Je suis assis sur un banc, au parc. Il est midi. Je suis entouré par des sons de mon passé que je reconnais aisément : au loin des enfants s'amusent et crient avant que ne sonne la cloche de la cantine. Les bruits de leur jeux sont régulièrement couverts par le fracas des voitures qui, cachées par un grand parapet en bois, vrombissent toutes à l'unisson lorsqu'un feu qui m'est invisible passe au vert. Au-dessus de ma tête, perché, un oiseau noir chante, un oiseau des villes, petit mais brailleur : sans doute salue-t-il ses amis migrateurs qui reviennent d'Espagne, comme les gardiens d'oasis voient passer les caravanes et les envient un peu. Un homme, pas bien grand, a du mal à se gratter le visage : il a deux bouteilles d'eau Cristaline dans la main droite et deux mandarines dans la gauche. Le soleil se reflète dans l'eau qui éclaire les deux fruits. Ceux-ci retournent l'espace d'un instant au Maroc avant de finir englouties par le vieux monsieur. Il croise à mon niveau une mère qui fredonne une berceuse que je n'aie jamais entendue. Dans le landau, l'enfant est endormi.

    Un arbre maigre me fait face ; il porte sur lui des cicatrices indélébiles. Un J et un G, enserrés dans un coeur. Il les gardera toute sa vie, même quand J et G, lassés l'un de l'autre, se sépareront dans quelques années ou quelques mois. Peut-être l'un deux reviendra-t-il un jour avec une nouvelle famille et ils riront alors ensemble de ces amours passées, devant l'arbre triste. Puis ils s'en iront pour toujours, comme tous, et l'arbre restera, mélancolique, pleurant à l'automne ses feuilles lasses sur des promeneurs nouveaux comme moi, qui ne sentiront pas que la caresse de cette feuille tombée sur leur joue est celle de ces amants-là, de J et de G, la caresse de cette passion désormais éternelle. Arbre, tu es mon frère et je pose ma main sur ton coeur. Même si tu restes muet, je sais que tu me comprends, car nos parents sont les mêmes. Adieu, je ne reviendrai pas.