’aime-t-elle, moi, qui ne suis ni beau, ni riche, et déjà entré dans la vieillesse ?

« Quand je t’ai rencontré, m’a-t-elle dit, je me suis intéressée à toi parce que tu es entré dans ma vie à un moment où je me sentais seule et délaissée ; parce que m’occuper de toi, durant ta maladie, a redonné du sens à une existence qui en manquait singulièrement, et depuis, a-t-elle poursuivi, parce que tu t’es révélé être un compagnon prévenant, agréable, cultivé, un amant surprenant de vitalité et que je me suis attachée chaque jour un peu plus à toi. Voilà, mon Pierre, pourquoi je t’aime. »

J’en suis heureux à un point que vous ne soupçonnez pas. Je viens de fêter mes quatre-vingts ans et dans trois mois, nous changeons de siècle.

Merci, la Vie !

Le Croisic, automne 1999.

©Pierre-Alain GASSE, 11 mai 2020, 55e et dernier jour du premier confinement dû à la pandémie du Covid-19.

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