2 avril

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Journée de dernière chance dans mes vaines tentatives de séduire Caroline. J'ai l'ai prise par surprise en lui téléphonant directement : elle n'a pas eu le temps de trouver un prétexte pour s'enfuir. La ruse et l'étonnement comme arme, à défaut du charme suffisant.


Je dois la retrouver à 14h15 au bois de Boulogne, au bord d'une grande mare où devant moi reviennent d'Afrique quatre oies qui tiennent alors grand et bruyant conciliabule. La présidentielle galopante les inquiète sûrement. Les oiseaux sédentaires se taisent : ils laissent parler les voyageurs. Les carnets de voyage aviaires doivent être si beaux lorsqu'on peut les comprendre... Caroline arrive finalement à 17h30. J'ai eu le temps d'ingurgiter "Malaise de la civilisation" de Freud, "La désobéissance civile" de Thoreau et la moitié de "La vérité en salade" du formidable couple Dard/San-Antonio. Les auspices semblent défavorables : pourtant les oies venaient de la droite.


Au début nous parlons peu. Elle s'allonge sur le ventre, dos aux canards qui batifolent par deux. Assis en tailleurs, j'ai tout le loisir d'observer sa cambrure, ce changement de pente soudain et fascinant, que l'on appelle si bellement "chute de reins" et qui fit frémir les peintres de tous âges. Les rôles du Déjeuner sur l'Herbe sont pourtant inversés : je suis à nu, mené du bout du pied par cette sylphide déguisée en étudiante de droit. Le soleil d'en bas devient orange. Un peuplier le découpe en lamelles régulières, comme autant de quartiers de mandarines qui viennent danser sur ses chevilles découvertes.


Elle s'est assise face à moi, lasse de ses révisions. Nous nous expliquons nos sentiments sans honte, avec le calme triste des endeuillés à venir. Je l'aime, elle m'admire. Je l'intéresse, elle me fascine. Tout cela est donc voué au néant. Impossible. Perdu d'avance. J'ai envie de hurler, de lui démontrer mathématiquement qu'elle se trompe, d'utiliser toute la puissance de la raison pour la convaincre de la chaleur de mes bras. Je n'en fais rien, à quoi bon créer un théorème dont l'hypothèse originelle se révèlera toujours fausse ? Peu à peu, à force de calme, je parviens à m'apaiser. Le temps des cerises est enterré vif : le printemps est assassin. Homicide paisible sur les herbes rases. Après un dernier tour de lac nous nous séparons en paix, certains de ne pas nous revoir. Chacun avec nos regrets, nous nous faisons dos. Le doute, comme une bulle de savon qui a trop voyagé, se crève définitivement.


L'espoir est le premier des maux : il n'est bon qu'à être étouffé, tué. Je retourne au vide le cœur las mais soulagé. Que m'a-t-il pris de croire que je pourrais vivre? Malgré tout, caché au fond, dans les recoins inaccessibles d'un organe indéfini, un rai de lumière s'est allumé. L'invincible été de Camus. Je peux aimer. J'en suis témoin maintenant. La douleur m'enlace, la souffrance sourde des mal-aimés. Elle signe ma renaissance : Adieu Caroline, et merci.

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