La nouvelle de l’arrivée de l’automate-infirmier se répandit à travers le camp en moins d’une journée. De nombreux soldats s’arrangèrent pour avoir des activités non loin de l’infirmerie pour essayer de l’apercevoir. Aidé des instructions de Tōru, Sei expliqua au professeur Tairev le fonctionnement de cet inhabituel auxiliaire. Le médecin l’autorisa à l’utiliser, du moment qu’il n’effectuait pas d’opérations trop importantes. Même s’il avait été testé, mieux valait que l’automate fasse ses preuves sur le terrain avant d’accomplir les mêmes tâches qu’un humain.

Sei s’habituait peu à peu à la présence de cet étrange compagnon. Il appréciait son assistance, car effectuer certains travaux à deux s’avérait souvent plus simple et plus pratique. En ce moment, il était en train d’aménager l’une des annexes de la grande tente avec lui. Ce n’était pas une mission médicale au premier sens du terme, cependant la force de la machine se révélait assez pratique pour déplacer des meubles. Tous deux venaient de finir d’aligner une cinquantaine de lits dans l’espace qu’ils avaient dégagé au centre. Cette pièce de taille moyenne servirait à accueillir les plus graves blessés et ceux nécessitant des soins particuliers.

Le jeune homme se rendit à une table au fond, suivi par son assistant. Il y avait laissé une feuille avec des instructions. Il vérifia qu’il avait bien tout organisé comme on le lui avait dit, puis la rangea dans sa poche.

« Sei ! »

Il se tourna vers l’entrée.

« Gavriil, Sergey, que faites-vous ici ?

- Nous étions curieux de voir la merveille, expliqua le second, et n’avons pas résisté plus longtemps.

- Approchez, les invita le soigneur en plaisantant, je vais faire les présentations. »

Les deux Chasseurs le rejoignirent de l’autre côté de la pièce. L’automate les considéra avec amabilité et les salua.

« Tu lui as donné un nom ? voulut savoir Sergey.

- Oui, confirma Sei, il s’appelle Evedin.

- C’est en référence à l’un de ses camarades de promotion. » dit l’infirmier mécanique.

Il avait parlé d’une voix douce où cliquetaient parfois des engrenages. Les deux nouveaux arrivants le regardèrent plus attentivement. Ses traits étaient harmonieux, modelés avec soin dans un visage ovale. Ses yeux ardoise s’accordaient à ses cheveux hésitant entre le blond foncé et le châtain clair. On remarquait à son expression un peu figée qu’il n’était pas humain, cependant l’illusion était assez réussie. Il était bien proportionné, d’une stature à la fois fine et solide.

« Tu as repris le nom d’un de tes amis ? s’enquit Gavriil.

- Non, juste un dérivé d’Evgeni. Mais ne faites pas trop attention, ajouta Sei alors qu’une ombre passait dans son regard, il aime bien raconter ce qu’il sait, et particulièrement ce qu’il a récemment appris.

- Je le comprends. » plaisanta Sergey.

Ils sourirent tous les trois. Le soigneur reprit :

« Je suis très admiratif du talent de Tōru. Il m’avait dit dans une précédente lettre qu’il ne s’agissait que d’un prototype, mais le résultat est incroyable. D’ailleurs, il avait beaucoup hésité entre en faire un homme ou une femme, et m’avait même demandé conseil. Je n’ai pas su lui répondre, mais il a évité la difficulté : il l’a rendu androgyne.

- Il a de la ressource, sourit Gavriil, on ne peut le nier. Et je me dis qu’il est heureux qu’il ne soit pas devenu un Chasseur, puisqu’à présent il peut accomplir de tels prodiges.

- Tu as raison, approuva son camarade, même si j’aurais aimé voir ce qu’il serait devenu.

- Il n’aurait pas été capable de prendre des vies. » fit remarquer l’automate d’un ton neutre.

Les soldats le considérèrent avec surprise. Le constatant, il poursuivit :

« Je tire cette conclusion de ce que j’ai observé, je ne fais qu’énoncer la réalité.

- En effet, rit Sei, et tu as vu tout à fait juste.

- Il aurait été le Chasseur qui sauve des vies. » conclut Sergey à moitié sérieusement.