7 avril

2 minutes de lecture

Les vestiaires de la salle d'escalade sont le refuge des secrets humains. S'en exhale une odeur ineffable faite de sueur séchée par la magnésie et de remugles fromagers émanant des chaussettes laissées en dehors des casiers. Ici, tous les sens sont à nus, découverts.


Alors que je peine à me changer, deux amis en caleçon, mouillés de partout, viennent envahir ma zone de pudeur. Un brun costaud et un châtain maigrelet. Leur conversation taquine les sommets ; aussi en voici une retranscription que je crois fidèle :

- Alors, ça t'a plu ?  demande le trapu.

- De quoi, le sauna ou l'escalade ? répond l'autre en lui glissant un clin d’œil ostensible et complice qui les fait tous deux rire.

- T'as vu, elles sont "not so bas" (sic) les deux poules (re sic) que je nous ai ramenées ! Laquelle tu préfères ?

- Not so bad at all même (.....) ! Je choisis la petite brune, là, Camille, c'est plus mon style. Rien qu'au regard on sent qu'elle cache des choses.

Nouvel éclat de rire.

- Ça marche, je me chauffe sur Audrey alors, conclut logiquement le brun. Dépêche-toi de te rhabiller, il faut sortir avant elles comme ça on leur prend des bières !


Me voilà transformé en l'éponge involontaire de leurs éclaboussures physiques et mentales. Je suis aspergé contre mon gré par l'excitation de ces deux hommes rutilants ; pas de chance, ma peau est hydrophobe ; ils ne me contamineront pas de leur enthousiasme. Je les observe : ils sont bien mieux gaulés que moi ! La testostérone appelle les endorphines qui rappelle la première en retour. Dans mes artères à moi, c'est le spleen qui coule. Leur heureuse désinvolture m'a coupé l'envie de grimper. Suis-je comme eux ? Font-ils semblant de jouer à l'homme frivole pour être en phase avec l'image qu'ils se sentent obligés de renvoyer au monde, aux autres ? Qu'est ce qui nous pousse à être virils quand au fond nous pleurons tous ?


Le peur du vide, du néant social. L'angoisse de l'ermite. L'enfer c'est les autres et la solitude nous est insupportable puisqu'elle ne reflète notre image que dans nos yeux. Et ceux-cis sont pleins de mépris pour notre propre reflet.


Pour me consoler de la beauté que je soupçonne chez Camille et Audrey, je me récite Baudelaire :


Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,

À cette horrible infection;

Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,

Vous, mon ange et ma passion !

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