On ne parviendra jamais à capturer l'essence d'un autre. Voilà pourquoi l'amour est voué à l'échec. Au début la passion emporte tout, et la sensation d'être percé à jour par l'objet de son coeur est le plus doux des euphorisants. Le torrent d'endorphine qui dévale nos veines nous donne l'invincible illusion qu'enfin l'autre nous comprend. RECONNU, jusqu'au fond des pensées. Byzance ! Comme c'est grisant d'être décortiqué ! Demandez aux crevettes, aucune ne répondra non. Un pacte tacite est signé de la plus heureuse des façons : je t'offre ma transparence la plus totale en échange de la tienne. "Regarde comme c'est beau à travers mon crâne". "Toi aussi, mon amour". L'imposture est sublime, fluide, parfaite. Oui, mais voilà : elle n'est pas éternelle et une pichenette suffit à faire s'évanouir dans les airs ce voile magique.

Souvent, le temps joue ce rôle. Peu à peu, au rythme la trotteuse tout s'étiole. Ce n'est pas que nous devenions plus opaque non, mais nos pensées jusque là monodirectionnelles recouvrent lentement leur complexité originelle. La route se divise, devient bifide, le réseau se reforme. Ce qu'on croyait être un mur blanc mute en labyrinthe et nous voilà tout décontenancés.

Alors on s'accroche désespérément. On s'achète des lunettes de plus en plus chères mais rien n'y fait : le brouillard s'est installé : on n'y voit plus à trois mètres. L'autre est redevenue l'autre, l'aube est terminée. Il ne reste plus qu'à partir, à se résigner ou à faire des enfants pour se mentir et ainsi va la vie...

Dès lors, ma quête sera de naviguer de passion en passion ! Érotomane jusqu'au bout des jours longs ! Tant pis pour le reste, mes intestins me guideront : je remuerai de l'intérieur pour toujours.