16 mars

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Essayons d'imaginer ce que serait la vie des hommes si le blé n'avait pas existé. Sans blé : pas de pain, pas de Chocapics le matin, pas de goûter-crêpes non plus au retour de l'école. Rien de tout cela. La France aurait-elle été ce qu'elle est maintenant sans une bête céréale ? Aurait-elle même existé, sans ce qui l'a nourri pendant plus d'un millénaire ? Les artistes, parfois bien-nés, parfois grâce à des mécènes, mangeaient souvent à leur faim (Satie faisait en revanche juste semblant). Mais ces riches ou illustres étaient nourris par les pauvres, eux-mêmes nourris par le pain qu'ils produisaient, lui-même fabriqué grâce aux moulins construits par des hommes dont le blé récolté avait maintenu la force. Ronsard, Voltaire, La Boétie, Musset, Marivaux, Flaubert auraient alors sûrement ainsi été maraîchers ou éleveurs... Les confessions d'un enfant du siècle auraient eu une bien différente saveur.


Si je divague autant sur l'existence du blé, c'est essentiellement pour deux raisons :


Tout d'abord, cela m'est venu ce matin, après un réveil difficile en cinq fois (avec frais), et une douche où l'eau chaude s'est faite plus rare qu'une parole intelligible de Doc Gynéco, le malheur s'est abattu sur moi !

Le paquet de céréales habituel, fidèle compagnon de mes matinées mornes, posté depuis toujours comme une effigie immuable sur le plan de travail en bois de la cuisine, était vide ! Je le secouai dans tous les sens, le retournai à l'envers, le remis à l'endroit : rien. Rien ! Dans la panique, en fouillant parmi des tiroirs dont le souvenir de les avoir ouverts un jour était déjà éteint, je trouvai miraculeusement un paquet intact de flocons d'avoine. Quelle déliquescence ! Quelle infamie ! La répulsion grandissait, remontait jusqu'à mon œsophage tandis que mes papilles se délitaient, ne pouvant supporter l'ingestion d'une bouchée supplémentaire de cette bouillie pâteuse et sèche. Au second tour je rejoindrai sans honte, avec enthousiasme même, le front républicain autour du blé, contre la dictature de l'avoine. Faisons barrage à cette céréale bâtarde ! J'ai déjà le slogan : Ma voix ne (m'avoine) n'ira pas à l'avoine ! Ma reconversion dans la politique n'est pas à l'ordre du jour...


Cela m'amène à la seconde raison. Si l'on sait ce que l'on perd en perdant le blé, les champs de l'infini s'ouvrent grand en imaginant ce que l'on aurait pu gagner si une plante, un animal, un minéral qui n'existent pas avait existé. Une liste non-exhaustive de manque naturel pourrait être celle-ci : 


- Une drogue inoffensive, éternelle qui rendrait heureux n'importe qui la consommerait.

- Un plat aussi jouissif gustativement qu'il est sain nutritionnellement. Fini les pommes pour compenser le MacDonald's et le MacDonald's pour compenser les pommes.

- Un fromage au lait cru toléré aux États-Unis.

- Un combustible nucléaire propre et auto-régénérateur.

- Une hormone empêchant la passion de se dégrader en une tendresse narcotique.

- Un équivalent de la kryptonite qui inoculerait des gastroentérites aigues aux gens que je n'aime pas.

- Une route à pente modifiable qui se mettrait automatiquement en descente lorsque je prends mon vélo.

- Un légume qui permettrait de ne pas en devenir un.


Quel est le plus triste entre jouer seulement avec ce que l'on a ou de ne pas pouvoir jouer avec ce que l'on aura jamais ?

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