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« Ta mère est réveillée, elle a demandé à te voir. »

Occupé à dessiner à la table du salon, l’enfant releva la tête. Cela faisait trois jours qu’il était ici, et il commençait à prendre ses marques. Il leva vers Niels un regard plein d’espoir. Pour la première fois, l’homme le vit esquisser un vrai sourire. Le petit garçon se leva et le rejoignit et tous deux se rendirent à la chambre ou se reposait la jeune femme. Lorsqu’elle vit entrer son fils son visage s’éclaira.

« Nikita ! »

Il se précipita vers elle, se hissa sur son lit et elle le serra contre elle. Pendant de longues secondes il profita pleinement de cette étreinte, blotti au creux des bras de sa mère. Puis il leva le regard vers elle et déclara simplement :

« J’ai eu peur. »

Elle esquissa un sourire attendri.

« Ne t’en fais pas, nous sommes en sécurité à présent. Rien ne peut nous arriver. »

Il remarqua que même si elle essayait de paraître rétablie, elle avait l’air épuisée. Il voulait la croire mais il n’arrivait pas à être tout à fait rassuré. Après tout, ils ignoraient tout de l’endroit où ils se trouvaient, et ne pas pouvoir l’aider l’inquiétait.

En prenant la parole il avait fait attention à employer sa langue natale, ainsi sa mère avait sans réfléchir fait de même. L’homme qui veillait sur eux assistait à la scène et l’enfant ne lui faisait pas encore totalement confiance.

« J’ai discuté avec Niels, reprit la jeune femme, et il nous propose de nous héberger le temps que nous allions mieux.

- Je vais déjà très bien ! » affirma l’enfant avec candeur.

Il s’aperçut que sa remarque ne prenait pas en compte l’état de sa mère. Il n’avait pensé qu’au fait qu’il n’avait pas envie de rester ici trop longtemps. Il rougit et ajouta, hésitant :

« Enfin… si tu n’es pas encore guérie, mieux vaut en profiter.

- Tu es très mature pour ton âge. » s’amusa-t-elle.

Elle ferma les yeux un instant. Il ne put s’empêcher de sonder superficiellement son âme et ressentit sa grande fatigue. Sentant ce contact entre leurs esprits, elle lui dit par ce biais :

Je n’ai pas encore recouvré toute ma santé.

Il répondit à voix haute :

« Je crois qu’il vaudrait mieux que je te laisse te reposer.

- Tu me fais penser à un petit adulte. »

Attendrie, elle l’embrassa sur le front et il descendit du lit. Avant de franchir la porte avec Niels, il se retourna vers sa mère et lui fit un sourire hésitant. Puis il sortit avec leur hôte et ils se rendirent au salon. Alors que le garçon retournait à son dessin l’autre lui demanda :

« Je peux voir ? »

Surpris, l’enfant eut d’abord le réflexe de cacher sa feuille. Il n’avait pas terminé, les finitions manquaient, et il ne montrait ses créations qu’à sa mère et encore rarement. Finalement, après quelques secondes d’hésitation il lui tendit sa feuille en baissant le regard. Il avait représenté un simple flocon de neige à douze branches, mais bien plus travaillé que ce qu’on pouvait attendre d’un enfant de six ans. Reflet de l’application de son auteur, l’illustration était très détaillée et chaque branche comportait un style de motifs différent.

« C’est très beau, le complimenta l’adulte après lui avoir rendu sa feuille, on sent le soin que tu y as mis. »

Le garçon ne répondit rien mais ses joues se colorèrent légèrement. Il récupéra son dessin pour le continuer et ajouta quelques ombres et des reflets. Pendant ce temps Niels alla prendre un livre et s’installa dans un fauteuil au coin du feu. Quand il remarqua que l’enfant avait terminé il posa son ouvrage et lui proposa :

« Veux-tu aller faire une promenade ? »

L’enfant marqua un temps, puis hocha la tête.

« Tu n’es pas très bavard, n’est-ce pas ? » fit remarquer Niels avec amusement.

Pour une fois l’enfant ne garda pas le silence mais répondit :

« Cela dépend. »

Un furtif éclat passa dans son regard, comme un sourire. Il descendit de sa chaise pour suivre l’homme dans l’entrée. Ils se chaussèrent et enfilèrent de chauds manteaux et des gants. Voyant que le garçon avait du mal à nouer son écharpe, l’homme lui demanda s’il voulait de l’aide, mais il refusa et y parvint seul. Niels attrapa un sac puis ils quittèrent la maison. Ils se dirigèrent vers la limite du village, le silence seulement troublé par le bruit de leurs pas dans la neige.

« Que transportez-vous dans ce sac ? finit par demander le garçon.

- Tu verras quand nous serons arrivés.

- Arrivés où ?

- Au lac. »

Ils passèrent les dernières maisons et se retrouvèrent sur la berge d’un lac gelé. Sa surface de givre scintillait sous le froid soleil de l’après-midi, il était pareil à un miroir si vaste que les deux spectateurs ne pouvaient en voir l’extrémité. Ses rivages enneigés traçaient de douces collines dans le lointain, par endroits couvertes de résineux aux aiguilles d’un beau gris bleuté. Niels sourit devant l’air émerveillé de l’enfant et déclara :

« Cet endroit a toujours été lié au passage des saisons pour nous. Quand il fait assez chaud, le centre redevient liquide, c’est un spectacle étonnant à voir. Peut-être que d’ici quelques mois tu pourras le constater par toi-même. »

Il posa son chargement au sol et en sortit son contenu.

« Qu’est-ce que c’est ? s’étonna l’enfant.

- Tu ne connais pas les patins à glace ? Pourtant il me semble que tu ne viens pas d’un pays chaud.

- Chez moi, il fait encore plus froid qu’ici, mais je n’en ai jamais vu. »

Face à l’air perplexe de Nikita, il ne masqua pas sa surprise. Il se reprit et continua :

« Mets-les à la place de tes chaussures, je vais t’apprendre à les utiliser. »

Il l’aida à lacer ses patins et une fois sur le lac le soutint pour éviter qu’il ne tombe.

« Au risque d’énoncer une évidence, je dirais que c’est glissant. » s’amusa l’enfant.

Niels était de plus en plus intrigué. Ce garçon n’avait même pas six ans, et il employait fréquemment des expressions qu’il ne retrouvait qu’occasionnellement dans la bouche des adultes. Tout en l’aidant à avancer sur la glace, il essaya d’en apprendre plus à son sujet.

« Ton père ne t’avait jamais emmené en faire ?

- Non, il avait peu de temps à me consacrer. »

Nikita hésita à poursuivre. Sans l’autorisation de sa mère, il ne savait pas ce qu’il pouvait révéler de ses origines. Cependant, il ressentait tout à coup le besoin de se confier à cet homme qui avait le même âge que son père, et lui paraissait bien plus attentionné que le chef de sa famille. Il décida de continuer. Alors qu’ils avançaient main dans la main et qu’il prenait de plus en plus d’aisance sur ses patins à glace, il raconta une partie de ce qui avait été son quotidien.

« Je ne suis jamais sorti comme ça de chez moi avant. Il m’est déjà arrivé de voyager un peu d’une demeure à une autre dans mon royaume, mais c’est la première fois que… »

Il marqua une pause et son visage innocent trahit soudain sa confusion.

« C’est la première fois que je pars aussi loin et aussi longtemps. »

Partagé entre la compassion et son envie d’en savoir plus, Niels ne sut que répondre. L’enfant paraissait hésitant, comme s’il réalisait brusquement à quel point tout avait changé autour de lui. À nouveau, il surprit son aîné par un réflexe assez adulte. D’une voix qu’il essayait de poser, il s’efforça de continuer son récit pour éviter de laisser prise à l’incertitude.

« Lorsque je voulais sortir, j’allais dans les jardins, mais j’étais toujours accompagné par mes gardiennes.

- Tes gardiennes ?

- C’étaient les deux jeunes filles chargées de me surveiller. Je les appelais ainsi, mais ma tante me disait que ce n’étaient que des servantes. Pourtant elles étaient très gentilles. Elles me consolaient lorsque j’étais triste, et jouaient avec moi. Akira est une palai et Kaneko une pharmakon. Une pour me protéger et une pour me soigner.

- Tu m’as l’air d’avoir été choyé, quelles raisons avais-tu d’être triste ?

- Parfois, je voulais voir Maman mais elle était trop occupée. Mais le plus souvent, c’était à cause de ma tante. Je ne l’aime pas du tout. »

L’enfant se tut alors que son regard s’assombrissait.

« Pourquoi ne l’apprécies-tu pas ?

- Elle me racontait toujours des histoires d’adultes affreuses en me disant qu’il fallait que je sois prêt pour quand je serais plus grand. Elle faisait exprès de me faire peur, et je ne pouvais pas dormir certains soirs à cause de ce qu’elle me disait. Et si elle apprenait que je m’étais relevé pour aller voir Akira et Kaneko pour qu’elles me rassurent, elle riait et me disait que j’étais trop sensible. Elle faisait exprès d’être distante avec moi. Elle disait que le mépris forge le caractère et incite à s’émanciper. Je crois que c’est une mauvaise personne. »

Il lâcha la main de Niels et essaya d’avancer seul sur la glace. Il parvint à rester à peu près stable, mais perdit l’équilibre au bout de quelques mètres. Niels le rattrapa de justesse. Le garçon le remercia d’un sourire, laissa passer un temps, puis reprit :

« Elle me disait aussi que je deviendrai comme elle ou Père. Mais je n’en ai pas envie. Ils sont si… froids. »

Au fil de ses confidences, l’homme devenait de plus en plus songeur. Il n’aurait pas deviné la moitié de ce qu’il lui avait raconté en le voyant la première fois. Nikita reprit :

« Heureusement, mon oncle n’est pas comme ça. Il me racontait des histoires, et jouait même avec moi de temps en temps. Et quand ma tante s’amusait à m’effrayer, il prenait toujours ma défense. Il me répétait souvent que j’étais le fils qu’il n’avait pas pu avoir. Il n’y a qu’en présence de Père qu’il n’était pas proche de moi comme d’ordinaire. Quand je lui avais demandé pourquoi, il m’avait expliqué que c’était à cause du protocole.

- Tu es donc d’une famille noble ?

- J’ai déjà parlé avec des nobles, quelques fois. Père m’a dit que nous valions bien mieux qu’eux, et qu’un jour, ils seraient tous mes sujets. »

Dans l’esprit de Niels, les éléments qu’il listait depuis le début de la conversation s’assemblèrent.

« Mais alors… tu es un prince ?! s’exclama-t-il.

- Oui. » répondit Nikita le plus naturellement du monde.

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