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L’escorte impériale s’était arrêtée pour la nuit à la lisière d’une forêt. La lune s’était levée depuis longtemps et à présent les constellations rivalisaient d’éclat, telles des diamants dispersés sur une étoffe de velours aigue-marine. Les soldats s’étaient rassemblés autour des feux de camp, l’Empereur se reposait dans sa tente, et les Chasseurs faisaient bande à part. Ils s’étaient eux aussi réunis auprès d’un feu, car bien que ce soit la belle saison les nuits étaient fraîches.

« Nous arriverons au front dans trois jours, j’ai hâte d’y être ! déclara Sergey.

- Je me demande ce que devient Gavriil, dit Pavel, quoique dans sa dernière lettre il paraissait se porter à merveille.

- Il doit bien s’amuser, tel que je le connais. Il ne peut pas se passer du danger et de l’action. S’il n’était pas devenu un Chasseur, il aurait vite atteint un poste élevé dans l’Armée et fait connaître les talents de stratège de sa famille. À ce sujet, ça ne vous arrive jamais de vous imaginer à quoi ressembleraient nos vies si nous n’avions pas été des Chasseurs ? Enfin, je pense que nous serions presque tous dans l’Armée, ce qui ne fait qu’une légère différence. »

Un silence s’ensuivit. Devant l’absence de réponse, il fit remarquer :

« Vous recommencez à essayer d’être plus silencieux l’un que l’autre, Nikita et Desya.

- Apprend le tact, Sergey. » répliqua son frère.

Celui-ci haussa les épaules et reprit :

« Nous sommes frères d’armes, et presque frères de sang, ne pouvons-nous pas partager nos soucis ?

- Comme si tu ignorais la raison de leurs préoccupations !

- Je ne l’ignore pas, mais je préfère que tout soit formulé.

- S’il vous plaît. »

Les jumeaux s’interrompirent à la demande de leur chef. Un temps passa, puis Nikita déclara :

« Si tu veux que je dise clairement pourquoi je me tais, Sergey, bien que tu t’en doutes, saches que c’est l’invasion des plaines de glace par notre ennemi qui m’inquiète. Non seulement l’échiquier politique est bouleversé, mais les membres de ma famille se trouvent là-bas, menacés de mort ou pire. Et je n’ai aucun moyen de les contacter. Personne n’y peut rien, et cette incertitude quant à leur sort me ronge. »

À nouveau, aucun d’eux quatre ne parla. Sergey était conscient d’avoir encore une fois trop insisté, et se sentait un peu coupable, mais il avait besoin que tout soit tiré au clair. Pavel réprimait son agacement tout en reconnaissant que son frère avait quelque part eu raison de demander une explication sans équivoque. Nikita, à son étonnement, se sentait quelque part mieux après avoir avoué la cause de son humeur taciturne. Il n’était pas dans ses habitudes de se confier, même à ses proches. C’est alors que Desya se décida à suivre l’exemple de son aîné.

Chaque jour qui passe me rapproche du royaume. Et cela avive en moi des souvenirs que je n’ai pas encore eu le temps d’assimiler. Et je suis incapable de lutter contre cela. J’ai peur.

Alors qu’il disait ces mots, son pouvoir lui échappa et des images de souffrance et de désespoir se déversèrent dans l’esprit de ses compagnons. Il se reprit et cessa le contact. Baissant les yeux, il dit simplement :

Pardon.

Puis il se leva et s’éloigna dans l’obscurité. Les trois autres Chasseurs demeurèrent immobiles quelques instants. Puis Pavel prit la parole :

« Et dire qu’il vit avec ces images d’horreur en tête depuis des mois, en parvenant à le cacher la plupart du temps.

- Comment arrive-t-il à vivre normalement ? compléta Sergey.

- Je regrette de lui avoir donné cet ordre de mission… soupira Nikita. Si j’avais su vers quoi je l’envoyais, j’y serais allé à sa place. »

Le silence de la nuit les enveloppa à nouveau. Le feu commençait doucement à s’éteindre. Finalement, les jumeaux souhaitèrent bonne nuit à leur chef et se rendirent à leur tente. Le Lieutenant resta encore un moment à regarder les tisons rougeoyants, jusqu’à ce que les dernières braises aient fini de se consumer. Puis il s’assura que le foyer ne se rallumerait pas et s’en alla. Il marcha sans se hâter jusqu’à la tente qu’il partageait avec Desya. Lorsqu’il y entra, il remarqua que son camarade dormait déjà. Il s’approcha de son lit de camp et regarda le visage de son cadet, à qui le sommeil avait rendu l’apparence de la sérénité. Il se remémora les souvenirs affreux qui tourbillonnaient en permanence dans son esprit. Il hésita. Il était tenté d’utiliser sa capacité spéciale afin de retirer ces images d’épouvante de sa mémoire. Il savait que s’il agissait ainsi, il aurait à les supporter pour toute sa vie, mais il était prêt à le faire. Seulement, il perdrait aussi la confiance de son frère d’armes. Desya lui avait demandé de ne pas prendre ses souvenirs. Nikita eut presque honte d’avoir pensé à l’aider contre son gré. Il se détourna et alla se préparer pour dormir. Ce soir-là, le sommeil qui le fuyait d’ordinaire vint étonnamment vite.

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