Impossible de se concentrer. Je fixe un écran, deux même, sans vraiment les regarder. Dessus, des lettres, quelquefois des chiffres. Je dois ajouter d'autres lettres et d'autres chiffres sans réellement savoir lesquels ni pourquoi ; seulement dans le but de plaire à une entité nébuleuse qui a pour représentation physique mon chef : un homme petit avec un nez gros comme une maison. Tout cela est si abscons. J'exècre les documents techniques : derrière les mots rien ne se cache.

Dés qu'un collègue passe dans mon dos, je pose instinctivement la main sur la souris. Pavlov verrait beaucoup à y dire. Évidemment, ce collègue s'en aperçoit. Ne dis pourtant jamais rien : qu'en pense-t-il ? Pour moi, plus ils sont oisifs, plus ils me plaisent. Les autres, les passionnés auto-proclamés, m'assomment par la force qu'ils mettent à persuader le monde de leur utilité. Le monde ne leur rendra rien, il restera silencieux quand on l'implorera à genou. Pourquoi y laisser tant et tant de joules ? La lutte, toujours, pour sentir un ersatz de vie. Et la défaite finale, la mort, pour tout le monde.

Mes écrans ne bougent pas, moi non plus. Ce n'est pas finalement pas moi qui les regarde : c'est eux. Un sourire moqueur en pixels se dessine sur leurs visages à cristaux liquides. Ne voient-ils pas qu'eux aussi bientôt auront une conscience propre ? C'est l'affaire de quelques années. Les arbres deviendront alors leurs bourreaux : jalousie de l'inerte. La vitesse est vouée au suicide.

C'est l'heure de rentrer chez moi, ma journée de travail est finie : alors je rentre, sagement, docilement. Et quand demain il faudra revenir, je reviendrai... Vivement qu'un homme soit un jour courageux.