1 mars

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    J'ai terminé Fermina Marquèz de Valéry Larbaud, en deux jours à peine. Pourtant, je ne l'ai pas trouvé bon, c'est d'ailleurs pourquoi je vais chaudement le recommander à mes amis : ils n'ont de cesse de répéter que mes goûts sont mauvais ! S'ils me disent qu'ils l'aiment, cela voudra-t-il dire que j'ai réellement mauvais goût, que ce sont eux ou bien alors qu'ils mentent pour me faire plaisir? 


    Larbaud c'est en fait l'anti-Rousseau, Céline à l'envers, c'est finalement l'opposé de tous les auteurs : il est bien meilleur homme qu'écrivain. J'en veux pour preuve qu'il passa les vingt-deux dernières années de sa vie à ne rien dire d'autre que : "Bonsoir les choses d'ici-bas" sans jamais bouger de son fauteuil. Je n'ai jamais connu d'homme plus libre ! Depuis que l'homme est homme, c'est-à-dire avec une conscience, la liberté lui a été confisquée. Être conscient ce n'est pas savoir que l'on existe : c'est savoir que l'autre vous regarde. Or, personne ne regarde Larbaud. Il est bien trop haut, assis sur son fauteuil en lévitation tandis que d'en bas nous l'entendons nous murmurer "Bonsoir". À quoi cela nous a-t-il servi de nous redresser si c'est pour tout de même garder deux pieds au sol, et ainsi ne jamais pouvoir fuir l'homme qui nous fait face ? Larbaud avait bien compris qu'un fauteuil quadrupède volant est plus libre que le plus évolué des bipèdes.


    Je sors de chez Esther, où nous avons dîné avec François-Gabriel qui est reparti en hâte, courant pour attraper son train de nuit. Ce que j'aime avec elle, c'est que l'on peut se permettre d'être lourd. Oh non, pas lourd graveleux ! Enfin un peu, si, parfois. Mais plutôt de la lourdeur inexprimée qui s'oppose à L'Insoutenable Légèreté de l'être. Cette légèreté plus pesante qu'un couvercle de plomb, qui nous oblige à rire aux blagues de bureaux, ou réagir sur le menu de la cantine. Non, avec Esther, nous discutons dans le plus grand des sérieux de défenestration (elle vit au quatrième étage), de la vanité humaine, des gens si mauvais et de l'espoir mort. Il arrive quelquefois que nous parlions d'amour, ce qui nous fait rire un bon coup. Mais surtout, surtout, il est permis avec elle de se taire, sans que personne ne se mette à croquer des chips pour nier le silence. Juste se taire, comme Valéry, pour ne pas se regarder dans le miroir.


    De tous mes amis, aucun n'est célèbre. J'espère secrètement être le premier. Seul l'anonymat des autres est tout à fait tolérable.

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