13 mars
Quelle chienlit que ce besoin de malheur. Oh avant c'était facile, la dose était la même pour tout le monde : on crevait de faim à longueur de temps alors forcément ça occupe. Seulement quand enfin on sort de la misère matérielle, que les derniers relents de lion qui restent en nous se contente de chasser la nourriture en supermarché ; quand le confort qu'on appelle "moderne" - tout ça pour faire diversion - nous procure ce vers quoi a toujours tendu l'humanité de toutes ses forces : à savoir du temps libre et un stock plus gros qu'un hangar d'oisiveté ; voilà t-il pas que l'on se met à réfléchir sur nous, à écrire même parfois. Réfléchir c'est toujours mauvais signe, ça exprime un mécontentement au fond ; alors ça ne peut amener que la tristesse. Seules la faim ou la mort éteignent ce malheur nouveau de l'esprit. On devrait brûler du spleen au lieu de s'embêter et de s'entretuer pour du pétrole : ça embrase mieux et la production est gratuite et illimitée.
Décidément, être privilégié rend con. Voilà que je me prends à rêver de devoir lutter pour manger, de souffrir pour ma survie. J'arrive à me convaincre, comme à l'école, par des expressions toutes faites du genre "ventre affamé n'a pas d'oreilles". Le sort des mendiants dans la rue me devient presque enviable ! Ah quelle chance ils ont ceux-là, d'avoir un objectif concret à réaliser chaque jour : ne plus avoir faim. Le malheur du poète vient de ce qu'il n'écrit pas le ventre vide. La lamentation est un sport de riche. Je ne suis qu'un vilain dégoûtant, et je m'en excuse.
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