Château de la Buthière

3 minutes de lecture

Château de la Buthière

— François, demain nous irons au domaine de l'Abbaye. Tâchez de venir me chercher aux aurores peu après laudes. Émile a rentré le troupeau de La Forêt avec le nouveau berger. Je dois contrôler les bessonières pour en garder les filles.

— Fort bien mère.

Son fils, digne représentant d'une famille aristocratique provinciale ancrée à Usson du Poitou, s'exprimait de belle manière. Il se prêtait admirablement à la conversation distinguée et raisonnable conduite par sa mère. Âgé d'une cinquantaine d'années, François repoussa contre ses sourcils les grosses lunettes qui avaient tendance à glisser lorsqu'il avait la tête penchée. Il sortit de sa poche de veste de velours une boîte de cigarillos de la marque niñas. Il en alluma un, tira une bouffée puis continua la conversation.

— Cela ne vous ennuie-t-il pas si je vous accompagne avec la 404 ? Je crains que le tub ne m'ait lâché une fois de plus.

La grosse cuisinière enfumait la pièce dès que Solange l'alimentait en enfournant le bois bûche après bûche pour ne pas gaspiller.

— La voiture me plaît mieux que votre fourgon à bestiaux. Non seulement il fait parler nos gens, détonne, et c'est peu dire, dans la cour du château, mais en plus le siège avant est d'un inconfort total.

— Il peut l'être en effet, inconfortable, car il n'y en a pas... de siège.

— Hum, hum ? Plaît-il ?

Madame Vignes se racla la gorge en portant devant sa bouche son mouchoir brodé, replié sur l'index.

— Je vous disais que le véhicule qui vous fait honte ne comporte pas de siège.

— Ah bon ? J'ai dû rêver une fois de plus.

Elle émit quelques toussotements, marquant ainsi le désagrément produit par les fumées environnantes.

— Non mère, vous n'avez pas rêvé, vous n'êtes tout simplement jamais montée dedans.

— Vous me soulagez François, vous me soulagez.

Madame Vignes se déporta d'une fesse à l'autre, juste histoire de s'assurer que son coussin n'avait pas été plié par son maigre postérieur.

La cuisine, vaste, haute de plafond restait assombrie par les volets métalliques définitivement clos depuis que l'un des carreaux s'était brisé lors d'un courant d'air violent.

— Solange, vous pourrez disposer après avoir débarassé la table et pris soin de fermer la porte de la remise.

— Bien madame.

Solange s'activait lentement. Femme à tout faire, elle se contentait d'entretenir la cuisine comme elle pouvait avec les maigres moyens que lui concédait sa patronne. Lessive Saint-Marc, savon noir, vinaigre blanc et huile de coude devaient être les seuls ingrédients nécessaires à tout le ménage.

Elle sortit une bouteille au verre teinté, du fond du placard.

— La petite prunelle de Monsieur ?

— Mais pourquoi pas, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, mère ?

— Faites. Faites donc comme bon vous semble. Feu votre père ne s'en privait pas. Je dois avouer toutefois qu'il m'arrive, de temps en temps, mais rarement, préférer quelque petite liqueur allant à l'encontre des conseils de notre médecin.

Il ingurgita l'alcool fruité d'un seul trait.

— Goûteuse à souhait, elle dilate le palais, me donne un bon coup de frais. Merci Solange.

Il reposa son verre sur la table.

— Fort bien, dit-il guilleret.

Il se leva dans un bruit de chaise bousculée. La proéminence de son ventre s'estompait lorsqu'il dépliait son mètre quatre-vingt-sept. Vêtu de pantalons en velours côtelé marron et d'une chemise à carreaux indémodable, il prit congé de sa mère, cigarillo amarré au coin de la bouche.

— Je vous souhaite la bonne nuit, mère.

— C'est très aimable François. Une question cependant me trotte dans la tête.

Elle se pencha légèrement sur le côté en tirant la tête vers le haut, pour inviter son fils à parfaire son attention sur le ton de la confidence.

—Avant que tu ne prennes congé j'aimerais que tu me répondes, franchement François.

— Mais qu'elle est-elle donc cette turpitude qui vous inquiète tant ?

— Oh pas grand-chose. Mais tout de même, j'ai besoin de savoir. Conduis-tu une de ces machines à deux roues qui pétaradent dans le bourg ?

Derrière ses lunettes, sorte de loupes cerclées de bakélite résistante, il dissimulait une grande lassitude.

— Non mère, vous savez bien que je ne peux plus garder l'équilibre sur ces engins.

— En tant qu'honnête homme, tu te garderais bien, je l'espère, de te faire remarquer par l'éclat d'une hostilité intempestive, qui rendrait, tu en conviendras, la vie sociale impossible à notre communauté d'ordinaire si paisible.

— Je m'en garderai bien, effectivement.

— Soit. J'aurais donc été mal informée. Je n'insiste pas davantage sur ces fadaises. Restons-en là. Bonne nuit François.

— Pour aller à la Coterie, j'ai le tub qui m'attend. Je passe vous prendre à 7 heures 30. Cela vous convient-il ?

— Parfait.

François déplaça l'air enfumé et laissa dans son sillage un peu de sa nonchalance coutumière.

— Solange, demain matin, vous préparerez une bonne soupe de légumes. Je ne serai guère de retour avant 13 heures.

— Bien madame.

Annotations

Vous aimez lire bertrand môgendre ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0