3 avril
Le bonheur est la chose la moins absolue de toutes. Ce n'est qu'une question de contraste. Seule la dynamique compte. Ce matin, je vais seulement très mal : c'est beaucoup mieux qu'hier soir. En conséquence de quoi je suis parfaitement heureux. Il n'y a rien de plus triste qu'une série de beaux jours : Freud résonne en moi comme un acide, et me dérobe des bribes d'amertume.
Les militaires qui patrouillent dans la gare, eux, le regard cloué aux carreaux sales du sol, ont l'air abattu par leur tache. Je les comprends : qui aurait envie de se trimballer dans un costume pareil par une telle journée de printemps ? Oui, le printemps m'obsède, il réveille en moi des bourgeons que je croyais flétris à jamais. Est-ce l'âge qui petit à petit me rend sensible aux saisons comme les poètes ou simplement ma situation ? Et ces militaires ennuyés, étouffés de chaleur, pensent-ils aux fleurs roses qui partout éclosent ? Si le canon de leur Famas pouvait fleurir, sans doute en concevraient-ils une grande gaieté. Assis à mon bureau, je prends goût au lyrisme. Vivement le retour des nuages, ces barba-papas du ciel épongeront tout le miel de mon stylo. Veillons toutefois à ce qu'ils ne deviennent pas meringues : trop de sucre fait vomir et je veux continuer d'écrire.
Peut-on décemment être écrivain et croire en l'amour ?
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