XXII

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Nous eûmes, au retour du mariage de mon petit neveu, deux mois d’été délicieux. Depuis quelque temps, le soleil ménage moins ses rayons et les étés en Bretagne sont plus chauds, me semble-t-il. Même sur la côte nord.

Jackie avait pris ses marques à Saint-Laurent. Elle connaissait à présent tous les commerçants du petit bourg qui la saluaient d’un « Bonjour, Madame Jackie ». Avec son allant et son entrain, il ne lui avait pas fallu longtemps pour se les mettre dans la poche. Un sourire par ici, quelques fleurs par là, et le tour fut joué. La tâche lui fut facilitée par son statut d’ancienne commerçante. Entre collègues, on se comprend, n’est-ce pas ?

Depuis son arrivée, elle s’était aussi approprié la maison et cela nous avait valu quelques chamailleries, car j’ai toujours été assez conservateur dans les aménagements du logis et Jackie n’était pas tout le contraire, mais pas loin.

Cela avait commencé en mars par la cuisine et je la laissai faire. Après tout, c’était son domaine de prédilection et qu’elle veuille avoir les casseroles ici, les poêles là, ranger les assiettes, bols, verres et tasses dans tel meuble plutôt que dans tel autre, ne me dérangeait pas outre mesure, à part le temps pour m’y habituer et ne pas me casser le nez à chaque fois que je désirais mettre le couvert !

Après avoir rangé la vaisselle, les épices et les condiments à son goût, son zèle modificateur se porta dans la foulée sur la chambre. J’avais bien conscience que s’il y avait un lieu où il fallait gommer le souvenir de Jeanne, c’était là. Rideaux et doubles rideaux disparurent en premier, la courtepointe assortie du lit ensuite. À son arrivée, j’avais fourré tout le contenu de l’armoire de toilette de Jeanne dans un carton, et raflé d’un coup de main tous les flacons présents sur la coiffeuse que j’avais fait tomber dedans. Il se trouvait à présent dans un coin du sous-sol en attente d’un sort définitif.

Notre mobilier, à Jeanne et moi, avait été renouvelé dans les années quatre-vingt : nous avions fait réaliser chez un menuisier-ébéniste voisin des meubles sur mesure en merisier. La chambre était « dans le style » Louis-Philippe et se composait d’une armoire trois portes, d’un lit, d’un chevet et d’un semainier. Jackie, qui disposait de meubles d’un style approchant, s’en accommoda et je respirai ! Il y avait aussi un fauteuil Voltaire un peu décoloré, qui lui, ne reçut pas ses grâces et se trouva relégué dans une chambre à l’étage.

Vint ensuite le tour du salon-salle à manger et là, la situation empira. Elle voulait inverser la disposition. La salle à manger avait toujours été près de la cuisine et le salon près de la cheminée. C’était d’une logique imparable à mon sens, mais Jackie ne l’entendait pas ainsi. Figurez-vous qu’un jour, en revenant du jardin avec ma récolte de tomates et de haricots verts, je trouvai la pièce chamboulée. Elle avait réussi, toute seule, à pousser le canapé devant la grande baie vitrée. Le salon donnait à présent sur le jardin, avait vue sur mer et le canapé tournait le dos à la porte de la cuisine. Et la table ovale trônait devant l’autre porte-fenêtre, dans le renfoncement jadis occupé par le canapé.

J’en eus les jambes coupées. Puis le sang me monta à la tête et je crois bien que j’ai poussé ma première engueulade envers Jackie. Ce fut bref, mais violent, je n’en suis pas fier et je ne veux pas reproduire ici les mots employés.

Elle a blêmi sous les avanies, puis nous avons remis salle et salon dans leur état initial, après un semblant d’excuses de ma part pour mon emportement.

Mis à part ces quelques échauffourées, ces deux mois furent très agréables entre plage, baignades, jardin et promenades, sans oublier les bons restaurants des environs.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 24 avril 2020, 39e jour du confinement.

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