Première Partie

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La ville d'Aix-en-Provence vivait, comme toutes les villes de France dans un état chaotique.

Des élections, deux ans plus tôt avaient amené les partis d'extrême droite à la tête de l'état.

Ceux-ci n'avaient pas de majorité pour gouverner, et le pays ne l'était plus.

Les manifestations quotidiennes, et les bagarres générales entre extrêmes gauches et droites embrasaient les citées. Les lois quand elles étaient présentées étaient aussitôt retirées.

Une fois votées, les manifestants empêchaient leurs applications.

Les bandes de dealers avaient envahi les quartiers. On parlait même de disparitions, d’enlèvements et de rançons.

Les pires informations circulaient sur les réseaux sociaux. Des êtres non humains enlèveraient des enfants pour les manger. Des vidéos semblaient le prouver.

La police n'intervenait plus.



Je devais me faire opérer, car je souffrais d'arthrose de la hanche, et j'avais rendez-vous pour l'implantation d'une prothèse.

J'avais payé la taxe à un intermédiaire.


Depuis plusieurs années, il convenait de payer une taxe aux mafias qui contrôlaient les hôpitaux, et tout le système de santé. Et il ne fallait surtout pas se tromper, et payer le bon interlocuteur.



Ma fille m'avait accompagné à l'hôpital, et elle m'avait promis de rester à m'attendre dans ma chambre jusqu'à mon retour d'opération.

Je me suis donc rendu à l'accueil. Et, on me dirigea vers une chambre, dans laquelle j'enfilais les vêtements jetables prévus pour les patients devant être opérés.

Un bonnet sur la tête qui ressemblait à un filet à papillons, des chaussons en papiers. Bref, une tenue dans laquelle on ne se sentait pas du tout ridicule.

Mon voisin de chambre l'avait enfilé, et je n'avais pas pu m’empêcher de rire.

Nous fîmes connaissance, et avions effectué un pari : lequel de nous deux serait le premier à se faire opérer.


Les infirmiers embarquèrent le voisin en premier. Il avait gagné le pari.


Un bon moment plus tard, ce fut mon tour.


Descente par l'ascenseur jusqu'au sous-sol.

On me laissa alors dans mon chariot, sans plus s'occuper de moi.

Je me serai cru dans un grand garage.

J'entendais distinctement des bruits de scie. On devait couper les os de mon voisin de chambre.

Puis des bruits de sussions.


Beaucoup plus tard, le chariot fut poussé dans la salle d'opération, et une infirmière masquée m'installa une perfusion en goutte-à-goutte.




Je me suis réveillé sous un drap qui me couvrait la tête.

Le chariot était constamment déplacé, mais personne ne s'occupait de m'enlever le drap.

Une infirmière, passant près de moi, fit une remarque :

- Encore un qui part à la poubelle. Ils exagèrent. Il n'a pas dû payer.

Je ne comprenais pas, et n'osais croire que cela s'adressait à moi, car j'avais payé la taxe.

Elle poursuivit :

- On ne va pas avoir la place pour tous les mettre.

De quoi pouvait-elle bien parler ?


J'essayais de parler, mais je ne pouvais pas. Pas plus que de ne bouger, d'ailleurs.

Le drap sur mon corps m'empêchait de voir. Écouter était tout ce que je pouvais faire.

On ne cessait de me déplacer. Mon chariot devait gêner.

Et, les endroits où on me transportait étaient mal éclairés.

- C'est bon, il y a une place pour lui, vite, profites-en.


Le chariot prit de la vitesse.

Nous étions sortis du bâtiment, et je fus surpris par le froid et par l'obscurité de la nuit.

J'étais toujours habillé pour l'opération.

Le chariot s’arrêta. Quatre mains me saisirent, et me précipitèrent violemment, dans la benne d'un camion .

J’atterris sur quelque chose qui me semblait être un corps.

Ma position allongée ne me permettant de regarder que vers le haut, je ne pouvais percevoir que des étoiles, le drap me recouvrant ayant un peu glissé.


Le camion démarra, et dans un virage, je fus déporté, ce qui me permit de voir les neuf autres personnes qui étaient ballottées avec moi, dans la benne.

Au bout d'un long périple, il fut évident que nous roulions sur un petit chemin caillouteux, et que nous avions abandonné la route goudronnée.

Le camion ralentit pour contourner des carcasses d'engins de chantiers.

Il fit une marche arrière pour pénétrer dans un très grand entrepôt.


La benne se leva pour nous précipiter dans ce qui resemblait à une énorme piscine gonflable.

Mais dans cette piscine sans eau se trouvaient des morts vivants qui ne paraissaient vivre qu'au travers de leurs yeux.

C'était peut-être ce qui m'était arrivé.

Et, toutes ces personnes n'avaient que les yeux qui bougeaient.


J'entendais comme à l'hôpital, des bruits de scies et d'aspirateurs.


Deux individus habillés de blouses blanches et d'un tablier maculé de sang, le visage caché par un masque blanc, vinrent chercher un des individus stockés dans la cuve.

Ils le jetèrent sur un chariot médical, et l’emmenèrent dans un local à côté, dont ils renfermèrent la porte.

Je n'avais pas vu mon voisin de chambre. Peut-être avait-il payé cette fameuse taxe dont avait parlé l'infirmière.


Une voix forte vient briser le silence :

- Mais, qu'est ce qu'ils me livrent aujourd’hui. Virez mois cette vieille, virez-moi ce vieux. Celui-là aussi.


Deux hommes entrèrent dans la piscine, marchant sur les corps, pour exécuter les ordres.

Je fus retiré du lot et jeté dans la benne, sans ménagement.


Le chef poursuivit :

- Ils ont tous eu leur piqûre de rappel ?

Il s'adressait certainement au chauffeur.

Et, celui-ci semblait le confirmer.


Le camion reparti pour un long périple, dont la destination m'était inconnue.Tout ce que je savais, c'était que nous étions trois dans la benne.

Il faisait nuit noire, quand le camion s’arrêta.

Je fus débarqué et jeté dans un buisson, avec les autres.

Le camion s'éloigna.


Je suis resté là, couché sur le sol, presque dans le simple appareil.

Le froid commençait à se faire sentir. Les pierres sur lesquelles j'étais couché me meurtrissaient douloureusement le corps.

Je me rendis alors compte que mes doigts des mains et des pieds retrouvaient une certaine capacité à se mouvoir.

Ma paralysie disparaissait doucement, en même temps que le froid de la nuit m'envahissait.


J'essayais de réfléchir à ma situation, mais mon cerveau était probablement trop engourdi pour pouvoir y parvenir.

Tout avait été très soudain. Rien de prévisible.


Quand j'ai enfin réussi à tourner la tête, et à me redresser, je fus saisi par l'effroi.

Autour de moi, une centaine d'yeux phosphorescents me regardaient.

Quand j'ai réussi à me lever, et à faire quelques pas, ils me suivaient.


À mes pieds, les malheureux qui avaient étés jetés dans les buissons en même temps que moi étaient toujours paralysés, et celui qui était tombé sur le dos me regardait.

Je ne pouvais rien faire pour eux.

Autour de nous, plusieurs corps en décomposition gisaient sur le sol. Ils semblaient enveloppés par un linceul presque transparent, et seuls leurs yeux exprimaient des signes de vie.

J'aurais voulu fuir ce lieu effrayant, mais pieds nus, ce n'était pas évident.



Je ne savais pas où je me trouvais. En me retournant, il m'était possible de distinguer vaguement la silhouette de la montagne Sainte Victoire.

J'avais emprunté de nombreuses fois les divers tracés menant à la croix et à son refuge, mais jamais de nuit, et j'étais complètement perdu.


Je remarquais une paire d'yeux qui semblait, contrairement aux autres, se déplacer de haut en bas, de temps en temps. Perdu pour perdu, encerclé par ces centaines d'yeux, je décidais de m'approcher de celle que j'avais remarquée.

C'était une vieille femme, assise par terre, dont une partie du corps avait disparu.


Elle se mit à me parler.

Elle me demanda : tu as échappé à la piqûre de rappel ? Tu n'es pas entré en décomposition ?

- Moi, la seringue était presque vide, mais pas suffisamment. Je peux donc parler, mais il faut que je me cache. Une autre personne était dans le même cas que moi, ils l'ont retrouvé, et ils l'ont piqué.

Elle continua : nous ne sommes pas dangereux. On nous a placés là pour effrayer.Nous ne sommes visibles que la nuit, mais la peur que nous inspirons empêche les gens d'y venir le jour.

Nous n'avons pas été placés là par hasard. En fait, nous protégeons le château de la curiosité des promeneurs.


Je l'interrompis : le château ? un château au pied de la montagne Sainte Victoire ?

- En fait, ce n'est pas un château, ou du moins, il n’apparaît pas ainsi de l'extérieur. C'est un château creusé dans la roche. Son ouverture n'est visible que la nuit.

Je ne sais pas ce qu'ils y font.

- Qui sont ces ils ?

- Je ne sais pas.

- Peux-tu m'indiquer où se trouve l'entrée du château ?

- Je ne peux pas me déplacer. Reviens avec du papier et un crayon, et tu dessineras un plan.


Sur ce, je décidais de tenter de retourner dans mon monde.


Après plusieurs heures de marche, à très petit pas, pour ne pas me blesser, je tombais face à quatre jeunes hommes qui semblèrent très surpris de me voir dans cette tenue.

Ils m’accompagnèrent dans leur campement. Trois familles tziganes occupant trois roulottes sans roues. Ils me fournirent des vêtements, et me proposèrent même de me prêter une vieille bicyclette pour rejoindre Aix-en-Provence. Ils travaillaient au noir pour les paysans du coin.


Ils m'indiquèrent que je revenais du royaume des morts, dont on ne pouvait discerner, la nuit, que les yeux. C'est dangereux, les démons essaient de nous attraper, nous n'y allons jamais. Et, ils se signèrent religieusement.

L'un d'entre eux me fit remarquer que j'avais un peu des yeux globuleux, comme les fantômes.

Me regardant dans une glace, je constatais qu'effectivement, mes yeux avaient grossi.

Je leur demandais si, malgré la peur qu'inspirait cet endroit, il n'y avait pas des courageux qui s'y rendaient. Ils me confirmèrent que cela arrivait, toujours en voiture, mais ce qui était le plus surprenant, c'est qu'ils venaient surtout la nuit.

Des amateurs de films d'horreur, certainement.



Je regagnais, tant bien que mal mon domicile, à Aix, à vélo.




Dans la journée, je retournais à l’hôpital.

On me demanda pourquoi j'étais parti avant d'être opéré. Je répondis évasivement, ne sachant pas si tous ces gens étaient au courant, voire complices des enlèvements.

Je récupérais mes affaires qu'ils avaient entreposées dans un placard.


Qu'était devenue ma fille ?

Ma fille, inquiète, était descendue dans les salles de chirurgie, et on ne l'avait pas vu remonter.

Elle n'était pas chez elle. Il me fallait la retrouver. Ma disparition et celle de ma fille ne semblaient surprendre personne. Nous n'avions pas payé la taxe, nous n'avions donc que ce que nous méritions.




Je réfléchissais. Je ne l'avais pas vue dans la fournée qui m'avait emportée.


J'achetais un pistolet et des munitions. On trouvait maintenant tout cela au marché aux puces de Marseille. Et personne ne se serait risqué à vendre des armes de mauvaise qualité. Je me munis aussi d'un poignard que je me procurais chez un armurier.


Le soir, je faisais le guet derrière l’hôpital pour tenter de retrouver le camion-benne qui m'avait enlevé.


J’emportais un grand drap blanc avec moi. Je finis enfin par retrouver le camion.Il y avait déjà des corps allongés dans la benne. Ma fille n'en faisait pas partie.


Je ne pris pas le risque de monter tout de suite, car si le chauffeur les avait comptés, tout serait fichu.

Au moment où il s'installa au volant, je sautais dans la benne et me recouvris du drap.

Le trajet fut exactement le même que celui de la nuit précédente. Au bout d'un long moment, j'ai reconnu le petit chemin.

Quand le camion ralentit pour contourner les carcasses d'engins de chantiers, je sautais à terre, et me débarrassai de mon drap.


Il ne me restai plus qu'une centaine de mètres à faire avant d'atteindre le hangar.

Je savais que je devais attendre que le chauffeur ait terminé sa livraison, et ait repris sa route, pour pouvoir intervenir. Quelques instants plus tard, le camion repartit. Et je dus me cacher pour ne pas être éclairé par ses phares, lors de sa sortie du hangar.


J'entendais à nouveau, les bruits de scie.

Je m'approchais de la porte. Rien n'avait changé depuis la dernière fois, la piscine était toujours pleine de gens paralysés. Personne dans le dépôt, les gangsters devaient être dans le local situé au fond du bâtiment.


À mon avis, ils devaient être au moins trois. J'avais écouté à travers la porte, et reconnu la voix de celui qui semblait être le chef.


Je saisis mon arme. Je ne devais avoir aucune pitié. Ces gens étaient des meurtriers.

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