25

8 minutes de lecture

Ils avaient traversé des dizaines de pays, dans une fuite éperdue et incertaine, sans savoir à qui se fier. Cela faisait plusieurs mois qu’ils voyageaient, et l’enfant pouvait constater de jour en jour l’épuisement grandissant de sa mère. Il ne savait que faire pour l’aider, il ignorait tout du monde des adultes, et en grande partie du monde en général. Alors, du haut de ses six ans, il faisait tous les efforts qu’il pouvait pour la soutenir dans cette épreuve. Semaine après semaine, il avait appris à taire ses plaintes, s’était fait plus endurant et courageux pour elle.

Cependant, leur situation déjà difficile s’était compliquée. Leurs chevaux avaient fini par mourir, ils avaient été contraints de continuer à pied dans un désert de glace. De longues heures durant, ils avaient progressé tant bien que mal dans cette étendue balayée par le vent, jusqu’à se retrouver face à un torrent. Ses eaux charriaient de multiples fragments gelés et ils n’apercevaient aucun pont à proximité.

« Qu’allons-nous faire, Maman ? demanda-t-il.

- Il faut trouver un endroit où traverser. Je ne suis pas en état de nous transporter de l’autre côté.

- Je pourrais essayer. »

Elle sourit, attendrie.

« Tu ne maîtrises pour l’heure pas suffisamment tes pouvoirs, et tu n’es pas encore assez puissant.

- Trouvons vite un passage, alors ! » conclut-il, s’efforçant de montrer de l’entrain.

Ils marchèrent pendant plusieurs heures avant de trouver un gué. Le passage était d’apparence peu engageante, et les pierres paraissaient très glissantes. Les eaux du torrent s’y heurtaient avec violence, couvrant le bruit du courant.

« Maman, il faut vraiment passer par là ?

- Nous n’avons pas le choix. Mais ne t’en fais pas, nous allons réussir à passer.

- Tu es sûre ?

- Oui. Fais-moi confiance.

- J’ai peur…

- Sans la peur, il ne peut y avoir de courage. Allons-y. »

Rassemblant son courage, elle lui prit la main et ils commencèrent à traverser. Sur les pierres gelées, leur équilibre était mal assuré et ils rencontrèrent de nombreuses difficultés. À plusieurs reprises, elle dut utiliser des incantations pour de leur éviter de tomber. Chacune lui coûtait de l’énergie, malgré elle elle se sentait faiblir. Quand ils parvinrent enfin sur l’autre rive, elle s’effondra dans la neige.

« Maman ! » l’appela son fils.

Elle n’eut pas la force de répondre. Tous se fondait autour d’elle, les dernières lueurs de son esprit s’éteignaient. Elle luttait en vain pour rester éveillée. Il fallait continuer, trouver un endroit où ils pourraient enfin être en sécurité, elle, son fils, et son enfant à naître. Mais elle n’en pouvait plus.

« Maman ! » s’écria à nouveau l'enfant.

Il s’agenouilla à côté d’elle, désemparé. À nouveau, il l’appela sans susciter de réaction. De plus en plus inquiet, il hésitait à tenter une incantation pour la réanimer, car comme elle le lui avait dit, il ne maîtrisait pas encore bien son pouvoir. Il ne savait que faire.

Des flocons commencèrent à tomber. Le blizzard se levait. La peur montait en lui, des larmes commencèrent à rouler sur ses joues. Il continuait d’appeler, encore et encore, le nom de celle qu’il ne savait comment secourir. Et comme en réponse, le vent gagnait en force, de plus en plus froid. Les flocons tourbillonnants se faisaient solides, et tournoyaient à une telle vitesse qu’ils lui faisaient mal. Il était désespéré, sans la moindre idée de ce qu’il pouvait faire, il sentait l’esprit de sa mère et de l’enfant qu’elle portait faiblir. L'angoisse enserrait son cœur. Si seulement il avait été plus grand, et plus habile en incantations ! Mais la situation était insoluble.

La brise glaciale lui apporta soudain le son d’un attelage. Il se fit attentif. Le son se rapprochait. L’espoir se ralluma dans son cœur. Mais il se rappela que sa famille les faisait rechercher, et qu’ils étaient en danger. Le secours qui arrivait n’était peut-être qu’un péril supplémentaire. Après quelques instants d’attente incertaine, un traîneau s’arrêta à non loin d’eux. Une silhouette en descendit. C’était un homme de haute stature ; l’enfant remarqua immédiatement qu’il avait une épée au côté. Il se releva, sécha ses larmes, et s’interposa entre lui et sa mère, prêt à la défendre. Ses mais s’illuminèrent de blanc.

« Que s’est-il passé ? Je vais vous aider. »

L'inconnu parut remarquer l’air méfiant du petit garçon, qui ne parvenait pas à masquer sa peur.

« Tu n’as pas à avoir peur, ajouta-t-il d’une voix plus douce, je suis là pour vous secourir.

- Qu’est-ce qui me le prouve ? répliqua l’enfant.

- Laisse-moi vous aider. Si ta mère ne reçoit pas des soins très vite, elle va mourir. »

Après une hésitation, le garçon désactiva son pouvoir. L’homme s’approcha et prit la jeune femme dans ses bras pour la porter à son traîneau. Puis il se tourna vers l’enfant.

« Viens.

- Où allons-nous ?

- Au village. »

Toujours sur ses gardes, l’enfant s’avança. L’homme le plaça dans le traîneau avant de s’y installer à son tour. Ils partirent. Durant un temps indéterminé, ils voyagèrent dans la tempête. Les rafales ne faiblissaient pas, le décor était complètement effacé par la tourmente immaculée. Ils arrivèrent finalement à un petit village et s'arrêtèrent devant l’une des maisons de la rue principale. L’homme sauta du traîneau, monta les marches, ouvrit la porte et appela :

« Sylvia ! Liam ! Venez m’aider ! »

Une femme d’âge mûr et un jeune garçon le rejoignirent.

« Qu’est-ce que… commença la première.

- Les explications attendront. coupa l’homme. Occupe-toi du garçon. Liam, va préparer de quoi les soigner. »

L’adolescent retourna dans la maison. L’homme alla chercher la jeune femme inconsciente et la porta à l’intérieur. Pendant ce temps, l’autre inconnue s’approcha de l’enfant. Il eut un mouvement de recul.

« Ne crains rien, dit-elle avec un sourire apaisant, je vais prendre soin de toi. Rentre, tu vas tomber malade. »

Elle lui prit la main avec douceur. Il hésita, puis la suivit à l’intérieur. Elle l’installa au salon, au coin du feu, et lui donna une couverture pour lui tenir chaud.

« Veux-tu quelque chose à boire ou à manger ? » proposa-t-elle.

Mais lui, sans un mot, fit un signe négatif de la tête. Elle s’approcha de lui.

« Je vais vérifier que tu n’es pas blessé. »

Elle posa la main sur son bras et ferma les yeux un instant. Lorsqu’elle les rouvrit, elle déclara d’un air perplexe :

« Mis à part ta fatigue, tu es en bonne santé, je suis assez étonnée. »

Elle alla s’assoir dans un fauteuil en face de lui.

« Je m’appelle Sylvia. commença-t-elle. Et toi, quel est ton nom ? »

Il baissa les yeux et ne répondit rien. Déconcertée, elle le questionna à nouveau :

« Veux-tu me raconter ce qui s’est passé ? »

Il fit non de la tête. Elle ne savait que faire. Finalement, elle tenta :

« Tu m’as l’air d’être fatigué, et il se fait tard. Veux-tu dormir ? »

Il hocha la tête. Il tenta de se lever, mais un vertige le saisit. Prévenante, elle se leva et le prit dans ses bras. Elle porta à l’étage, dans une chambre, et dès qu’elle l’eu mis au lit il bâilla et ferma les yeux. À la fois attendrie et inquiète, elle le considéra un instant avant de quitter la chambre.

Le lendemain, lorsqu’il se réveilla, il lui fallut quelques instants pour se rappeler l’endroit où il se trouvait. Il n’entendait plus le bruit de la neige au-dehors, signe que la tempête avait cessé. Il se leva, remarqua qu’on avait laissé des vêtements pour lui et s’habilla, puis descendit au salon. Sylvia s’y trouvait avec l’homme qui les avait secourus la veille. Avant d’entrer il saisit quelques bribes de leur conversation.

« Elle est hors de danger, mais toujours inconsciente. Je vais devoir me rendre en ville au plus tôt pour y chercher des remèdes. Comment va l’enfant ?

- Il a l’air de bien se porter, répondit Sylvia, en revanche il n’a pas dit un mot depuis qu’il est arrivé. Tous deux ont dû traverser de rudes épreuves.

- Si je n’avais pas senti leur présence en passant hier…

- Niels. l’interrompit-elle.

- N’y pensons plus. »

À ce moment ils remarquèrent l’enfant qui se tenait à la porte de la pièce. Sylvia lui sourit et lui demanda :

« Bien dormi ? »

Il hocha la tête. Les deux adultes échangèrent un regard. Elle reprit :

« Je vais te donner un petit-déjeuner. »

Elle l’emmena dans la cuisine et l’installa à table. Pendant qu’elle préparait à manger, Niels vint s’assoir à côté du garçon.

« D’où viens-tu ? commença-t-il avec prévenance. Car tu n’es pas de l’Empire.

- Qu’est-ce qui te fait dire ça ? demanda Sylvia, sans se détourner de ce qu’elle faisait.

- Hier, quand il m’a parlé, j’ai pu déceler un infime accent, mais je ne saurais pas l’identifier. Et il y a aussi son collier. »

Le garçon baissa le regard et remarqua que celui-ci était bien visible. Le pendentif d’argent représentait l’emblème de sa lignée : deux ailes de cristal repliées sur une couronne de fer. Il le remit hâtivement sous sa chemise. Devant les regards intrigués des deux adultes, il rougit et baissa les yeux.

« Tu es bien mystérieux. sourit Sylvia. Je ne t’ai pas entendu parler une seule fois depuis que tu es là et par conséquent nous ne savons rien de toi. Y a-t-il une raison particulière qui te pousse à garder le silence ? »

À ce moment, l’adolescent de la veille entra dans la cuisine.

« Oncle Niels, il ne va pas falloir tarder à aller en ville. Nous allons bientôt être à court d’onguent.

- Y a-t-il…

- Non, ne t’en fais pas, la jeune femme va bien. Elle avait juste un peu de fièvre tout à l’heure, mais j’ai fait le nécessaire. »

Il s’interrompit en voyant le regard du garçon.

« Tu ne peux pas aller la voir pour le moment, expliqua Niels avec douceur, mais dès qu’elle ira mieux je te le dirai. »

L’enfant sentit les larmes lui venir.

« Pourquoi essayez-vous de me cacher qu’elle ne s’est pas réveillée ? »

Les trois autres le regardèrent sans comprendre. Confus, il s’aperçut qu’il avait parlé dans sa langue maternelle. Il répéta sa question, dans celle de l’Empire.

« Nous ne voulions pas t’inquiéter. répondit Sylvia. Mais comment le sais-tu ?

- J’ai entendu la fin de votre conversation tout à l’heure. Et même si je n’avais pas entendu, je saurais. Je peux sentir que son esprit est inconscient.

- Un opheleiai… murmura Liam.

- Ne t’en fais pas, déclara Sylvia, Niels et moi sommes des pharmakon. Nous prendrons soin de vous. »

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Hisoka ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0