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Il courait à travers d’interminables couloirs, tous ses sens en alerte. Il avait étendu ses perceptions au maximum avec un incantation pour repérer deux présences en particulier. Tout en parcourant l’immense demeure, il s’étonnait de ne détecter aucune forme de vie humaine. Les seules essences qu’il identifiait étaient d’origine végétale, et il y en avait beaucoup.

Qui aurait cru que l’Assassin royal aimait s’occuper de ses cactus ? pensa-t-il.

Il remarqua à quel point ce constat était étrange en pareilles circonstances et eut un drôle de sourire. Soudain il crut déceler quelque chose et ouvrit une nouvelle porte. Il en vérifia l’intérieur d’un coup d’œil, mais ne trouva rien et repartit.

Ce manoir a des couloirs indécemment longs, et beaucoup trop de pièces.

Il était parti explorer l’étage tandis que Gavriil se rendait au sous-sol, et que Nikita restait auprès de Pavel et Desya pour veiller sur eux. Ils ignoraient si des dangers subsistaient dans la demeure de leur ennemi et préféraient éviter de laisser les blessés seuls, même si le temps leur manquait pour retrouver Tōru et Shynar.

Il parvint au bout d’un deuxième couloir et s’arrêta pour reprendre son souffle. Il commençait à en avoir assez de ces murs tous identiques, jalonnés de portes sombres indifférenciables. Alors qu’il s’apprêtait à repartir, il ressentit enfin les deux présences. C'était comme un faible signal sur sa droite, dans une salle du couloir suivant. Il s’élança dans cette direction et en quelques instants atteignit la porte. Il l’ouvrit rapidement, ses mains tremblant tant il était fébrile. Après avoir fait un pas à l’intérieur il attendit que ses yeux s’habituent à la semi-pénombre qui y régnait. Il distinguait comme un long plan de travail sur sa gauche, couvert d’objets hétéroclites. Et tout au fond, à droite, étaient alignés deux lits où deux silhouettes semblaient dormir. Il les rejoignit rapidement et s’arrêta à côté, peinant à réaliser qu’il les avait enfin retrouvés. Une étrange émotion le prit, mélange de soulagement, d’inquiétude et de tristesse. Comme si après tous ces mois de voyage et ces épreuves en illusions il ressentait d’un coup une grande fatigue. Sans perdre de temps il contacta les deux autres par la pensée.

Nikita, Gavriil, je les ai trouvés.

Comment vont-ils ? s'enquit le premier.

Ils sont encore vivants.

J'arrive. dit le second.

En attendant sa venue, il analysa les signes vitaux de Tōru et Shynar. Tous deux étaient plongés dans un profond sommeil et leur respiration ainsi que leur cœur ralentissait imperceptiblement. Le frère de Sakura avait le teint encore plus livide que celui de la jeune femme, mais les symptômes de celle-ci paraissaient plus avancés. Le Chasseur ne pouvait s’empêcher de regarder son visage en apparence serein, désirant plus que tout voir ses yeux s’ouvrir à nouveau. Leur vie à tous deux allait dépendre de lui, et il savait qu’il ne serait jamais capable de surmonter un échec. Sans perdre de temps, il détecta le poison dans leur sang pour analyser sa composition. Sa simplicité le surprit et le rassura, tout en lui rappelant qu’il ne lui restait que peu de temps pour préparer un antidote. Il se tourna vers le plan de travail et généra une source de lumière. Divers ustensiles en verre pour la plupart s’y trouvaient, presque tous vides. Il s’étonna de trouver si peu d’ingrédients, que ce soit dans les récipients ou sur l’étagère au-dessus. En revanche, il repéra un livre assez épais déposé à côté d’un réchaud éteint. Un titre y était inscrit en grandes lettres : Venins et élixirs. Alors qu’il commençait à en tourner les pages, son frère d’armes le rejoignit.

« Sergey ! Alors, où en es-tu ?

- Gavriil, j’ai besoin de ton aide ! »

Le nouvel arrivant s’approcha, et après avoir brièvement considéré Tōru et Shynar lui demanda avec inquiétude :

« Comment peut-on les sauver ?

- Il leur faut un contrepoison, mais je n’arrive pas à le trouver. Je crois que l’Assassin a fabriqué une substance artisanale.

- Qu’a-t-il utilisé ?

- De l’hypnodoron en forte quantité et un peu de soteïrandre.

- Tu ne peux pas préparer un Thériaque ?

- Non, c’est bien trop long et il n’y a pas les ingrédients ici. »

Il lui tendit le livre et Gavriil se mit à le parcourir avec hâte. Tout en classant les informations à la volée il remarqua :

« Évidemment, ce serait plus simple s’il y avait un sommaire... Même mort, il continue à jouer avec nous. D'abord un poison simpliste, et ensuite une page arrachée... Espérons que celle que nous cherchons n’a pas subi le même sort. »

Il finit par identifier les chapitres et repéra la section qui les intéressait. Il s’interdit la moindre manifestation de soulagement, conscient que rien n’était encore joué.

« Là ! repéra-t-il. Les deux antidotes !

- Où ? » demanda Sergey.

Il lui désigna les quelques lignes où étaient mentionnées les simples capables de contrer les substances auxquelles ils avaient affaire.

« Du thermaion et de l’adioriste. »

Un temps passa.

« Mais ce sont des plantes rares ! s'exclama l’aîné. Et il n’y a aucune raison qu’elles poussent ici !

- J’ai repéré plusieurs espèces de végétaux dans la maison, déclara son camarade, mais pas celles-ci. »

Il soupira et ajouta :

« Je n’ai pas le choix, je vais devoir utiliser ma capacité spéciale. »

Il éleva un peu les mains et ferma les yeux. Il essaya de se rappeler les rares fois où il avait étudié ces plantes, passant en revue leur composition et leurs propriétés. Le thermaion, par l’énergie qu’il libérait, était idéal pour lutter contre l’hypnodoron somnifère, qui à forte dose ralentissait l’activité corporelle jusqu’à l’arrêt complet. L'adioriste se révélait plus complexe, car encore peu connue. Son action principale était de stimuler le système immunitaire, à l’inverse de la soteïrandre qui détruisait systématiquement tout organisme vivant après l’avoir affaibli. Lorsqu'il rouvrit les yeux, deux petits rameaux se trouvaient sur ses paumes, l’un rouge mat et l’autre cuivré. Gavriil les prit et se tourna vers le plan de travail. Il attrapa divers ustensiles puis alluma le réchaud en expliquant :

« J’ai lu les instructions, il suffit de broyer les racines et la tige du thermaion avec les feuilles d’adioriste en ajoutant de la sève d’exalaoi, puis de réchauffer le tout. Heureusement que ce dernier ingrédient sert de base à de nombreux élixirs, et qu’il en restait un peu ici. »

Sergey hocha la tête en silence, trop inquiet pour parler. Son regard ne cessait d’aller de son frère d’armes qui travaillait avec le plus grand sérieux aux deux autres dont le sommeil semblait si proche de la mort. Leur état avait un peu évolué, ils semblaient bien plus pâles que lorsqu’il était arrivé, et leur souffle se faisait de moins en moins perceptible. Il se rapprocha d’eux et analysa à nouveau leurs symptômes.

« Alors ? Combien de temps leur reste-t-il ?

- Je dirais cinq minutes. Où en es-tu ?

- J’ai presque terminé. »

Il versa le liquide aux reflets nacrés dans deux flacons et en tendit un à son cadet.

« Il faut leur faire boire ça. »

Gavriil se rendit auprès de Tōru tandis que Sergey rejoignait Shynar. Ils leur administrèrent tant bien que mal l’antidote et attendirent. Un temps passa, puis un autre, et rien ne se produisait. La tension montait et aucun des deux Chasseurs n’osait regarder l’autre, de peur de deviner sur ses traits ses propres doutes et peurs. Ils s’efforçaient de ne pas s’imaginer ce qui pouvait arriver dans les instants à suivre, de ne pas penser à ce que signifierait un échec pour eux.

Finalement, Tōru ouvrit les yeux. Il considéra ce qui se trouvait autour de lui, désorienté. Il reconnut les deux soldats et parut plus rassuré. Gavriil l’aida à s’assoir puis s’enquit avec prévenance :

« Comment te sens-tu ?

- Je ne sais pas trop... j’ai le vertige. »

Il parlait avec une voix hésitante et une certaine confusion se lisait dans ses yeux verts. Il fit un effort pour rassembler ses souvenirs mais sa mémoire était encore trop trouble. Il demanda :

« Que s’est-il passé ?

- Tu as été enlevé par l’Assassin royal il y a plusieurs semaines de cela, tout comme Shynar, et nous sommes venus vous secourir et éliminer notre ennemi. »

Tōru parut accuser le coup et garda le silence. Gavriil aurait aimé lui annoncer cela plus délicatement, mais il ne s’était pas encore remis de ses émotions ce pourquoi le tact lui avait fait défaut. Pour sa part Sergey ne disait mot. Assis sur le bord du lit de Shynar, il lui avait pris la main et ne pouvait détourner le regard de son visage, chaque seconde passant augmentant son angoisse. L'état de la jeune femme demeurait stable mais il était incapable déterminer si c’était bon signe. Il espérait de toutes ses forces que le contrepoison ferait son effet, qu’il le lui avait donné à temps, et qu’elle n’était plus en danger de mort. Il n’avait jamais vraiment été croyant, cependant il comprenait soudain le besoin qu’avaient certains de remettre leurs épreuves entre les mains d’une puissance supérieure capable de tout résoudre. Alors qu’il analysait de nouveau ses symptômes, guettant une réaction, elle prit une inspiration et se réveilla. Sans oser y croire, il la regarda se redresser un peu pour s’adosser au mur derrière elle. Elle considéra les trois autres avec étonnement puis prit la parole :

« Où sommes-nous ? »

Son ami d’enfance réagit enfin. Il la serra contre lui. Surprise, elle mit un temps avant de lui rendre son étreinte. Il demeura ainsi un instant, incapable de la lâcher, pour s’imprégner de sa présence rassurante. Elle lui caressa les cheveux d’une main hésitante, comme elle l’aurait fait pour réconforter un enfant.

« Sergey... »

Il s’écarta un peu et elle remarqua qu’il avait les larmes aux yeux. Il tenta un sourire avant de déclarer :

« J’ai eu si peur, j’ai cru t’avoir perdue. »

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