L'accueillage

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Bellac.

Avant d'être embauché par Madame Vignes, je sortais tout juste d'une relation conflictuelle avec un mauvais patron. À Usson, je n'avais pas envie de renouveler ce genre d'expérience éprouvante.

Pour la petite histoire, je peux raconter brièvement cette parenthèse insolite. Ça avait commencé en août 1977 à Bellac en Haute-Vienne. La ville organisait à cette époque une foire aux reproducteurs ovins. Ce regroupement, de renommée nationale, conviait les éleveurs à participer à un concours de béliers, de brebis, d'agnelles et d'agneaux de toutes les races. Mon employeur du moment, Bertrand de Traz à Sillards, m'avait vanté les qualités des animaux présentés lors de manifestations de ce genre. Ni une, ni deux, petit vélo sous le bras, et grands projets dans la tête, je me rendis de bonne heure à la fête où allait se dérouler, en outre, le championnat de tonte et le concours de chien de berger.

Vent debout, j'avalai les quarante-cinq kilomètres avant que le soleil ne se lève pour être présent au début de la foire. Parcours difficile, car le vélo, un routier lourd et mal équipé, emprunté à Éric, semblait ne jamais vouloir avancer, surtout dans les côtes. Bellac était l'occasion idéale pour moi de trouver une place de berger, le plus près possible de la Belgique, lieu vers lequel je désirais continuer une histoire de cœur à peine ébauchée. J'aurai plaisir à raconter cela une autre fois.

Or donc, les éleveurs présents exposaient leurs animaux sous les panneaux publicitaires accrochés au fond des cases. Lorsque je vis affiché les « Texel de l'Aisne », mon sang ne fit qu'un tour et j'imaginai me louer à l'ancienne, époque où Giono aurait pu rapporter cette scène.

Je me présentai paletot sur le bras, en l'occurrence, une simple veste de bleu de travail, pour bien montrer que j'étais libre de tout engagement et proposais mes services au propriétaire des brebis exposées.

Politesses. Discussion.

J'imposai mes réserves d'embauche. Je ne voulais pas être payé à condition de m'occuper uniquement des brebis, et de consacrer mon temps à l'agnelage et l'élevage des jeunes agneaux. Ça tombait bien, il avait un lot de brebis Texel épongées annoncé pour l'automne et un autre d'île de France tout de suite après.

Prise d'adresses de références. Compliments et commentaires sur les animaux présents et... engagement sur le champ.

Dans ce milieu, lorsque l'on topait pour une saison avec un patron, on endossait sa veste. J'aimais cette marque de confiance qui, par la parole donnée, remplaçait toute espèce de contrat de travail, écrit, signé et contresigné. La Saint-Martin correspondait à l'accueillage1 du début du contrat. Il m'était impossible d'honorer tels délais car par expérience, il me fallait bien un mois en vélo pour rejoindre la ferme de l'Aisne. Remonter la Gartempe, puis la Vienne et ensuite suivre le cours de la Loire jusqu'à Saint-Étienne avant de bifurquer vers Lyon et reprendre la route identique à celle que j'avais empruntée en 1976 jusqu'en Belgique. Le détour par Lyon s’imposait pour embrasser mes parents, mes frères et sœurs.

Au bout du compte, ça c'était mal passé. Le voyage d'abord qui fut interrompu à Lyon par le vol de mon vélo. L'année précédente, ma bicyclette avait elle aussi été volée à Liège après être parti de Saint-Étienne. Pas de chance.

Le travail à la ferme ensuite s'était mal terminé. Les agnelages des Texel et ceux des îles de France, quoique difficiles à maîtriser pour un novice comme moi, se déroulèrent sans trop de problème. Mais, du jour où le patron me demanda de remplir matin et soir des bennes d'ensilage pour les vaches laitières, d'égaliser les remorques de fumier destiné à engraisser les terres à betteraves, je quittai la caravane glaciale qu'il me prêtait gracieusement. Bien décidé à continuer ma formation, en moins d'une semaine je n'avais eu aucun mal à trouver une place à Usson du Poitou. J'affirme haut et fort que personne ne doit renier sa parole. Le faire est sacrilège.

1 Accueillir, s'accueillir : prendre quelqu'un à son service et se mettre au service de quelqu'un. La Saint-Michel (29 septembre) est une époque d'accueillage. Essai sur le patois Poitevin par H. Beauchet-Filleau. 1864

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