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« Tu cherches quelque chose, Desya ? »

Oui, tu n’aurais pas vu mon écharpe ?

« Laquelle ? »

La bleue.

Gavriil regarda dans le salon autour de lui, même s’il doutait de l’apercevoir.

« Peut-être l’as-tu oubliée en vidant ta valise. »

J’espère qu’elle n’est pas restée chez moi, mais je vérifierai dans les bagages.

À ce moment, Sergey entra, une pile de vêtements dans les bras. Il alla la poser sur la table et déclara :

« Si tu cherches les dix-huit bouts de tissu que tu as emportés en voyage, ils sont ici. »

Il en sortit un bleu et ajouta :

« Dont celui-ci. »

Ah, merci !

Son cadet le rejoignit avant de remarquer :

Tu les as lavés ? C’est gentil de ta part.

« J’étais de corvée de lessive aujourd’hui. »

Desya allait prendre son écharpe préférée mais il la lança en l’air.

Hé ! protesta le plus jeune. Fais-y attention.

Il la rattrapa rapidement puis observa :

Si tu veux aussi une écharpe, tu n’as qu’à demander à Shynar de t’en tisser une.

« Très peu pour moi. Ça ne se porte pas, surtout pendant la saison chaude. »

Attends un peu que Nikita t’envoie en mission dans le Nord et on verra.

« Compte sur moi pour que ça n’arrive jamais. J’aimerais éviter de tomber malade. Et en parlant de ça… »

Il dirigea son regard vers Pavel qui lisait dans un fauteuil un peu plus loin. Il le rejoignit, s’arrêta devant lui et déclara :

« J’ai trouvé ma vengeance. »

Son frère leva les yeux de son livre pour le considérer d’un air interrogateur.

« De quoi parles-tu ?

- Tu ne te souviens pas d’une certaine mission, d’un point d’eau et d’un rhume ?

- Mais Sergey, ça fait déjà un an ! remarqua-t-il, à la fois étonné et amusé.

- Tu m’avais volé mes ordres de mission après ça. Et puis, c’est toi qui m’as incité à me venger.

- En effet. Et donc ? Que comptes-tu me réclamer ?

- Un duel au violon ! »

Pendant un moment, Pavel n’eut aucune réaction. Il fixait son jumeau avec une expression indéchiffrable, dans laquelle ce dernier lut du doute ainsi qu’une pointe de confusion. Finalement il baissa le regard vers sa main-automate.

« Je passe mon tour. Tu n’as pas une meilleure idée ?

- Non, celle-ci est parfaite. J’ai été plutôt gentil en plus.

- Ça fait longtemps que je n’ai pas joué. Et je n’ai pas encore retrouvé mon agilité.

- Justement. Je me soucie de ta rééducation. Allez, viens, je te promets de ne pas aller trop vite. »

Pavel hésita, un mélange d’incertitude et d’envie au fond de ses yeux gris, puis soupira et referma son livre.

« D’accord. » accepta-t-il en se levant.

Son frère sourit et tous deux quittèrent la pièce. Desya attendit qu’ils soient sortis avant de commenter :

Je pense qu’on peut l’inscrire à la liste des rancunes les plus longues.

« Ça ne m’étonne pas de lui. ajouta Gavriil. Mais c’est touchant de voir comme il prend soin de son frère. »

Son camarade acquiesça. Quelques instants plus tard, ils entendirent les premières notes s’élever. Ils écoutèrent attentivement la mélodie qui s’esquissait. Un premier violon définit le thème, deux phrases musicales simples sur un tempo lent. Le second instrument lui répondit, reprenant le motif en y ajoutant des ornements hésitants. Tous deux jouèrent ensuite à l’unisson, pour se séparer après quelques boucles. L’un poursuivit l’ostinato à un rythme légèrement plus soutenu tandis que l’autre se lançait dans une improvisation affirmée. Le morceau se développa ainsi, à la fois aérien et enjoué, jusqu’à ce que les deux lignes se croisent en une variation nouvelle. Le violon qui jouait la basse gagna en intensité, montant dans les aigus jusqu’à ce que ses notes paraissent exploser pour se muer en cristal. L’autre se fit plus discret, assurant une base stable pour laisser son double s’épanouir. Le nouveau meneur acquit peu à peu son assurance, et bientôt il se risqua à des broderies plus complexes, hors des trilles convenus.

Il était facile de deviner lequel des frères inventait quelle partie. Pavel avait un jeu classique, et même lorsqu’il se lançait dans une interprétation libre on sentait qu’il connaissait son solfège à la perfection. Sergey de son côté se défaisait plus rapidement des règles pour évoluer comme il l’entendait, il n’avait jamais bien travaillé sa théorie mais compensait par une exceptionnelle mémoire auditive. Si l’un détenait la connaissance, l’autre possédait la créativité.

Tout au long du morceau, alors que leurs cordes imaginaient la mélodie, l’énergie de l’un semblait se transférer à l’autre, lui redonner confiance avant de se changer en gratitude et de lui revenir. De leur lien musical se répandait une complicité qui ne se manifestait qu’en ces occasions. C’était leur monde indicible, qu’ils savaient apprécier à sa juste valeur, leur façon de se dire qu’ils tenaient l’un à l’autre.

Quand la dernière note s’éteignit, un sourire flottait sur leur visage.

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