19. Dans le salon ...

8 minutes de lecture

19. Dans le salon…

Madison prit place dans l’un des fauteuils individuels, Victor s’assit dans le canapé deux places à la gauche de Madison. Après une profonde inspiration, elle lui demanda, de but en blanc,

— Puis-je savoir pourquoi vous débouler à sept heures du matin chez vos voisins ? Votre visite n’aurait-elle pas pu attendre deux heures de plus ?

Interloqué, Victor sourit en coin puis lui répondit,

— Non, je ne pouvais plus attendre, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, je devais vous parler.

Prenant un air quelque peu condescendant, elle lui répondit,

— Ah oui, comme ça, tout d’un coup, mon existence vous empêche de fermer l’œil ?!

Un peu mal pris, Victor ne sut quoi répondre. Madison reprit,

— Qu’y a-t-il eu tout d’un coup ? Une date de péremption sur le secret de famille ? Qu’est-ce qui a déclenché le changement entre la négation complète de mon existence pendant près de vingt ans et… Boum ! Il vous faut tout d’un coup, tout déballer !

Sur un ton fatigué, mais doux, il lui répondit,

— Vous ressemblez tellement à ma mère !

Comme il cherchait quelque chose dans la poche de son manteau, elle lui répondit, d’une manière plutôt sarcastique,

— Oh, je ressemble à môman !

Il lui tendit la photo, elle constata une certaine ressemblance, mais repoussa le cliché en disant,

— Et alors ? Ça ne répond aucunement à ma question Monsieur d’Outrepont.

— Je… Je suis désolé Madison.

Vivement, elle lui répondit,

— De quoi ? De m’avoir fait ? De m’avoir nié ? De m’avoir finalement rencontré par inadvertance via votre fille ? Merci d’être plus clair ; « être désolé », c’est très vague !

Victor était étonné par la répartie que montrait Madison, visiblement, elle avait dû apprendre à se défendre dans la vie.

— Non, je… Je suis désolé de ne pas être intervenu plus tôt dans votre vie.

Madison soupira bruyamment et leva les yeux au ciel avant de lui répondre sèchement,

— Vous n’êtes pas désolé de ne pas être intervenu plus tôt dans ma vie ; vous êtes intervenu dans ma vie parce que je suis arrivée comme un cheveu dans la soupe dans votre jolie petite vie actuelle, Monsieur d’Outrepont ! Sans cette soirée chez les amis de Chloé, vous ne vous seriez toujours pas manifesté auprès de moi, alors, à d’autre, hein !

Abasourdi par l’analyse de Madison, il ne put que constater sa perspicacité, mais aussi sa souffrance ; malgré l’aplomb de son discours, ses yeux étaient brillants des larmes qui pointaient discrètement.

Madison se tut et se ferma en croisant ses bras sur sa poitrine et en remontant ses genoux contre elle.

Victor tenta,

— Il n’y avait pas que moi dans cette histoire, Ségolène, ma femme, était enceinte, elle aussi.

Comme Madison ne réagissait pas, il continua,

— Valérie et elle se sont croisées, Ségolène la mise à la porte. Valérie venait me réclamer une pension alimentaire. Elle nous menaçait d’enclencher une procédure de reconnaissance en paternité dès votre naissance.

Victor souffla puis reprit,

— Je me suis arrangé avec elle, je lui ai versé un certain montant, de quoi acheter une maison dans la région où elle habitait, pour que vous ne soyez pas dans le besoin, ni l’une, ni l’autre.

Sur un ton sec, mais en retenant ses larmes, elle déclara,

— Cette maison a été vendue pour qu’elle puisse aller habiter avec Robert, dans le sud de la France.

Surprit, Victor, lui demanda,

— Elle vous a bien donné votre part de la vente, j’espère ?!

— Pardon ?

— Oui, l’achat de cette maison était conditionné au fait que la moitié vous appartenait. Je le sais, c’est moi qui ai rédigé l’acte notarial.

Madison regarda le sol. Elle avait du mal à déglutir. Sa mère semblait, une fois encore, l’avoir complètement flouée. Sur un ton qu’elle voulut sec, mais dont le tressautement de la voix trahissait la tristesse, elle répondit,

— Non, l’intégralité de la somme de la vente a été engloutie dans la maison en France. Au nom de Robert et de ma mère.

Victor réagit vivement.

— Ça ne va pas, vous devez réclamer votre part !

En colère, elle lui répondit,

— J’en ai rien à faire de cette part, j’en ai rien à faire de votre argent !

— Mais, il est à vous ! C’est pour cela que j’ai veillé à faire moi-même la transaction, je voulais que vous ayez quelque chose.

Violemment, elle lança,

— C’est un père qu’il me fallait, pas des briques !

Chamboulé mais compréhensif, il lui dit,

— Je l’imagine bien Madison, mais lorsque je suis venu vous rendre visite, à la maternité, Valérie m’a chassé. Elle m’a ordonné de ne plus venir et de ne pas chercher à vous connaître.

Moqueuse, Madison lui répondit,

— Mais bien sûr, c’est tellement pratique ! Si en plus, la maîtresse engrossée dit bien clairement qu’il ne faut surtout pas chercher à avoir de nouvelles de moi, c’est tellement arrangeant ! Vous avez dû rentrer tout content chez vous alors, non ?!

Victor soupira longuement puis, tenta d’expliquer.

— Oui et non, deux mois plus tard, Chloé naissait. Vous aviez toutes les deux la même tête, les mêmes expressions, durant les premiers jours.

Il fit une pause et sourit avant d’ajouter,

— Je l’ai dit à Ségolène.

Surprise, Madison lui demanda,

— Et quoi, elle en pensait quoi, votre femme ?

— Elle était d’accord avec moi.

— C’est à dire ? D’accord sur quoi ? Elle a chassé ma mère, vous avez acheté une maison, je ne comprends pas ce que vous entendez par « elle était d’accord avec moi ».

— C'est-à-dire que Ségolène était partie prenante pour que vous assume. Elle voulait que l’enfant issu de ma relation extraconjugale ne soit pas dans le besoin, c’est elle qui a pensé à la maison. C’est elle qui a proposé cela à Valérie, un mois après leur rencontre. Moi, j’ai suivi ses conseils et j’ai préparé les papiers dans ce sens, dès que Valérie eut trouvé la maison où elle pourrait vous élever. C’est en ça que j’entends quand je dis qu’elle était d’accord avec moi, elle désirait autant que moi que vous ne soyez pas dans le besoin ; vous n’y étiez pour rien, vous, dans cette histoire.

Songeuse, elle demanda,

— Mais, Chloé m’a dit que vous n’aviez rien prévu pour moi…

Victor eut un petit rire nerveux puis expliqua,

— Chloé n’écoute pas toujours tout, lorsque je lui ai expliqué votre existence et les liens qui nous unissaient, elle est partie en vrille et n’a plus vu en moi que le mari adultère abandonnant une maîtresse enceinte.

Madison prit ses genoux dans ses bras et posa sa tête dessus, puis lui souffla,

— Aucun lien ne nous unit Monsieur d’Outrepont, et le seul lien que vous aviez créé, et dont je n’avais nulle connaissance, a été dissous. Soyez sans crainte, je ne suis pas ma mère et je ne vous demande rien.

Madison se sentait fatiguée, elle avait l’impression d’avoir couru un marathon. Ce qu’elle venait d’apprendre alimentait encore plus son sentiment d’avoir été utilisée par sa mère. Grace à elle, Valérie avait obtenu une maison, mais ensuite, elle l’avait vendue, sans égard aucun pour elle qui, visiblement, en était propriétaire aussi.

Elle souffla et frotta ses yeux remplis de larmes. Elle s’adressa alors à Victor,

— Si vous n’avez rien d’autre à ajouter, vous pouvez rentrer sereinement auprès de votre famille. Comme je vous l’ai déjà dit, je ne vous demanderais rien, soyez sans crainte de ce côté-là.

Victor lui montra alors quelques photos, d’elle, petite. Elle écarquilla les yeux et l’interrogea du regard.

— J’ai reçu des photos de toi jusqu’à tes huit ans. Par la suite, Valérie n’a plus jamais répondu à nos demandes.

— « Nos » demandes ?

— Oui, Ségolène et moi voulions voir à quoi tu ressemblais.

Il eut un petit sourire en poursuivant,

— Chloé t’a beaucoup ressemblé jusqu’à cinq ans, puis vous avez commencé à changer, toutes les deux.

— Mais… Je ne savais pas…

Madison était un peu perdue par rapport à ce qu’elle venait d’apprendre sur le lien que lui et sa femme avaient eu avec elle, sans qu’elle le sache. Elle se fit aussi la réflexion que le ton de Victor était beaucoup plus doux, et… Qu’il la tutoyait, à présent.

Elle écouta attentivement ce qu’il lui expliqua ensuite.

— C’est ce qui avait été convenu lors de l’installation dans la maison, un peu avant ta naissance ; une photo, tous les ans. Quand elle a arrêté d’envoyer des photos de toi, je n’avais aucun droit par rapport à toi étant donné que, conformément à ce que voulaient Ségolène et Valérie, je ne t’ai pas reconnue à la naissance. Du coup, je ne pouvais rien faire. On s’est finalement renseigné, Ségolène et moi, la maison était toujours à vos deux noms, mais elle était louée à des locataires qui ne vous connaissaient pas.

En secouant la tête, elle précisa,

— C’est à la période où elle m’a laissée chez mon oncle et ma tante, ça a duré quelques années. Pendant ce temps-là, elle était sur les routes avec son compagnon de l’époque, Lucas. Il l’a laissé tomber pour une autre et du coup, elle est revenue dans la maison et m’a récupérée.

— Je n’ai plus eu de nouvelle depuis ce moment-là. Jusqu’à ce que je te voie sur les photos de Chloé. Toute la colère que j’avais par rapport à Valérie est remontée tout d’un coup.

Il ferma les yeux, puis expliqua,

— Je lui avais dit qu’elle n’était qu’une passade, je lui avais demandé si elle prenait un contraceptif. Elle m’avait affirmé qu’il n’y avait aucun problème de ce côté-là. Trois mois plus tard, elle m’annonçait qu’elle était enceinte et qu’elle réclamait réparation. Elle voulait que je l’épouse. Mais ça, c’est notre histoire, à Valérie et moi.

Il regarda Madison et ajouta,

— Si j’ai dit à Chloé qu’elle ne devait plus te revoir, c’est pour une autre raison.

Un peu gêné, il finit par lui expliquer,

— C’est parce que j’ai cru que tu étais sa petite amie, Chloé venait juste de m’avouer ses certitudes par rapport à son homosexualité… Et puis je te vois en photo, avec Chloé qui pose sa main sur ton genou, j’ai commencé à paniquer ; vous êtes sœur, elle et toi.

— Demi-sœurs.

— Je suis votre père à toutes les deux. Je ne pouvais pas vous laisser sortir ensemble ou être en couple à deux ! Ségolène n’avait pas reconnu ton nom, moi, si ! Tout m’est revenu en pleine figure à ce moment-là. Les agissements de Valérie, le fait que je ne t’aie pas vu grandir… Et la roue du destin qui t’a replacée sur ma route en me laissant croire que tu étais la petite amie de ma fille !

Un peu gênée, Madison, proposa,

— Vous savez, on peut faire comme si de rien n’était… Je suis juste la petite amie du meilleur ami de votre fille… Personne n’en saura rien, tout redeviendra comme avant.

Le regard triste, elle baissa les yeux. Elle avait beau vouloir paraître forte, elle sentait bien que quelque chose en elle s’était cassé ; l’image de sa mère venait encore de dégringoler d’un cran dans son cœur et Madison ne savait plus quoi faire ni penser. L’homme assis à côté d’elle, son père biologique, avait voulu garder un contact avec elle. La femme de cet homme, l’épouse bafouée, avait, elle aussi, voulu garder un contact avec elle… Sa mère ne le lui avait jamais dit. Sa mère lui avait toujours menti, tout simplement.

Elle releva le nez lorsqu’elle entendit la porte du salon s’ouvrir.

***

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Dolhel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0